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« Je veux conclure ce sermon en vous rappelant le début d’un des livres de l’Ancien Testament, le livre de Job. Un jour où les Fils de Dieu venaient se présenter devant l’Éternel, Satan aussi s’avançait parmi eux et l’Éternel lui dit :

— D’où viens-tu ?

— De parcourir la Terre et de m’y promener, répondit Satan.

« Et Dieu reprit : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a point son pareil sur la terre : c’est un homme intègre et droit qui craint Dieu et s’écarte du mal ! »

« Et Satan de répliquer : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Tu as béni toutes ses entreprises.

Mais étends la main et touche à tout ce qu’il possède : je gage qu’il Te maudira en face. »

« Dieu accepta la proposition. Année après année, Il châtia celui qui l’aimait le plus. Job subissait un pouvoir qu’il ne comprenait pas, qu’il croyait être la justice suprême, mais qui lui prenait ses troupeaux, tuait ses enfants, couvrait son corps d’ulcères. Jusqu’au jour où, à bout de souffrances, Job se révolta et blasphéma contre Dieu. Alors seulement Dieu lui rendit tout ce qu’il lui avait retiré.

« Depuis des années nous assistons à la décadence de ce village. À présent, je pense que ce n’est pas la conséquence d’un châtiment divin, pour la simple raison que nous acceptons toujours ce qui nous est donné sans réclamer, comme si nous méritions de perdre le heu que nous habitons, les champs que nous cultivons, les maisons qui ont été construites avec les rêves de nos ancêtres. Dites-moi, mes frères, le moment n’est-il pas venu de nous rebeller ? Dieu n’est-il pas en train de nous soumettre à la même épreuve que Job a subie ?

« Pourquoi Dieu a-t-Il traité Job de cette façon ? Pour lui prouver que sa nature, au fond, était mauvaise et que, même s’il avait un bon comportement, il ne devait tout ce qu’il possédait qu’à Sa grâce. Nous avons péché par orgueil en nous jugeant trop bons – voilà pourquoi nous sommes punis.

« Dieu a accepté la proposition de Satan et – apparemment – Il a commis une injustice. Ne l’oubliez pas : Dieu a accepté la proposition du démon. Et Job a compris la leçon, parce que, comme nous, il péchait par orgueil en croyant qu’il était un homme bon. Or, « personne n’est bon », dit le Seigneur. Personne. Cessons donc de feindre une bonté qui offense Dieu et acceptons nos fautes. Si un jour nous devons accepter une proposition du démon, nous nous rappellerons que le Seigneur, qui est dans les cieux, l’a fait pour sauver l’âme de Job, Son serviteur. »

Le sermon était terminé. Avant de continuer de célébrer la messe, le curé demanda à tous les fidèles de rester debout, il était sûr d’avoir réussi à faire passer le message.

14

— Allons-nous-en. Chacun de son côté, moi avec mon lingot d’or, vous…

— Mon lingot d’or, trancha l’étranger.

— Vous, il vous suffit de prendre votre sac à dos et de disparaître. Si je ne garde pas cet or, je devrai retourner à Bescos. Je serai congédiée, ou couverte d’infamie par toute la population. Tout le monde croira que j’ai menti. Vous n’avez pas le droit, simplement vous ne pouvez pas me faire une chose pareille. J’ai fait ma part, je mérite d’être récompensée.

L’étranger se mit debout, ramassa quelques branches, en fit une torche qu’il enflamma.

— Le loup aura toujours peur du feu, n’est-ce pas ? Moi, je retourne à l’hôtel. Faites ce que vous jugez bon, volez, prenez la fuite, cela ne me regarde plus. J’ai autre chose d’important à faire.

— Un instant, ne me laissez pas seule ici !

— Alors venez avec moi.

Chantal regarda le feu, le rocher en forme de Y, l’étranger qui s’éloignait avec sa torche.

