Выбрать главу

En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit.

Nous étions donc personnellement d’accord avec ceux qui voulaient épargner les quatre ministres, et d’accord de toutes manières, par les raisons sentimentales comme par les raisons politiques. Seulement, nous eussions mieux aimé que la Chambre choisît une autre occasion pour proposer l’abolition de la peine de mort.

Si on l’avait proposée, cette souhaitable abolition, non à propos de quatre ministres tombés des Tuileries à Vincennes, mais à propos du premier voleur de grands chemins venu, à propos d’un de ces misérables que vous regardez à peine quand ils passent près de vous dans la rue, auxquels vous ne parlez pas, dont vous évitez instinctivement le coudoiement poudreux; malheureux dont l’enfance déguenillée a couru pieds nus dans la boue des carrefours, grelottant l’hiver au rebord des quais, se chauffant au soupirail des cuisines de M. Véfour chez qui vous dînez, déterrant çà et là une croûte de pain dans un tas d’ordures et l’essuyant avant de la manger, grattant tout le jour le ruisseau avec un clou pour y trouver un liard, n’ayant d’autre amusement que le spectacle gratis de la fête du roi et les exécutions en Grève, cet autre spectacle gratis; pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste; enfants déshérités d’une société marâtre, que la maison de force prend à douze ans, le bagne à dix-huit, l’échafaud à quarante; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire, les versant, comme un fardeau inutile, tantôt dans la rouge fourmilière de Toulon, tantôt dans le muet enclos de Clamart, leur retranchant la vie après leur avoir ôté la liberté; si c’eût été à propos d’un de ces hommes que vous eussiez proposé d’abolir la peine de mort, oh! alors, votre séance eût été vraiment digne, grande, sainte, majestueuse, vénérable. Depuis les augustes pères de Trente invitant les hérétiques au concile au nom des entrailles de Dieu, per viscera Dei, parce qu’on espère leur conversion, quoniam sancta synodus sperat hæreticorum conversionem, jamais assemblée d’hommes n’aurait présenté au monde spectacle plus sublime, plus illustre et plus miséricordieux. Il a toujours appartenu à ceux qui sont vraiment forts et vraiment grands d’avoir souci du faible et du petit. Un conseil de brahmines serait beau prenant en main la cause du paria. Et ici, la cause du paria, c’était la cause du peuple. En abolissant la peine de mort, à cause de lui et sans attendre que vous fussiez intéressés dans la question, vous faisiez plus qu’une œuvre politique, vous faisiez une œuvre sociale.

Tandis que vous n’avez pas même fait une œuvre politique en essayant de l’abolir, non pour l’abolir, mais pour sauver quatre malheureux ministres pris la main dans le sac des coups d’État!

Qu’est-il arrivé? c’est que, comme vous n’étiez pas sincères, on a été défiant. Quand le peuple a vu qu’on voulait lui donner le change, il s’est fâché contre toute la question en masse, et, chose remarquable! il a pris fait et cause pour cette peine de mort dont il supporte pourtant tout le poids. C’est votre maladresse qui l’a amené là. En abordant la question de biais et sans franchise, vous l’avez compromise pour longtemps. Vous jouiez une comédie. On l’a sifflée.

Cette farce pourtant, quelques esprits avaient eu la bonté de la prendre au sérieux. Immédiatement après la fameuse séance, ordre avait été donné aux procureurs généraux, par un garde des sceaux honnête homme, de suspendre indéfiniment toutes exécutions capitales. C’était en apparence un grand pas. Les adversaires de la peine de mort respirèrent. Mais leur illusion fut de courte durée.