— J’en sais rien.
— Alors, je repasserai. Merci.
Le mec, à nouveau, toucha le bord de son chapeau, referma la porte et disparut.
— Qu’est-ce que tu dis de ça ? demanda Noue à son collègue.
L’autre haussa les épaules et ne répondit pas, mais ses yeux brillaient.
René traversa la rue en courant, à cause de l’averse qui, maintenant, tombait drue. Il se jeta dans le tabac en face et commanda un pastis. Puis il partit au téléphone.
Il n’avait pas plutôt disparu que les deux poulets entraient à leur tour et demandaient des demis.
— Il s’est taillé, je te dis, dit Renaud.
— Ça m’épaterait, répondit l’autre. On est sortis derrière lui et la rue était vide. Il ne s’est pas envolé, non ? Je te dis qu’il est ici. Avec toute la flotte qui dégringole, il n’a pas dû aller bien loin.
Malgré l’heure, la salle était vide. Il n’y avait, au fond, bien serré sur la moleskine, qu’un couple d’amoureux. Le garçon arriva avec un verre, le posa sur le zinc, revint avec une bouteille de pastis et une carafe d’eau, comme s’il servait un fantôme.
Noue cligna de l’œil et désigna le verre à Renaud.
— Vise un peu, dit-il. Ce verre-là, je te parie ce que tu veux que c’est pour lui. Il est soit aux lavabos, soit au téléphone. Moi, je penche pour le téléphone.
— Où vas-tu ? demanda Renaud, comme son copain s’éloignait.
— Je vais me rencarder.
Noue poussa la porte des waters. Ils étaient séparés du téléphone par une mince cloison. On entendait très bien tout ce que l’autre racontait. Malheureusement, le flic arrivait à la fin de la conversation. Le gars, apparemment, parlait à une femme, puisqu’il l’appelait chérie. Ça devait être la serveuse du bar à Scipioni, ou une autre frangine qui était mouillée dans le coup sans que la police le sache. En tout cas, ce qui était net, c’est qu’il lui passait la consigne en ce qui concernait Balthazar.
Et tout à coup, la mémoire revint à Noue. Ce type-là était René, un des lieutenants de Scipioni. Il s’en souvenait maintenant. Il avait déjà eu affaire à lui, mais le mec avait réussi à s’en tirer.
C’était le moment ou jamais de l’avoir.
Noue resta dans les lavabos. Il attendit que l’autre ait raccroché. Juste comme René sortait de la cabine, il se trouva nez à nez avec, lui, revolver au poing.
— Salut, René, dit doucement Noue avec un sourire. Lève un peu les mains, s’il te plaît. Tu seras gentil tout plein.
René grogna quelque chose, fit un pas en arrière et son pied atteignit le flic juste dans le bas-ventre. L’inspecteur hurla, laissa tomber son feu et se plia en deux. Il eut quand même la force d’atteindre son sifflet et se mit à appeler.
René sauta par-dessus le poulet et fonça en courant à travers la salle vide.
Les amoureux, terrifiés, se blottirent plus fort l’un contre l’autre.
Renaud bondit à l’entrée de la salle et défourailla. René venait vers lui à toute vapeur, comme une locomotive.
— Halte ! cria Renaud.
Pour toute réponse, l’autre tira. La balle passa à deux doigts de la tête du flic et alla se piquer dans la boiserie. Renaud riposta.
Le truand s’arrêta pile, lâcha sa pétoire, et se mit à tousser. Enervé, le flic remit la gomme. René sursauta, ouvrit des yeux ronds et plongea en avant. Quand le poulet arriva sur lui, il était déjà mort.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? hurla le patron, qui avait quand même eu le culot de contourner son zinc.
Renaud sortit sa carte, barrée de tricolore, et la lui mit sous le nez.
— Police, dit-il. Téléphonez au commissariat le plus proche.
XXIV
Quelque chose chatouillait la joue de Balthazar. Quelque chose d’inhabituel et qui sentait bon. Il ouvrit un œil et vit une chevelure brune posée sur le traversin, juste à côté de lui.
