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Avec un empressement soudain, il s’accroupit près de l’armoire, souleva un crochet dissimulé derrière un des pieds, puis poussa le meuble de l’épaule. Le bois grinça et l’armoire coulissa le long du mur pour révéler un passage voûté.

Il tâtonna à l’intérieur du goulet et enclencha un interrupteur. Une ampoule branlante s’illumina au plafond.

— C’est l’atelier privé d’Anton…, dit-il de sa voix étouffée par le tissu de son habit plaqué sur sa bouche.

Se courbant pour franchir l’étroit passage, l’abbé Cameron entra le premier. Intriguée, Grace se faufila à son tour et déboucha dans une pièce ronde aux allures de bureau d’universitaire.

Au centre de la salle, une spacieuse table de travail accueillait un cahier ouvert noirci de calculs ainsi qu’une haute pile de carnets, tous semblables. En face, un tableau à craie était lui aussi chargé de signes arithmétiques. À côté, une bibliothèque garnie d’ouvrages. Guidée par son amour des livres, Grace jeta un rapide coup d’œil sur les dos qui lui révélèrent des contenus scientifiques et même astrophysiques.

Son étude des titres achevée, son regard glissa vers le mur opposé. Il était tapissé d’une dizaine de feuilles assemblées les unes aux autres avec du Scotch.

Elle les éclaira avec la lampe de son téléphone et dévoila avec plus de netteté une forme ovale à dominante verte, dont le centre était traversé de gauche à droite par une traînée rouge et orangée. Grace se rapprocha et constata que l’ovale se trouvait composé d’une multitude de minuscules pointillés. La majorité était verte, mais des amas de couleur feu et d’autres tirant sur le bleu parsemaient la figure dans certaines zones. À quoi pouvait bien correspondre cette image ? Qu’est-ce qu’Anton y voyait ? Question d’autant plus légitime que plusieurs endroits avaient été entourés de cercles dessinés à main levée.

Grace photographia l’image et détacha lentement son attention de cette énigme pour examiner le dernier élément visible de la pièce : un poster gigantesque qui recouvrait les pierres murales, derrière le bureau. Cette fois, sa nature ne faisait guère de place au doute. Il s’agissait d’une carte géographique. Grace n’eut aucun mal à reconnaître les Highlands.

En voulant voir l’affiche de plus près, elle buta sur quelque chose. À ses pieds reposaient des chaussures de marche à côté d’un sac à dos. Grace l’ouvrit et trouva une veste polaire, deux gourdes, des barres de céréales, une boussole, des gants, et une autre carte des Highlands, dont l’état largement élimé témoignait d’un usage fréquent. Elle la glissa dans sa poche et replaça tout le reste dans le sac, laissant à l’équipe scientifique le soin de l’étudier de plus près.

Puis elle regarda plus attentivement le poster. Des épingles pointaient cinq endroits de cette terre du Nord, des lieux perdus au milieu des étendues sauvages. Quatre des cinq secteurs répertoriés étaient barrés d’une grande croix, comme s’ils avaient été éliminés d’une liste. Un seul lieu, situé au cœur des vallées, n’était pas coché. Bien au contraire, il était entouré d’un cercle et un grand point d’interrogation y était associé.

– 11 –

En prenant soin de capturer tous les détails, Grace photographia consciencieusement le plan des Highlands, le tableau noir saturé de signes arithmétiques, ainsi que quelques pages du cahier de calculs ouvert sur le bureau.

Elle contempla pensivement ces lignes complexes, où se mêlaient des chiffres entre parenthèses, des fractions, des racines carrées, des lettres grecques et toute une autre série de sigles dont Grace ignorait la signification. La seule évidence qui lui sauta aux yeux fut la netteté de l’écriture : un tracé franc et sans rature d’un esprit fluide suivant avec confiance le chemin de sa solution.

