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L’autre ne pouvait même plus hurler. Le sang coulait de sa poitrine et de sa bouche. Ses deux mains se pressaient sur son ventre et le sang giclait, entre ses doigts, à chaque foulée du cœur.

Il n’était pas beau à voir, la bouche ouverte, sanglante, les yeux exorbités par l’épouvante. Et, nu, il s’avançait vers Balthazar comme un fantôme torturé. Une quatrième balle lui fit sauter la boîte crânienne et l’homme s’écroula.

Gisèle n’avait même plus la force de hurler. Elle s’était réfugiée dans un angle de la pièce et essayait, aurait-on dit, d’entrer dans le mur. Ses mains avaient abandonné son sexe et elle mordait tellement ses doigts que le sang coulait le long des phalanges.

— Non ! souffla-t-elle… non, Balthazar, je ne veux pas… je t’en supplie, je ne veux pas.

Balthazar leva lentement son feu. Il n’avait plus de pitié et peut-être plus de haine. Est-ce qu’on avait eu de tels sentiments à son égard ? Est-ce qu’il avait seulement droit, maintenant, à des sentiments pareils ? Il était un type foutu, il le savait bien et il n’y avait aucune raison pour que les autres ne soient pas foutus en même temps. Ce ne serait que justice. Ils lui en avaient assez fait baver, les autres, alors qu’il était sans défense. Maintenant c’était à lui de rigoler. Et il avait l’intention de rigoler, précisément.

Il avait même commencé à se marrer il y avait quelques jours de ça, lorsqu’il avait liquidé Moreno.

Ça, c’était le premier pas. Les autres avaient suivi, comme les anneaux d’une chaîne.

Et maintenant, il était lancé. Rien ne pourrait plus l’arrêter. Il allait épurer ce quartier de putains et de salopards, on allait voir comment. Chacun pourrait, désormais, faire gaffe à sa barbaque.

— Non ! supplia Gisèle.

— Tais-toi ! murmura Balthazar, d’une voix rauque.

À nouveau, il leva son feu et le pointa sur la poitrine de la fille. Il visait la pointe du sein gauche, le premier sein qu’il avait vu, lorsqu’elle était devenue sa maîtresse, le premier soir où il l’avait déshabillée. C’était un souvenir trop doux et trop précis.

Le Don Juan étendu sur la descente de lit achevait de rendre l’âme et le raisiné.

Les coups de feu éclatèrent comme des pétards. La première balle pénétra, en effet, dans le sein gauche, l’autre dans le nombril.

Les yeux de Gisèle s’agrandirent encore. Tout cela lui paraissait invraisemblable. Elle ne parvenait pas à admettre qu’il puisse, lui arriver à elle un de ces trucs qu’on voit dans les journaux et dans les romans.

D’autant plus qu’elle n’avait pas mal. Les blessures lui avaient fait à peu près le même effet qu’un coup de bâton. C’est après que ce serait douloureux. Ça l’aurait même presque laissée sans inquiétude, si elle n’avait pas senti l’air pénétrer en sifflant dans sa poitrine trouée. Et le sang ruisselait de son sein crevé.

— Balthazar ! souffla-t-elle, d’une voix déjà éteinte, je t’aimais, Balthazar !

Et elle se mit à pleurer, silencieusement.

Une détresse immense envahit Balthazar. Il ne pouvait plus voir ce corps sanglant, qu’il avait tant aimé, ni ces yeux suppliants.

Une nouvelle fois, il leva son mauser et tira. Cette fois, comme pour l’homme, la balle pénétra en plein front.

Le visage de Gisèle devint immédiatement écarlate et elle plongea en avant, foudroyée.

Balthazar ne jeta même pas un regard derrière lui. Il referma la porte et descendit, le calibre en batterie. Mais personne ne l’inquiéta. Il ne devait y avoir aucun locataire au quatrième étage et, au-dessous, personne n’avait entendu les détonations. Quant au patron, il dormait toujours du sommeil de l’innocence.

Et Balthazar reprit sa route sous la pluie.

