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— Bien.

Faute de témoins directs, Grace n’était finalement pas contre mettre la pression sur l’assassin avec un article encourageant les gens des environs à appeler la police s’ils savaient ou avaient vu quelque chose. Surtout si le papier du journal était accompagné d’une image du tueur.

— Officier Hamilton, envoyez-moi le portrait-robot sur mon téléphone quand il sera achevé. Et fournissez-en également une copie aux policiers de Mull.

— À vos ordres.

Grace se tourna de nouveau vers l’abbé Cameron.

— Veillez à la convalescence de frère Colin. En cas de besoin, n’hésitez pas à faire appel à l’officier Hamilton. Je vous laisse également mon numéro personnel, ajouta-t-elle en lui tendant sa carte. Bon courage pour affronter ce moment délicat.

— Je prierai pour que Dieu vous protège et vous guide vers la vérité, inspectrice.

Grace salua l’abbé une dernière fois et s’empressa de rejoindre les équipes scientifiques et le légiste à l’œuvre sur la scène de crime, impatiente de savoir ce qu’ils avaient trouvé.

— Nous avons procédé à plusieurs relevés, mais vous savez comment ça marche, nous n’aurons les résultats que d’ici deux à trois jours, l’informa la policière scientifique sans quitter la charlotte qui couvrait ses courts cheveux.

— Rien de particulier à me signaler ? tenta Grace, qui avait espéré de meilleures nouvelles.

— Non… On n’a trouvé aucune arme, le sang ne semble appartenir qu’à la victime, tout comme les cheveux éparpillés autour du corps, qui ont la couleur et l’apparence de ceux du cadavre.

— Quand vous aurez terminé ici, vous vous rendrez à l’hôtel du port ; l’homme que l’on recherche y a occupé une chambre jusqu’à hier. La propriétaire est prévenue de votre visite.

— Entendu.

Grace s’accroupit à hauteur du corps d’Anton Weisac. Le légiste y effectuait encore des prélèvements, qu’il plaçait avec délicatesse dans des sachets ou des flacons.

— C’est passionnant, souffla-t-il après avoir déposé un dernier morceau de cervelle dans un tube. Non, vraiment, en trente-deux ans de carrière, je n’avais encore jamais vu ça. Vous avez de la chance d’être confrontée si jeune à une telle originalité, inspectrice : une excérébration. Il y a quelque chose de quasi mythologique dans cet acte…

— Et y a-t-il quelque chose d’utile ?

— Pour le moment, je peux seulement vous dire que la victime était très probablement consciente lorsqu’on lui a broyé le cerveau.

Le légiste orienta la tête d’Anton Weisac de telle sorte que l’on puisse voir son profil droit. Il présentait des marques d’écorchures, comme si la peau avait frotté sur le sol.

— Vous voyez, l’assassin lui a écrasé le crâne sur le côté, la victime s’est débattue et s’est râpé la face. Mais pour être plus précis encore, sa mandibule a été déboîtée vers la droite, très certainement parce que le meurtrier a fortement comprimé le visage du supplicié pour le maintenir en place pendant qu’il procédait au perçage de l’os ethmoïde. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant.

Grace se releva, une aigreur la faisant saliver anormalement.

— Je vous enverrai mon rapport d’ici demain soir, conclut le légiste.

L’enquêtrice hocha la tête et retourna inspecter le cabinet de travail d’Anton Weisac. Seule dans cette alcôve de silence, elle attendit une poignée de minutes que la nausée se dissipe, puis s’assit posément derrière le bureau pour réfléchir.

Dans le meilleur des cas, elle obtiendrait les résultats des prélèvements d’ici deux jours. Et aucune certitude de pouvoir en tirer quoi que ce soit d’utile à son enquête. Côté témoignages, si les policiers de l’île de Mull laissaient fuiter quelques éléments aujourd’hui, l’article paraîtrait au mieux ce soir. Et rien ne disait qu’elle en récolterait des signalements concluants. En résumé, elle allait perdre au moins une journée à attendre et n’en recueillerait peut-être aucun bénéfice.