Il leva la tête et aperçut le visage endormi de Simone. Le drap avait glissé et découvrait ses seins. Elle avait gardé ses bras serrés autour du cou du jeune homme, comme elle s’était endormie juste après le plaisir.
Balthazar se dégagea lentement et essaya de se souvenir. La fatigue l’écrasait. Un jour gris glissait à travers les persiennes closes. Il devait être tard.
Il sauta du lit et regarda l’heure. Bon sang ! dix heures un quart ! Simone ne s’était même pas réveillée. Elle avait soupiré, s’était tournée de l’autre côté et rendormie immédiatement.
Balthazar passa rapidement ses frusques encore trempées. Il s’agissait de ne pas s’attarder ici. Il ne savait pas comment ça allait se passer et, en principe, tout devait s’arranger, au moins pour la journée. C’est seulement la nuit que les flics s’occupent des hôtels et de leurs locataires, pas le jour. Il était tranquille jusqu’au soir.
Seulement, c’était comme ça ; il ne pouvait plus rester dans une pièce fermée, maintenant ; il étouffait, il avait l’impression que chaque pas, derrière la porte, était celui d’un ennemi. Peut-être que c’était trop, déjà, un avant-goût de la cellule ?
Lorsqu’il fit couler l’eau du lavabo, Simone se réveilla. Elle s’étira et, lorsqu’elle l’aperçut, elle essaya de cacher ses seins. Mais elle se souvint sans doute de ce qui s’était passé quelques heures plus tôt. Son ventre lui faisait mal et ses cuisses étaient meurtries. Elle perdit d’un seul coup toute pudeur et s’assit sur le lit.
— Tu t’en vas déjà ?
— Et comment ! fit-il. On s’est endormis, mon petit chat. Pour moi, il vaut mieux que je ne reste pas trop longtemps, c’est dangereux.
— Attends-moi, dit-elle, je veux partir avec toi.
Il hésita. Elle ne l’intéressait guère, après tout. Et même, elle constituait un handicap. Une femme, c’est une catastrophe pour un homme traqué. Quand on est en cavale, il vaut mieux être seul.
Balthazar poussa les persiennes. Un jour triste entra dans la chambre qui, de ce fait, parut encore plus sinistre.
La fenêtre donnait sur la rue. L’homme se pencha. Elle était déserte. À peine si, de loin en loin, un passant frileux rasait les murs, les mains dans les poches, le col relevé, trottant vers quelles occupations ?
Seulement une voiture noire était arrêtée au bord du trottoir. Et cette bagnole, elle ne lui disait rien qui vaille, à lui, Balthazar. Ça pouvait aussi bien être une traction de la police. Elle était rangée à deux pas de la porte.
Balthazar recula et ferma à demi les persiennes. Il était comme une bête qui se cache dans son trou. Cette satanée trottinette avait démoli son optimisme.
Bien sûr, ça pouvait être un commerçant quelconque, un représentant, un bourgeois, un type sans importance ; mais cette voiture, il ne savait pas pourquoi, le terrifiait.
Il atteignit la bouteille de cognac qu’il avait fait monter, la veille, et s’en servit un grand verre. Puis il se laissa tomber sur le lit.
— Tu vas te faire du mal, dit Simone.
Il ne répondit même pas. Il avait besoin de soigner le mal par le mal. D’abord, étouffer la peur qui le reprenait et, ensuite, effacer ce goût de cendre que la gueule de bois lui mettait dans la bouche. Il savait qu’avec un verre d’alcool, il retrouverait son équilibre.
Simone était debout au milieu de la pièce, nue. Elle lui tournait le dos. Elle avait les épaules assez larges, de beaux bras, et une croupe évasée, comme une amphore. Il ne l’avait jamais vue ainsi. Elle avait été nue dans ses bras, bien sûr, mais pas comme ça. À ce moment-là, elle était couchée sur le dos, les jambes ouvertes, les seins érigés et son bras cachait son visage honteux.
Maintenant, il la connaissait toute, mieux même que cette nuit. Une bouffée de désir monta à son front et il sentit son visage s’empourprer. Il avait à nouveau envie d’elle.