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On m’a conduit au cabinet du directeur, entre les mains duquel l’huissier m’a remis. C’était un échange. Le directeur l’a prié d’attendre un instant, lui annonçant qu’il allait avoir du gibier à lui remettre, afin qu’il le conduisît sur-le-champ à Bicêtre par le retour de la carriole. Sans doute le condamné d’aujourd’hui, celui qui doit coucher ce soir sur la botte de paille que je n’ai pas eu le temps d’user.

– C’est bon, a dit l’huissier au directeur, je vais attendre un moment; nous ferons les deux procès-verbaux à la fois, cela s’arrange bien.

En attendant, on m’a déposé dans un petit cabinet attenant à celui du directeur. Là on m’a laissé seul, bien verrouillé.

Je ne sais à quoi je pensais, ni depuis combien de temps j’étais là, quand un brusque et violent éclat de rire à mon oreille m’a réveillé de ma rêverie.

J’ai levé les yeux en tressaillant. Je n’étais plus seul dans la cellule. Un homme s’y trouvait avec moi, un homme d’environ cinquante-cinq ans, de moyenne taille; ridé, voûté, grisonnant; à membres trapus; avec un regard louche dans des yeux gris, un rire amer sur le visage; sale, en guenilles, demi-nu, repoussant à voir.

Il paraît que la porte s’était ouverte, l’avait vomi, puis s’était refermée sans que je m’en fusse aperçu. Si la mort pouvait venir ainsi!

Nous nous sommes regardés quelques secondes fixement, l’homme et moi; lui, prolongeant son rire qui ressemblait à un râle; moi, demi-étonné, demi-effrayé.

– Qui êtes-vous? lui ai-je dit enfin.

– Drôle de demande! a-t-il répondu. Un friauche.

– Un friauche! Qu’est-ce que cela veut dire?

Cette question a redoublé sa gaieté.

– Cela veut dire, s’est-il écrié au milieu d’un éclat de rire, que le taule jouera au panier avec ma sorbonne dans six semaines, comme il va faire avec ta tronche dans six heures. – Ha! ha! il paraît que tu comprends maintenant.

En effet, j’étais pâle, et mes cheveux se dressaient. C’était l’autre condamné, le condamné du jour, celui qu’on attendait à Bicêtre, mon héritier.

Il a continué:

– Que veux-tu? voilà mon histoire à moi. Je suis fils d’un bon peigre; c’est dommage que Charlot [7] ait pris la peine un jour de lui attacher sa cravate. C’était quand régnait la potence, par la grâce de Dieu. À six ans, je n’avais plus ni père ni mère; l’été, je faisais la roue dans la poussière au bord des routes, pour qu’on me jetât un sou par la portière des chaises de poste; l’hiver, j’allais pieds nus dans la boue en soufflant dans mes doigts tout rouges; on voyait mes cuisses à travers mon pantalon. À neuf ans, j’ai commencé à me servir de mes louches [8], de temps en temps je vidais une fouillouse [9], je filais une pelure [10]; à dix ans, j’étais un marlou [11]. Puis j’ai fait des connaissances; à dix-sept, j’étais un grinche [12]. Je forçais une boutanche, je faussais une tournante [13]. On m’a pris. J’avais l’âge, on m’a envoyé ramer dans la petite marine [14]. Le bagne, c’est dur; coucher sur une planche, boire de l’eau claire, manger du pain noir, traîner un imbécile de boulet qui ne sert à rien; des coups de bâton et des coups de soleil. Avec cela on est tondu, et moi qui avais de beaux cheveux châtains!… N’importe! j’ai fait mon temps. Quinze ans, cela s’arrache! J’avais trente-deux ans. Un beau matin on me donna une feuille de route et soixante-six francs que je m’étais amassés dans mes quinze ans de galères, en travaillant seize heures par jour, trente jours par mois, et douze mois par année. C’est égal, je voulais être honnête homme avec mes soixante-six francs, et j’avais de plus beaux sentiments sous mes guenilles qu’il n’y en a sous une serpillière de ratichon

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[7] Le bourreau.

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[8] Mes mains.

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[9] Une poche.

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[10] Je volais un manteau.

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[11] Un filou.

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[12] Un voleur.

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[13] Je forçais une boutique, je faussais une clef.

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[14] Aux galères.