XVII

Au sortir de l’hôtel, Balthazar alluma une cigarette. Sa main ne tremblait pas. Il était très calme. Tout ce qui venait de se passer et même tout ce qui était arrivé, depuis le crépuscule, lui semblait irréel, invraisemblable. C’était comme ces cauchemars, dont on n’arrive pas, au réveil, à effacer le souvenir.

Il marchait comme un somnambule, le regard fixe. Mais tous ses muscles étaient à sa disposition. Dans la foule qui commençait à mincir, il passait inaperçu.

En outre, dans sa bouche, il avait ce terrible goût de sang et de cendre que donne l’alcool et, que rien ne pouvait enlever.

Il ne se demandait même pas ce qu’il allait faire. La question ne se posait plus. Maintenant, il était nettement foutu et, ce qui était pire, il le savait. Il savait que sa route se dirigeait vers l’aube et qu’elle finirait au bout de la nuit, lorsque les chimères auraient plié bagage et que la réalité reprendrait sa place.

Il pleuvait toujours. Une petite pluie froide et furtive. C’était par un temps pareil et par une nuit comme celle-ci qu’il avait rencontré Gisèle. Il y avait combien de temps ? Il n’en savait plus rien. Et d’ailleurs cela avait-il tellement d’importance ?

Il marchait toujours, croisait des ivrognes, des passants trop gais, des couples fatigués qui regagnaient hâtivement leur domicile.

Peu à peu, la nuit devenait plus déserte, à mesure qu’il approchait de Barbès. Des filles, sous les porches, recroquevillées sous des parapluies, lui souriaient ou l’interpellaient. Mais il passait. Il n’avait plus envie des filles. Il avait envie de soleil. Tout ce qu’il souhaitait maintenant, c’était de reposer ses regards sur une mer bleue, allongé à l’ombre d’un palmier. Demain, il partirait vers le Midi. Ce n’était pas très compliqué. Il y avait des bus qui vous emmenaient à Nice pour moins de quatre sacs. Là-bas, il se débrouillerait. De toute manière, il ne se défendrait pas plus mal qu’à Paris. Ce qu’il fallait, c’était avoir le courage de s’arracher à cette atmosphère de brouillard, de limonade et de crapule. Ailleurs, il serait libre et aussi neuf qu’un premier communiant.

Cette pensée lui donna des forces nouvelles. Il releva la tête et accéléra le pas. Il oubliait sa fatigue, sa rancœur et sa haine. Il oubliait même qu’il ne savait pas où poser sa tête, ce soir.

Ce serait bien le diable si les flics le cherchaient là-bas. Ils devaient penser qu’il resterait à Paris. Il y a des destinées auxquelles on n’échappe pas. Et il sortirait de tout ce pastis avec la plus grande des facilités. Il fallait recommencer, voilà ; il fallait revenir sur ses pas et reprendre la vie par le bon bout. Il connaissait des tas de copains qui avaient été à l’école ou à la caserne avec lui, qui avaient son âge, par conséquent, et qui s’en tiraient parfaitement. Il fallait scier avec Pigalle, avec les filles trop fardées, les boîtes de nuit et les bars louches. Toute la question était là.

La pluie, peu à peu, s’épaississait et, peu à peu, les rues se vidaient. Dans l’espace d’un quart d’heure, ce quartier, si animé, ressembla à une ville morte. C’était samedi, les gens étaient partis se coucher, pleins de l’ivresse factice que les cinémas, les théâtres ou les cabarets leur avaient donnée. Demain, c’est-à-dire tout à l’heure, ce serait dimanche. Ils feraient la grasse matinée dans les bras de la femme qu’ils aimaient ou qu’ils désiraient et devant eux s’ouvrirait une journée nouvelle, gonflée elle aussi de plaisirs, comme un fruit mûr. On pourrait toujours marcher dans leur corridor, on pourrait toujours frapper à leur porte, ça n’aurait aucune importance, ils n’attendaient personne, et surtout pas les flics.

Bien sûr, Balthazar s’en rendait compte. Il n’était pas le seul, à l’heure actuelle, à traîner sur ses talons la meute déchaînée des flics. Mais les autres, ils avaient des planques, des copains prêts à les héberger, tout un choix d’espoirs déployés devant eux, comme un éventail de cartes.