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Au premier rang, l’abbé se retourna enfin et l’aperçut. Elle inclina la tête pour lui faire comprendre qu’elle était prête et s’éclipsa.

De l’autre côté de la porte, elle entendit les voix des moines s’éteindre une à une et celle de leur supérieur, blanche, tremblante, prendre le dessus.

— Mes frères, mes frères… veuillez pardonner cette interruption, en ce moment où nous rendons grâce à notre Seigneur. Mais qu’il me soit témoin de ma détresse et qu’il nous donne la force d’affronter l’épreuve qui est la nôtre.

Grace perçut un murmure d’inquiétude parcourir la maigre assemblée des moines.

— Je suis meurtri, mes frères, de vous annoncer que cette nuit, un mal terrible a frappé notre monastère. Notre pensionnaire, Anton, a été retrouvé mort.

Le chuchotement se changea en éruption d’épouvante. À en croire que le coupable ne se trouvait pas parmi eux, songea Grace.

— Je suis, comme vous, effondré, mais afin d’éviter toute méprise à notre égard, je vous demande de regagner vos chambres et d’y rester jusqu’à l’arrivée de la police, que je viens de prévenir.

— Frère Cameron, qu’entends-tu par « méprise à notre égard » ? lança l’un des religieux avec une agressivité contenue. Que c’est l’un d’entre nous qui aurait tué Anton ?

Grace imaginait sans peine les moines choqués se signer.

— C’est bien le contraire, mon frère Rory. C’est pour cela que je ne veux donner à la police aucune raison de douter de notre probité à tous. En restant dans vos cellules, vous ne pourrez pas être soupçonnés d’avoir voulu effacer des preuves quelque part.

— Frère Cameron, nous diras-tu ce qui est arrivé à Anton ? De quoi est-il…

La voix se brisa en sanglots. Mais à ses accents précieux, Grace en conclut que c’était frère Archibald qui avait parlé avant de s’effondrer en larmes.

— Alors, j’avais raison de m’inquiéter en venant vous voir ! s’exclama frère Colin. Vous ne m’avez rien dit !

— Je venais de l’apprendre lorsque vous m’avez retrouvé, frère Colin. Je me devais d’annoncer la terrible nouvelle à toute la communauté en même temps. Maintenant, regagnez vos cellules, s’il vous plaît, et que Dieu nous vienne en aide.

Grace s’empressa de rejoindre les quartiers de nuit. À mi-chemin, le couloir s’éclaira soudainement de plusieurs spots muraux. Le courant était enfin rétabli.

Elle entra en hâte dans la chambre du premier moine qu’elle voulait interroger. Celui-ci ne fut pas long à arriver et sursauta en découvrant cette femme aux longs cheveux châtains qui lui rappelait les charnelles créatures féminines du peintre Botticelli, qu’il admirait parfois en cachette. Elle se tenait debout, les fesses appuyées contre son bureau, les bras croisés, ses grands yeux marron l’enveloppant d’une attente muette.

— Qui… qui êtes-vous ? balbutia frère Logan d’un air effaré qui allongeait encore ses traits émaciés.

— Inspectrice Grace Campbell de la police de Glasgow. Fermez la porte, s’il vous plaît.

Grace ne lâchait pas son témoin du regard, maintenant sur lui une pression qui l’empêchait de reprendre ses esprits.

— Déjà ? Je croyais que…

— Asseyez-vous.

Le moine installa sa silhouette raide et longiligne sur la chaise du bureau, que Grace avait disposée au centre de la chambre. Elle contourna l’homme, ferma à clé derrière lui, puis se posta debout dans un coin de la pièce. Observant le suspect d’en haut, elle asséna ses questions.

— Je sais que c’est vous qui avez découvert le corps. L’avez-vous touché ?

— Non…, répondit frère Logan en se rongeant un ongle, puis un autre.

Grace ouvrit sa parka et écarta subrepticement le pan de son manteau afin de dévoiler la naissance de son holster.

