Выбрать главу

La raison est pour nous, le sentiment est pour nous, l’expérience est aussi pour nous. Dans les états modèles, où la peine de mort est abolie, la masse des crimes capitaux suit d’année en année une baisse progressive. Pesez ceci.

Nous ne demandons cependant pas pour le moment une brusque et complète abolition de la peine de mort, comme celle où s’était si étourdiment engagée la Chambre des députés. Nous désirons, au contraire, tous les essais, toutes les précautions, tous les tâtonnements de la prudence. D’ailleurs, nous ne voulons pas seulement l’abolition de la peine de mort, nous voulons un remaniement complet de la pénalité sous toutes ses formes, du haut en bas, depuis le verrou jusqu’au couperet, et le temps est un des ingrédients qui doivent entrer dans une pareille œuvre pour qu’elle soit bien faite. Nous comptons développer ailleurs, sur cette matière, le système d’idées que nous croyons applicable. Mais, indépendamment des abolitions partielles pour le cas de fausse monnaie, d’incendie, de vols qualifiés, etc., nous demandons que dès à présent, dans toutes les affaires capitales, le président soit tenu de poser au jury cette question: L’accusé a-t-il agi par passion ou par intérêt? et que, dans le cas où le jury répondrait: L’accusé a agi par passion, il n’y ait pas condamnation à mort. Ceci nous épargnerait du moins quelques exécutions révoltantes. Ulbach et Debacker seraient sauvés. On ne guillotinerait plus Othello.

Au reste, qu’on ne s’y trompe pas, cette question de la peine de mort mûrit tous les jours. Avant peu, la société entière la résoudra comme nous.

Que les criminalistes les plus entêtés y fassent attention, depuis un siècle la peine de mort va s’amoindrissant. Elle se fait presque douce. Signe de décrépitude. Signe de faiblesse. Signe de mort prochaine. La torture a disparu. La roue a disparu. La potence a disparu. Chose étrange! la guillotine elle-même est un progrès.

M. Guillotin était un philanthrope.

Oui, l’horrible Thémis dentue et vorace de Farinace et de Vouglans, de Delancre et d’Isaac Loisel, de d’Oppède et de Machault, dépérit. Elle maigrit. Elle se meurt.

Voilà déjà la Grève qui n’en veut plus. La Grève se réhabilite. La vieille buveuse de sang s’est bien conduite en juillet. Elle veut mener désormais meilleure vie et rester digne de sa dernière belle action. Elle qui s’était prostituée depuis trois siècles à tous les échafauds, la pudeur la prend. Elle a honte de son ancien métier. Elle veut perdre son vilain nom. Elle répudie le bourreau. Elle lave son pavé.

À l’heure qu’il est, la peine de mort est déjà hors de Paris. Or, disons-le bien ici, sortir de Paris c’est sortir de la civilisation.

Tous les symptômes sont pour nous. Il semble aussi qu’elle se rebute et qu’elle rechigne, cette hideuse machine, ou plutôt ce monstre fait de bois et de fer qui est à Guillotin ce que Galatée est à Pygmalion. Vues d’un certain côté, les effroyables exécutions que nous avons détaillées plus haut sont d’excellents signes. La guillotine hésite. Elle en est à manquer son coup. Tout le vieil échafaudage de la peine de mort se détraque.

L’infâme machine partira de France, nous y comptons, et, s’il plaît à Dieu, elle partira en boitant, car nous tâcherons de lui porter de rudes coups.