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— Et vous ?

— Je te suis.

Il la jeta littéralement vers la rue, juste au moment où le patron ouvrait le bal. Mais son vieux pétard avait vraiment la détente trop dure. Chaque fois, il fallait faire un tel effort avec le doigt pour appuyer sur la gâchette que le tir était complètement déréglé. La première balle passa au moins à vingt centimètres de la tête de Balthazar et alla s’enfoncer dans le mur.

Si la gosse avait été là, c’était elle qui morflait.

La deuxième balle se fit attendre parce qu’il fallait, chaque fois, relever le chien d’un coup de pouce.

Il restait encore trois balles à Balthazar. Il leva son mauser et tira. Le gros type reçut les plombs chauds au milieu de la poitrine. Il lâcha son revolver, plaqua ses paumes sur sa blessure, comme si ç’avait été un sexe et regarda autour de lui avec des yeux ronds. Un filet de bave coulait de ses lèvres.

Puis il se laissa glisser doucement le long du comptoir, sans oublier de casser encore deux ou trois bouteilles.

Le bistrot était désormais désert. Balthazar était seul, debout, au milieu de la salle, comme le survivant d’un cataclysme. Il s’aperçut que le téléphone était décroché.

À qui le patron avait-il eu l’intention de téléphoner avant de faire le grand saut ? Ça ne pouvait être qu’aux poulets. Ce n’est pas au milieu d’une fusillade qu’on passe un coup de fil à des copains pour les inviter à dîner. Et, dans ce cas, les flics avaient assisté à toute la bagarre, en quelque sorte. Ils allaient rappliquer ici ventre à terre.

Balthazar s’approcha du bar, fourra le mauser dans sa poche et saisit l’écouteur. Le silence. Puis, tout à coup, une voix rude s’éleva.

— Qu’est-ce qui se passe, chez vous ? Est-ce que vous vous foutez du monde ou quoi ?

Ça, c’était un poulet. Il n’était pas nécessaire d’avoir fait des études de psychologie bien poussées pour s’en rendre compte.

— Il y a du pétard chez moi, chef, répondit Balthazar, automatiquement. Quatre bonshommes viennent de se fusiller.

— Et c’est où, chez vous ?

Il donna une adresse bidon, quelque part du côté de la Villette. De toute façon, ça ferait perdre du temps aux hirondelles. Mais il ne fallait pas se faire d’illusions. D’abord, tous les flics du quartier devaient être sur les dents, ensuite le type qui avait passé la porte le premier était peut-être allé les chercher, et enfin, par le central téléphonique, les poulets finiraient bien par savoir qui leur avait téléphoné.

Balthazar enfonça son chapeau sur sa tête et sortit. Il pleuvait toujours et la nuit était déserte. Quelques ombres rôdaient, cependant, très loin, à l’autre bout de la rue. Il entendit des volets claquer et une voix hystérique se mit à appeler au secours.

Rien n’était aussi sinistre, à travers la bruine, que cette voix affolée qui hurlait à la mort.

Balthazar hâta le pas. Il ne savait pas où il allait, il ne savait pas du tout où allait le mener cette course désordonnée. C’était comme s’il avait marché dans une flaque de sang et qu’il laissait des traces à chaque pas. Il suffisait qu’il entre quelque part, qu’il ébauche le moindre geste et un homme tombait. Cette nuit, sa route était jalonnée de cadavres.

Il n’avait pas voulu cela. Il y a des types qui partent, comme ça, avec l’intention de tout bouziller, de liquider le maximum de gens, mais pour lui, ce n’était pas le cas. Au fond, il s’en rendait compte maintenant, c’était un timide. Tout l’impressionnait et c’est peut-être à cause de cette timidité qu’il en était arrivé là. S’il avait eu plus de cran, d’abord il ne serait jamais entré dans la bande à Scipioni, ensuite il n’aurait pas dessoudé Moreno.