Le moine écarquilla des yeux affolés.

— Je n’ai rien fait, je vous le jure devant notre Seigneur.

La jeune femme se dirigea vers le lit et souleva les couvertures.

— Et ça, c’est le sang de qui ?

Frère Logan mordilla ses lèvres sèches et chercha un nouvel ongle à arracher du bout des dents.

— C’est celui d’Anton, n’est-ce pas ? appuya Grace en saisissant le regard fuyant du suspect. Anton, que vous avez tué par jalousie, parce qu’il était considéré par tous comme le meilleur copiste que cet illustre monastère ait connu…

— Hein ? Non, non !

Le moine se leva d’un bond, fonça droit vers son armoire en fouillant dans une poche de sa robe. Grace dégaina son arme et la pointa sur lui.

— Ne bougez plus !

— Je… je veux juste vous montrer quelque chose, répondit frère Logan en se figeant.

— Reculez. Je vais chercher à votre place.

Le moine s’exécuta et lui tendit une minuscule clé.

— Dans le coffret derrière mes vêtements…

— Retournez vous asseoir.

Grace ouvrit la boîte à tâtons, suivant du regard l’homme qui regagnait sa chaise.

Ses mains gantées balayèrent l’intérieur et se posèrent sur ce qui avait la forme d’un manche. Elle retira l’objet de sa cavité.

— Voilà d’où vient le sang, lâcha frère Logan, son long cou arqué vers l’avant, sa tête entre les mains.

Au bout du manche que Grace tenait, des lanières de cuir se terminaient par de fines boules de métal hérissées de pointes.

— Pourquoi faites-vous ça ? demanda-t-elle.

— Certaines pensées interdites ne s’endorment que dans l’ivresse de la douleur, inspectrice…

— Quelles pensées ?

— Ce n’est pas avouable devant une créature féminine. Entendez simplement que oui, je jalousais Anton, oui, je le détestais pour son talent, oui, j’ai usé de cette arme, mais seulement contre moi, pour me punir de ma médiocrité.

Grace demeura un instant sans rien dire, à la fois déçue de son échec et prise de pitié pour cet homme. Puis, elle posa le martinet sur le bureau.

— Restez ici. Je connais l’emplacement de chaque objet par cœur. Si vous touchez à quoi que ce soit, cela sera considéré comme une volonté d’interférer dans l’enquête.

Elle allait quitter la chambre, quand elle se retourna.

— Dites-moi, une dernière chose : combien de robes chaque moine possède-t-il ?

Frère Logan parut désarçonné.

— Euh… nous en avons trois chacun, pourquoi ?

Grace haussa les épaules, referma la porte et n’eut que quelques pas à faire pour entrer sans prévenir dans la cellule de frère Colin.

Le moine priait à genoux devant le vitrail de sa fenêtre. Il fit volte-face et la dévisagea de ses petits yeux luisants de peur et de défiance. Elle verrouilla derrière elle tout en déclarant son identité et s’adossa à la porte, les bras croisés. Sans un mot, elle fit signe au jeune homme de se redresser et de prendre place sur la chaise. Il renifla, se gratta l’arrière du crâne et, le dos voûté, il s’assit en marmonnant.

— Je savais qu’il y avait q… quelque chose de pas bien qui s’était passé… Je le savais.

— Comment le saviez-vous ?

— Hein ? Non, je le sentais, c’est tout.

— Depuis quand aviez-vous ce pressentiment ? Vous saviez qu’Anton était menacé ?

— Non, non… je n’ai pas dit ça. C’était une impression. Je suis… Parfois, je devine des choses.

Grace réajusta son dos sur le battant de porte.

— Vous connaissiez bien le pensionnaire Anton ?

Le moine fit non de la tête.

— Que saviez-vous de lui ?

— Il parlait surtout avec… avec… f… frère Archibald et l’abbé. Moi, je n’étais pas assez intelligent pour lui.

— L’abbé et Archibald étaient donc proches d’Anton ?