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Mais il y avait des pas dans l’escalier et tous ses nerfs se tendirent vers la porte, vers les bruits du palier.

✴ ✴ ✴

— Vous croyez qu’il va faire des histoires, brigadier ? demanda un jeune inspecteur.

— Non. C’est un pauvre type, mais de toute manière, il vaut mieux prendre des précautions. Il y a des mecs qui perdent la tête et le diable seul sait de quoi ils sont capables à ce moment-là.

L’inspecteur fit glisser la culasse de son Saint-Étienne et le glissa dans la poche de son pardessus.

C’était un gars qui avait trop lu de romans policiers. Il était farci d’une littérature où il n’était question que de poursuites, de fusillades, de tueurs, d’agents secrets et de caïds de quelque chose.

Depuis qu’il était à la Grande Maison, il n’avait connu rien de semblable. Rien que des affaires comme celle-ci, par exemple : l’arrestation d’un petit comptable d’entreprise qui a fait la malle avec le pognon du patron pour pouvoir entretenir une putain de Montparnasse.

Et si encore elle était belle, cette putain ! On se demandait ce qui l’avait pris, ce pauvre gars, marié avec une femme qui valait dix fois l’autre, même au point de vue beauté, propriétaire d’un pavillon à Fontenay. Tout pour être heureux, quoi. Tout ce qui, en tout cas, le rendrait heureux, lui, le jeune inspecteur fauché et timide.

— Comment qu’il s’appelle, déjà ?

— Benoist. Henri Benoist. Il perche au trente-six, au troisième étage.

Le taulier ne savait plus que faire. Ce n’est jamais marrant de voir les poulets débarquer dans une boîte et tout mettre en l’air. Ça ne fait pas sérieux et ça fait cavaler les clients. Sans compter qu’il n’était pas tellement en règle, lui. Notamment le jeune homme qui était couché avec Simone n’avait pas rempli sa fiche, ce matin, en la raccompagnant. Ce qu’ils pouvaient faire ensemble, il s’en foutait. Il n’était pas payé pour veiller sur la vertu de ses clientes. Et d’ailleurs, la vertu des filles, lorsqu’elles sont majeures, ça fait partie du domaine public. Mais cette histoire de fiche de police…

— Allons-y, dit le brigadier.

✴ ✴ ✴

Balthazar colla son oreille à la porte. Les pas montaient toujours, et ils étaient nombreux. On frappa rudement à une porte de l’étage au-dessous.

Il y eut des trépignements, un murmure, puis une voix rude cria :

— Ouvrez ! Police !

Balthazar blêmit et recula. Il ne savait plus où se fourrer. Il n’avait aucune issue. Il était coincé dans cette chambre comme un renard dans son trou.

Il sauta sur ses vêtements, passa son veston et fourra sa cravate dans sa poche.

— Il faut que je passe, dit-il. Il faut que je passe à tout prix.

Simone, assise sur le lit, le regardait avec des yeux de folle.

— Reste là, dit-elle, je t’en supplie, reste là. Ils ne t’arracheront pas à moi, ce n’est pas possible !

— Tu les connais mal, dit Balthazar, en sortant son mauser de sa poche.

Il se fouilla et mit un nouveau chargeur.

— Qu’est-ce que tu fais ? hurla la fille. Ils vont te tuer !

— Ils me tueront de toute façon.

Balthazar enleva le cran d’arrêt et entrouvrit la porte. La police se répandait dans l’immeuble, frappait partout.

— Ils me cherchent, dit Balthazar. Ils vont me trouver.

Il était pris, tout à coup, d’une rage froide, la plus dangereuse, celle qui ne se paie pas de mots. Il jeta le battant contre le mur et apparut sur le palier.

Trois flics, en file indienne, montaient l’escalier. Ils étaient à mi-étage lorsqu’ils virent Balthazar, hagard, debout, les cheveux en broussaille et le mauser à la main.

L’un d’eux tira vivement la main de sa poche, mais avant qu’il ait eu le temps de lever son flingue, Balthazar tirait.

L’inspecteur leva les bras et tomba en arrière.

Balthazar fit un bond et essaya de se cacher derrière un pan de mur, au sommet de l’escalier. Mais le deuxième flic ouvrit le feu.

C’était comme si Balthazar avait reçu un coup de bâton sur la tête, juste entre les deux yeux. Brusquement, il devint aveugle et il sentit sa vie qui s’enfuyait. Partout, sur tout son corps, de monstrueuses abeilles le brûlaient et le pénétraient.

Il plongea en avant.

Derrière lui, Simone, collée au mur, au fond de la chambre, hurlait comme une folle. Les flics se ruaient dans l’escalier, le revolver en batterie.

Dehors, il pleuvait toujours et les passants, qui commençaient à s’y habituer, revenaient, en riant, de leur travail.

✴ ✴ ✴

Le commissaire Barral raccrocha le téléphone et retourna à son bureau. Il se laissa lourdement tomber sur son fauteuil et bourra une pipe. Puis il referma le dossier ouvert devant lui.

« Affaire classée, écrivit-il en travers de la première page. L’action de la justice est éteinte par la mort de l’accusé. »

Il était midi. Il passa son manteau et descendit boire un verre au Soleil Levant. Il était rassuré. Tout à l’heure, sa femme lui avait passé un coup de fil. La gosse allait mieux, elle était sauvée. Mais le médecin conseillait du repos. Mardi, ils iraient passer la journée chez le beau-frère, à Persan-Beaumont.

Et Barral se demandait ce qu’il conviendrait d’apporter, en temps que pinard ou casse-croûte.

André Héléna

De sa naissance à Narbonne en 1919 et de sa vie à Leucate, André Héléna gardera un caractère affable, cordial et insouciant. Son père, conservateur de la bibliothèque de Narbonne, lui donnera le goût de l’écrit. En 1936, il monte à Paris pour devenir assistant-réalisateur du film de Diamant-Berger Arsène Lupin, détective mais, très vite, il publie une revue de poésie La Poterne qui le mène en prison pour dettes ; il en gardera une trace indélébile, perceptible dans son œuvre. En 1949, paraît son premier roman, Les flics ont toujours raison.

Commence alors une production abondante. Multipliant les pseudonymes, Héléna, en trente ans, signera plus de deux cents romans. Il s’éteint en novembre 1972.

Auteur témoin, André Héléna dans ses écrits « nous montre l’humanité telle qu’elle est, non telle qu’elle devrait être ».

Dans un texte de 1958, il nous donne son point de vue sur l’écriture et le roman policier :

« Je voulais jadis écrire des romans dans lesquels de belles personnes, bien détachées de la réalité, se débattaient avec élégance dans des problèmes inexistants. Mais je me suis rendu compte que la vie, en réalité, n’était qu’un fait-divers et que l’Homme, toujours en quelque instant de son existence, rencontre le Gendarme.

« Je me suis aperçu alors que la littérature policière n’était une littérature inférieure que pour deux catégories de gens : ceux qui ne savent pas écrire et ceux qui ne savent pas lire. Il y a autant de puissance dramatique dans l’existence quotidienne de l’homme qui a tué, qui a été poussé par le Destin, les circonstances, jeté vivant dans l’enfer, que dans toute l’histoire des Atrides. Qui donc n’a jamais senti en lui remuer Caïn ? »