La décision ne fut donc pas longue à prendre. Grace se planta devant la carte des Highlands placardée au mur de vieilles pierres et ouvrit le message de l’office du tourisme écossais sur son téléphone. Elle trouva rapidement le nom du lieu entouré et affublé d’un point d’interrogation : Traligill Caves. Le conseiller touristique y avait accolé un commentaire : « Les plus grandes grottes d’Écosse, exploration non effectuée car réputées très dangereuses. »

L’endroit se situait presque à l’extrême nord des Highlands, dans la région de l’imprononçable hameau d’Inchnadamph, à environ cinq heures de route du port d’Oban.

Il y a deux ou trois ans, elle aurait demandé à Elliot de lui dépêcher une équipe de spéléologues professionnels à Traligill. Elle aurait attendu leur rapport à l’extérieur et aurait agi en fonction de ce qu’ils auraient découvert. Aujourd’hui, elle envisagea cette expédition comme sa chance de surprendre son supérieur. Si elle voulait retrouver son poste, elle devait lui prouver avec éclat qu’elle était en pleine forme physique : elle irait donc au fond de ces grottes elle-même. Aussi dangereux cela soit-il.

Grace consulta sa montre. Il était bientôt treize heures trente. En partant tout de suite, elle attraperait le bateau de quatorze heures pour rejoindre Fionnphort, et en faisant une ou deux pauses sur la route, elle arriverait à destination dans la soirée. Elle y trouverait un guide, dormirait sur place et se rendrait sur le site dès l’aube, le lendemain matin.

Grace s’apprêtait à quitter en hâte le cabinet d’études quand elle reçut justement un nouvel appel d’Elliot Baxter.

— Bon, les calculs que tu nous as envoyés, les gars de l’informatique n’y comprennent rien. En revanche, on a une piste pour le cliché en forme d’ovale.

— Alors, ça représente quoi ?

— Il s’agit a priori d’une photographie de l’Univers.

— Quoi ?

— Oui, en tout cas, c’est ce qu’un des informaticiens versé dans l’astronomie nous a dit.

— Et les couleurs ? Du rouge, du vert, du bleu… ?

— C’est justement ça qui l’a mis sur la piste. Les couleurs indiquent les distances de l’endroit où a été pris le cliché. Plus on va vers le spectre rouge, plus on s’éloigne. Mais tout ça reste à confirmer et surtout à déchiffrer, parce qu’on n’a ici aucune idée de la raison pour laquelle certaines zones ont été entourées. Je t’envoie les coordonnées d’un astrophysicien qui travaille à l’université des Highlands à Inverness.

— D’accord, merci…

Elle sentit qu’Elliot attendait qu’elle ajoute quelque chose, mais elle raccrocha. Pour le surprendre avec force, elle ne devait rien lui dire de son projet.

Enveloppée par la sécurité que procurait ce cabinet hors des regards, elle scruta avec une acuité nouvelle l’affiche de ce qui représentait donc une photographie de l’Univers. De ses doigts, elle effleura la ligne rouge qui traversait l’ovale à l’horizontale. Qu’est-ce qu’Anton voyait dans cette image qui lui échappait ? Existait-il un lien avec les sites préhistoriques qu’il avait entrepris d’explorer ?

Pressée par le temps, Grace ne s’attarda pas. Elle se faufila hors du bureau, en faisant coulisser l’armoire pour cacher l’entrée et se hâta en direction de la sortie. Juste avant de partir, elle se retourna. Avait-elle pensé à tout ? Il lui semblait.

Elle poussa la lourde porte du monastère et la laissa se refermer derrière elle dans un claquement sourd.

Dehors, sous la pluie, dominée par la solennelle croix celtique de pierre, elle leva les yeux, plissant les paupières pour empêcher les gouttes de piquer son iris. Des nuages denses à l’allure d’épaisse fumée grise défilaient comme si le ciel lui-même coulissait sur un tapis roulant. Le cœur battant, l’esprit confus, elle pensa à ce qu’il y avait au-dessus de cette terre, au-delà de cette barrière de béton cotonneux : le bleu azur et pur qui se faisait de plus en plus sombre, jusqu’à la profondeur noire de l’espace et l’infini de l’Univers.