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Je ne saurais rendre ce que j’éprouvais; j’étais à la fois blessé et caressé. Le patois de la caverne et du bagne, cette langue ensanglantée et grotesque, ce hideux argot, marié à une voix de jeune fille, gracieuse transition de la voix d’enfant à la voix de femme! tous ces mots difformes et mal faits, chantés, cadencés, perlés!

Ah! qu’une prison est quelque chose d’infâme! Il y a un venin qui y salit tout. Tout s’y flétrit, même la chanson d’une fille de quinze ans! Vous y trouvez un oiseau, il a de la boue sur son aile; vous y cueillez une jolie fleur, vous la respirez; elle pue.

XVII

Oh! si je m’évadais, comme je courrais à travers champs!

Non, il ne faudrait pas courir. Cela fait regarder et soupçonner. Au contraire, marcher lentement, tête levée, en chantant. Tâcher d’avoir quelque vieux sarrau bleu à dessins rouges. Cela déguise bien. Tous les maraîchers des environs en portent.

Je sais auprès d’Arcueil un fourré d’arbres à côté d’un marais, où, étant au collège, je venais avec mes camarades pêcher des grenouilles tous les jeudis. C’est là que je me cacherais jusqu’au soir.

La nuit tombée, je reprendrais ma course. J’irais à Vincennes. Non, la rivière m’empêcherait. J’irais à Arpajon. – Il aurait mieux valu prendre du côté de Saint-Germain, et aller au Havre, et m’embarquer pour l’Angleterre. – N’importe! j’arrive à Longjumeau. Un gendarme passe; il me demande mon passeport… Je suis perdu!

Ah! malheureux rêveur, brise donc d’abord le mur épais de trois pieds qui t’emprisonne! La mort! la mort!

Quand je pense que je suis venu tout enfant, ici, à Bicêtre, voir le grand puits et les fous!

XVIII

Pendant que j’écrivais tout ceci, ma lampe a pâli, le jour est venu, l’horloge de la chapelle a sonné six heures. -

Qu’est-ce que cela veut dire? Le guichetier de garde vient d’entrer dans mon cachot, il a ôté sa casquette, m’a salué, s’est excusé de me déranger et m’a demandé, en adoucissant de son mieux sa rude voix, ce que je désirais à déjeuner…

Il m’a pris un frisson. – Est-ce que ce serait pour aujourd’hui?

XIX

C’est pour aujourd’hui!

Le directeur de la prison lui-même vient de me rendre visite. Il m’a demandé en quoi il pourrait m’être agréable ou utile, a exprimé le désir que je n’eusse pas à me plaindre de lui ou de ses subordonnés, s’est informé avec intérêt de ma santé et de la façon dont j’avais passé la nuit; en me quittant, il m’a appelé monsieur!

C’est pour aujourd’hui!

XX

Il ne croit pas, ce geôlier, que j’aie à me plaindre de lui et de ses sous-geôliers. Il a raison. Ce serait mal à moi de me plaindre; ils ont fait leur métier, ils m’ont bien gardé; et puis ils ont été polis à l’arrivée et au départ. Ne dois-je pas être content?

Ce bon geôlier, avec son sourire bénin, ses paroles caressantes, son œil qui flatte et qui espionne, ses grosses et larges mains, c’est la prison incarnée, c’est Bicêtre qui s’est fait homme. Tout est prison autour de moi; je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c’est de la prison en pierre; cette porte, c’est de la prison en bois; ces guichetiers, c’est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d’être horrible, complet, indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie; elle me couve, elle m’enlace de tous ses replis. Elle m’enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de geôlier.