Face à cette énigme, elle fut de nouveau confrontée à cette question qui revenait souvent au cours de sa vie : comment l’humanité pouvait-elle à ce point être divisée en deux ? D’un côté, les scientifiques et les techniciens dont le cerveau puissant perçait les lois de la nature à coups de calculs, d’expériences et d’intelligence.

De l’autre, les utilisateurs, les consommateurs comme elle, muets d’ignorance devant les formules mathématiques, la physique, la biologie et même les mécanismes des objets du quotidien. Parfois, elle s’amusait à imaginer qu’elle était téléportée au Moyen Âge, drapée de son arrogance de visiteur du XXIe siècle. Mais que serait-elle capable d’enseigner aux gens de cette époque ? Le vaccin contre la peste ? L’aspirine ? Avec quelle formule chimique ? Leur expliquerait-elle que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse ? Mais comment le prouverait-elle ? Elle serait même incapable de dessiner le schéma de fabrication du vieux stylo à bille traînant au fond de sa poche, et le premier paysan venu lui enseignerait comment semer une graine alors qu’elle mourrait de faim sur le bord d’un chemin, son portable à la main.

Un tintement sonnant au loin à trois reprises la tira de sa réflexion. Elle reconnut la cloche d’entrée du monastère.

— Ce doit être les équipes de renfort, dit-elle à l’abbé qui l’observait depuis un moment avec insistance, en silence.

— Vous pensiez à quoi en étudiant les travaux d’Anton ?

Que j’appartenais à la partie dispensable de l’humanité, se dit Grace en son for intérieur. Mais elle opta pour une réponse plus pragmatique qui, en vérité, la perturbait tout autant.

— Je me demandais si ces travaux scientifiques étaient liés ou non à l’assassinat d’Anton Weisac.

— Et si c’était le cas ?

— Alors, l’affaire prendrait une tournure très inhabituelle par rapport à celles sur lesquelles j’ai enquêté jusqu’ici, conclut-elle en se baissant pour quitter l’atelier.

Elle se dirigea rapidement vers l’entrée du monastère aux côtés de l’abbé.

— Anton ne vous parlait pas de ce qu’il faisait ou cherchait dans ce bureau ?

— Non, jamais. Un jour, j’ai insisté, il s’est mis en colère et il m’a lancé que c’était dangereux pour la santé de l’esprit.

Grace hocha la tête ironiquement. Et dire qu’elle allait peut-être devoir percer le mystère de ces dangereuses recherches.

Mais elle n’eut guère le temps de songer à cette échéance. Ils avaient rejoint le hall d’entrée, et l’abbé ouvrait déjà la porte aux nouveaux arrivants.

Onze heures et demie du matin venaient de sonner quand le médecin légiste Murray entra et serra la main de Grace. D’une cinquantaine d’années, de rares cheveux aplatis en vaguelettes sur une tête un peu trop large pour son corps, il adressa un rapide salut à l’abbé de sa bouche tordue.

— Ah, quel temps ! À croire que la venue dans un monastère nécessitait la commémoration du Déluge ! lança-t-il en secouant les manches de sa parka ruisselante de pluie. Où se trouve le corps ?

— Je vais vous y conduire, répondit Grace, qui perçut l’inconfort du religieux face à cet homme trop habitué à la mort pour encore s’en émouvoir.

Le légiste était accompagné de deux membres de la police scientifique – un jeune homme roux et une femme plus âgée aux cheveux très courts –, ainsi que de quatre officiers. Grace les salua et distribua les responsabilités de chacun. Elle posta un officier dans le hall d’accueil du monastère, en lui demandant de ne laisser sortir personne, un autre à l’entrée des quartiers des moines, pour s’assurer qu’aucun d’eux ne regagnerait sa chambre avant l’inspection par les techniciens scientifiques, le troisième devant la cellule de la victime et le dernier dans l’infirmerie, à qui elle confia une mission plus précise.

— Votre nom ?