Or, tout découlait de la mort de Moreno. Ce soir-là, il aurait mieux fait de filer à la campagne et de laisser tomber. Il avait suffisamment de galette sur lui pour vivre tranquille pendant trois ou quatre mois, sans casser les glaces, bien sûr, mais confortablement. Les flics ne connaissaient pas sa collusion avec Scipioni et ils lui auraient fichu une paix royale. Maintenant, c’était trop tard. Il était pris dans la ronde infernale. Il était fatal qu’à force de piétiner, il laisse des traces. De plus, les flics étaient allés sûrement interroger Scipioni, et le Rital avait dû s’allonger. Il n’avait aucune raison de le ménager, lui, Balthazar, au contraire. En le jetant dans les pattes des bourres, non seulement il tirait son épingle du jeu, mais encore il passait pour une victime.

Et maintenant, pour couronner, voilà qu’il achevait la fête en massacrant quatre bicots ! Lorsque les perdreaux lui mettraient la main au collet, il pourrait se faire beau pour aller baiser la Veuve. Il y avait droit.

Et pourtant il n’y pouvait rien, bon Dieu ! Il n’était absolument pas responsable de tout ce qui était arrivé. C’étaient les autres qui étaient venus le chercher. Mais il avait tout de même suffisamment l’habitude de la Justice. Il savait que pas un juge d’instruction ne le suivrait sur ce terrain. Et le jury encore moins.

Il serait trop heureux, ce jury, de se donner de l’importance en lui attribuant les pires défauts. Ces braves gens aiment ça, juger les tueurs. Ça leur donne des justifications et des sujets de conversation. Ils peuvent ensuite parader dans le quartier, raconter cent fois à leur bourgeoise et à leurs gosses les détails de l’audience.

— Et alors, j’ai demandé…

Cela dit avec un de ces petits airs malins qui situent tout de suite le degré d’intelligence du monsieur.

Et lui, maintenant, Balthazar, il était un tueur, précisément. Un loup en liberté, un type dangereux. Son signalement devait flotter dans les airs, sur la longueur d’onde des voitures de la police. Et, à chaque pas, des hommes tombaient. Il avait tout le monde contre lui, même les pires crapules du Milieu. Il était banni, définitivement éjecté. Il était aussi dangereux d’être son ami que son ennemi. Ça tombait sous le coup de la loi. Recel de malfaiteurs, qu’ils appelaient ça. Celui qui lui ouvrirait une chambre, lui offrirait un lit, le recevrait à sa table, risquerait un ou deux ans de prison. Une bête fauve, je vous dis.

Balthazar n’arrivait pas à imaginer cela. Il n’avait pourtant pas tellement changé, depuis le matin, ni même depuis huit jours. Ce qu’il avait fait lui paraissait anodin irréel. Si on voulait écouter franchement ses explications, sans parti pris, on lui trouverait des tas d’excuses, et tellement de circonstances atténuantes qu’on l’acquitterait.

Seulement personne ne l’écouterait jamais plus sans parti pris. Il était un assassin, l’homme qui a tué. En le regardant, on chercherait sur son visage, les traces de son hérédité ; dans ses yeux, la folie rouge ; et sur ses mains, le sang.

Et pourtant, il était un homme comme les autres. Il avait faim, il avait froid, il était éreinté et il avait besoin d’amour.

En plus de ça, il pleuvait toujours et ses vêtements commençaient à s’alourdir. Très loin, dans son dos, il entendit hurler les sirènes des voitures de la police. Ils devaient tous rappliquer sur les lieux, en toute hâte. Et la chasse allait reprendre, de plus en plus active, de plus en plus serrée.

Il coupa par une rue transversale et s’arrêta pile, prêt à fuir. Une ombre venait lentement à sa rencontre.

XX

Lorsque le commissaire Barral revint à son bureau, vers midi, il y avait deux nouveaux dossiers qui l’attendaient, ainsi que le rapport du médecin légiste.

Un des dossiers concernait les assassinats de Gisèle et de son amant, l’autre le massacre du bistrot arabe. Chaque fois, on avait vu disparaître un homme jeune, vêtu d’un imperméable cachou et coiffé d’un chapeau marron.

Ça ne faisait pas de doute, c’était le même gars qui avait opéré de part et d’autre.