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Et le juge n’a pas été mis en jugement! et le bourreau n’a pas été mis en jugement! Et aucun tribunal ne s’est enquis de cette monstrueuse extermination de toutes les lois sur la personne sacrée d’une créature de Dieu!

Au dix-septième siècle, à l’époque de barbarie du code criminel, sous Richelieu, sous Christophe Fouquet, quand M. de Chalais fut mis à mort devant le Bouffay de Nantes par un soldat maladroit qui, au lieu d’un coup d’épée, lui donna trente-quatre coups [2] d’une doloire de tonnelier, du moins cela parut-il irrégulier au parlement de Paris: il y eut enquête et procès, et si Richelieu ne fut pas puni, si Christophe Fouquet ne fut pas puni, le soldat le fut. Injustice sans doute, mais au fond de laquelle il y avait de la justice.

Ici, rien. La chose a eu lieu après juillet, dans un temps de douces mœurs et de progrès, un an après la célèbre lamentation de la Chambre sur la peine de mort. Eh bien! le fait a passé absolument inaperçu. Les journaux de Paris l’ont publié comme une anecdote. Personne n’a été inquiété. On a su seulement que la guillotine avait été disloquée exprès par quelqu’un qui voulait nuire à l’exécuteur des hautes œuvres. C’était un valet du bourreau, chassé par son maître, qui, pour se venger, lui avait fait cette malice.

Ce n’était qu’une espièglerie. Continuons.

À Dijon, il y a trois mois, on a mené au supplice une femme. (Une femme!) Cette fois encore, le couteau du docteur Guillotin a mal fait son service. La tête n’a pas été tout à fait coupée. Alors les valets de l’exécuteur se sont attelés aux pieds de la femme, et à travers les hurlements de la malheureuse, et à force de tiraillements et de soubresauts, ils lui ont séparé la tête du corps par arrachement.

À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n’ose plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme on est lâche, voici ce qu’on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois; on l’a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de pierres voisins autour de la machine inattendue; vite, on a tiré l’homme du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement, sournoisement, honteusement, on lui a escamoté sa tête. Cela s’appelle un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision!

Comment donc les gens du roi comprennent-ils le mot civilisation? Où en sommes-nous? La justice ravalée aux stratagèmes et aux supercheries! la loi aux expédients! monstrueux!

C’est donc une chose bien redoutable qu’un condamné à mort, pour que la société le prenne en traître de cette façon!

Soyons juste pourtant, l’exécution n’a pas été tout à fait secrète. Le matin on a crié et vendu comme de coutume l’arrêt de mort dans les carrefours de Paris. Il paraît qu’il y a des gens qui vivent de cette vente. Vous entendez? du crime d’un infortuné, de son châtiment, de ses tortures, de son agonie, on fait une denrée, un papier qu’on vend un sou. Concevez-vous rien de plus hideux que ce sou, vert de grisé dans le sang? Qui est-ce donc qui le ramasse?

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[2] La Porte dit vingt-deux, mais Aubery dit trente-quatre. M. de Chalais cria jusqu’au vingtième.