— Attendez-moi ! cria-t-elle.

Prise de panique, elle déterra le lingot, le contempla un instant, le remit en place, à son tour ramassa quelques branches pour en faire une torche et courut dans la direction qu’avait prise l’étranger. Elle se sentait déborder de haine. Elle avait rencontré deux loups le même jour, l’un qui avait peur du feu, l’autre qui n’avait plus peur de rien parce qu’il avait perdu tout ce qui était important à ses yeux et qui désormais avançait à l’aveuglette pour détruire tout ce qui se présenterait devant lui.

Chantal courut à perdre haleine, mais ne réussit pas à rattraper l’étranger. Peut-être s’était-il enfoncé au cœur de la forêt, laissant sa torche s’éteindre, pour défier le loup à mains nues. Son désir de mourir était aussi fort que celui de tuer.

Elle arriva au village, feignit de ne pas entendre l’appel de Berta, croisa la foule qui sortait de la messe, étonnée de voir que pratiquement tous les habitants y avaient assisté. L’étranger voulait un crime ; résultat, il avait ramené sous la houlette du curé des paroissiens qui allaient se repentir et se confesser comme s’ils pouvaient leurrer Dieu.

Tous lui jetèrent un bref coup d’œil, mais personne ne lui adressa la parole. Elle soutint sans ciller tous les regards parce qu’elle savait qu’elle n’avait aucune faute à se reprocher, elle n’avait pas besoin de se confesser, elle n’était qu’un instrument dans un jeu pervers qu’elle découvrait peu à peu – et qui lui déplaisait de plus en plus.

Elle s’enferma dans sa chambre et regarda par la fenêtre. La foule s’était déjà dispersée. C’était bizarre, d’habitude des groupes se formaient pour discuter sur cette place où un calvaire avait remplacé une potence. Pourquoi le village était-il désert alors que le temps s’était radouci, qu’un rayon de soleil perçait les nuages ? Justement, fidèles à leur habitude, ils auraient pu parler du temps. De la température. Des saisons. Mais ils s’étaient dépêchés de rentrer chez eux et Chantal ne savait pas pourquoi.

Pensive, elle resta un long moment à la fenêtre. Elle finit par se dire que, dans ce village, elle se sentait comme les autres, alors que, en fait, elle se jugeait différente, aventureuse, pleine de projets qui n’étaient jamais passés par la tête de ces péquenauds.

Quelle honte ! Et en même temps, quel soulagement ! Elle se trouvait à Bescos, non à cause d’une injustice du destin, mais parce qu’elle le méritait, parce que maintenant elle acceptait de se fondre dans la masse.

Elle avait déterré trois fois le lingot, mais elle avait été incapable de l’emporter. Elle avait commis le crime dans son âme, mais elle n’arrivait pas à le matérialiser dans le monde réel. Tout en sachant qu’elle ne devait pas le commettre de quelque façon que ce soit, car ce n’était pas une tentation, c’était un piège.

« Pourquoi un piège ? » pensa-t-elle. Quelque chose lui disait qu’elle avait vu dans le lingot la solution du problème que l’étranger avait posé. Mais elle avait beau tourner et retourner ce problème, elle ne parvenait pas à découvrir en quoi consistait cette solution.

Le démon fraîchement débarqué regarda de côté et vit que Mlle Prym, qui tout à l’heure menaçait de briller de plus en plus, maintenant était en train de vaciller, elle allait s’éteindre : dommage que son compagnon ne soit pas là pour voir sa victoire.

Ce qu’il ne savait pas, c’était que les anges eux aussi ont leur stratégie : à ce moment, la lumière de Mlle Prym s’était voilée juste pour ne pas susciter la réaction de son ennemi. Son ange ne lui demandait qu’une chose : qu’elle dorme un peu pour pouvoir converser avec son âme, sans l’interférence des peurs et des fautes dont les êtres humains adorent porter le faix tous les jours.