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Balthazar estimait qu’il n’avait pas l’âge pour une pareille expérience. Il se dit qu’il était temps de quitter le quartier et d’aller rejoindre Gisèle. Au fond il n’était pas fait pour ce genre d’aventures. Passe encore de mettre son nez un peu plus loin qu’il ne faudrait, mais cette série de meurtres ne lui disait rien du tout. Il était dépassé par les événements.

Il fendit la foule encore plus rapidement et arriva à la station de taxi, place Blanche. Le premier chauffeur se refusa absolument à l’embarquer, estimant la course dérisoire. Il finit par sauter carrément dans un taxi en maraude et prendre l’air méchant. Le bonhomme n’osa protester et le livra entier à la porte de Gisèle.

C’était là qu’il fallait faire gaffe. En plein jour, monter dans un hôtel, ça va encore, mais la nuit ce n’est pas pareil. Et même si le taulier l’apercevait, les explications seraient difficiles.

Un avis, qui avait force de loi, collé contre le mur, affirmait qu’il était interdit aux étrangers à l’hôtel de rester dans les chambres des locataires passé dix heures.

Tu parles ! elles étaient loin, les dix heures ! Il était au moins deux heures et demie du matin.

Naturellement, la porte était fermée. En d’autres temps, Balthazar n’aurait peut-être pas osé faire la moindre chose, il aurait tourné les talons et aurait filé en mâchonnant sa rancœur. Mais au point où il en était, il ne pouvait plus hésiter, il jouait son dernier atout. Il fallait tenter le coup. Il ne pouvait aller nulle part, même pas à l’Armée du Salut où ils sont, comme chacun sait, encore plus indicateurs de police que n’importe quel taulier, même le plus vicieux. Il ne lui restait que Gisèle et il fallait prendre rapidement une décision.

Comme tous les faibles, ça lui demandait beaucoup d’efforts, au départ, mais ensuite, lorsqu’il partait sur sa lancée, une locomotive venant en sens inverse ne l’aurait pas arrêté.

Il s’approcha carrément de la porte et sonna. Le panneau joua avec un claquement sec, tandis que la lumière s’allumait. C’était tout ce qu’il y avait de moins souhaitable, mais maintenant il lui était impossible de reculer : la porte venait de se refermer derrière lui.

Il bredouilla un nom incompréhensible et commença à grimper l’escalier, le plus rapidement possible. Au rez-de-chaussée, personne ne broncha. Le taulier ne s’était même pas réveillé. Il avait instinctivement ouvert la porte, puis il s’était rendormi sans même prendre garde au client qui entrait.

Au premier étage, Balthazar ralentit son pas et essaya de faire encore moins de bruit. Il montait lentement, la main sur la rampe, l’œil mobile. Il essayait de mettre son pied à l’endroit qui ne craquerait pas, mais, comme toujours en ces cas-là, à chaque marche, un claquement de fouet déchirait le silence. Il avait beau tâter auparavant, de la pointe de son soulier, ça ne lui donnait aucune indication valable. Le terrain qui, à première vue, semblait aussi sûr qu’un boulevard se révélait traître comme une plage bretonne.

Et ce n’était pas fini. Gisèle habitait au quatrième. Il y avait quarante-huit marches depuis le rez-de-chaussée, ce qui équivalait à quarante-huit coups de feu, sans parler des lattes du palier qui n’étaient guère plus discrètes.

Enfin Balthazar débarqua au quatrième, juste comme la minuterie, ayant jugé son travail suffisant, s’éteignait.

Balthazar tourna à gauche et suivit le couloir. Le plus grand danger, c’est-à-dire le taulier, était passé. Il n’avait plus à se gêner, en somme.

Il partit à tâtons et, tout à coup, il s’arrêta brusquement. Son cœur sautait dans sa poitrine. Une lame d’or glissait au-dessous de la porte de Gisèle. Sans doute n’était-elle pas encore couchée.

Un murmure étrange venait de la pièce, saccadé, haletant. En même temps, Balthazar entendait le grincement rythmé d’un sommier métallique.

Cela pouvait venir d’une autre chambre. Elles étaient toutes sans reflet, sur le palier ; mais ça ne prouvait rien, au contraire.

Balthazar avait l’intuition très nette que cela venait de la pièce qu’occupait Gisèle.

Il se rapprocha rapidement et écouta. Il n’y avait plus de doute, le bruit venait de là. Quelque chose de cruel lui tordit le cœur. En même temps, il lui sembla qu’une immense faiblesse s’emparait de ses jambes, comme si toute sa vie pesait sur elles, tout à coup. Puis une sorte d’incendie grimpa le long de ses mollets, en frissons courts, escalada son ventre et se perdit dans ses cheveux. On aurait dit que le sol devenait électrique.

Il mit la main sur la poignée de la porte et la tourna. La porte s’ouvrit. Dans leur fièvre, les autres n’avaient pas pensé à la fermer à clef.

Balthazar ne vit d’abord que le dos d’un homme, nu. Deux jambes fines se nouaient autour de ses cuisses. On aurait dit qu’il dansait. Des bras de femme serraient son dos et, au-dessus de l’épaule, Balthazar vit le visage crispé de Gisèle.

Ses yeux étaient fermés et sa bouche ouverte laissait échapper le gémissement que Balthazar avait d’abord entendu. La fille griffait le dos de l’homme et ses hanches se cambraient selon un rythme précis.

Balthazar était debout au milieu de la pièce, les jambes écartées, hagard, le chapeau en arrière. Dans sa main droite, son mauser tremblait. Des mèches brunes et trempées sortaient de la coiffe de son chapeau, balayaient son front trempé à la fois de sueur et de pluie.

— Salauds ! hurla-t-il.

La fille arrêta net son mouvement voluptueux et ouvrit les yeux. Elle ne cria pas. On aurait dit que quelque crabe géant lui serrait la gorge.

Son partenaire glissa sur le côté et, lui aussi, ouvrit des yeux ronds. Il ne connaissait pas Balthazar et ignorait même son existence. Il ne comprenait pas cette intrusion.

Et ce qu’il comprenait encore moins c’était la présence de cet énorme revolver, dans la main de l’homme. Il était encore sous l’influence du désir et tout ce qui n’était pas ce désir lui était étranger.

Mais peu à peu, il réalisait qu’il s’était fourré dans un sale pétrin. Ce type-là, sans aucun doute, avait des droits sur cette fille. Lui, évidemment, il n’y pouvait rien. S’il fallait demander à chaque femme qui vous reçoit dans son lit où elle en est avec son dernier amant, ce serait fastidieux et fort décevant.

— Ne tirez pas ! cria-t-il.

— Lève-toi, Gisèle, dit Balthazar.

Elle ne reconnaissait pas la voix. Celle-ci avait un timbre métallique qu’elle ne lui avait jamais connu, même aux pires moments. En outre, il parlait doucement, à voix presque basse et c’est précisément ce qui l’inquiétait. Instinctivement, elle savait que les gens qui hurlent sont rarement les plus dangereux. Avec eux, ça finit toujours par s’arranger. Ce sont les autres qui sont mauvais. Ils portent en eux une détermination que rien ne peut ébranler. Et, en effet, peu à peu la main de Balthazar s’affermissait. Le revolver ne tremblait plus.

Ses lèvres se plissèrent en un rictus amer.

— Je t’aimais, Gisèle. Tu étais le seul être au monde qui me restât.

— Balthazar ! cria-t-elle.

Elle sauta du lit et essaya de s’approcher du jeune homme. Mais il la repoussa et elle alla heurter le mur. Elle n’osa plus avancer et se tint toute droite, une main essayant de cacher son ventre souillé.

— Ne tirez pas ! répéta le type, affolé.

— Toi, ta gueule ! répondit Balthazar.

Il leva son automatique et fit feu. La première balle déchiqueta l’épaule gauche du mec. La main de Balthazar n’était pas encore tout à fait sûre. Le deuxième pruneau traversa la poitrine ; mais, avant que le type se soit écroulé, le jeune homme eut encore le temps de lui placer une balle juste dans le bas-ventre, à un endroit précis.