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Elle progressa en silence, enveloppée par l’haleine diffuse de la ventilation qui circulait dans ce dédale aux murs gris. Plus Grace avançait, plus elle se questionnait également sur cette impressionnante structure souterraine dont la construction avait dû coûter une fortune. Qui avait pu financer de tels travaux pour y enfouir des milliers de cercueils ?

Grace s’arrêta. Devant elle, les reflets de cloisons en verre délimitaient une pièce équipée d’écrans et d’appareils électroniques.

Elle vit sa mystérieuse acolyte déjà en train de fouiller l’endroit. Elle ouvrait les tiroirs, feuilletait des classeurs, et finit par s’asseoir derrière un ordinateur. Grace entra à son tour dans la pièce et repéra immédiatement un téléphone fixé dans une console de contrôle.

En quelques secondes, elle parvint à joindre le centre de secours le plus proche et à indiquer l’emplacement de Yan au fond de la zone interdite des grottes de Traligill. La personne qui coordonnait les appels mit un peu de temps à comprendre puis à croire ce que Grace lui racontait. Mais elle finit par lui dire que les secours montaient dans l’hélicoptère sur-le-champ et seraient probablement auprès du blessé dans moins de deux heures.

Un tant soit peu rassurée, Grace téléphona ensuite à Elliot Baxter pour l’informer de sa découverte et lui demander urgemment des renforts. À peine lui avait-elle donné ses coordonnées géographiques qu’elle perçut un mouvement du coin de l’œil. Elle se retourna : un homme dissimulé derrière la porte du vestibule surgit soudain de sa cache avec un fusil d’assaut.

— À terre ! cria Grace.

Les coups de feu fusèrent, les vitres volèrent en éclats, les appareils électroniques éclatèrent en gerbes d’étincelles, et après le bruit mat d’un corps s’effondrant sur le sol, le silence revint.

Le canon de son revolver encore chaud, Grace se précipita vers l’homme qu’elle venait de neutraliser. Touché à la jambe et au ventre, il était à terre, mais encore conscient. Elle lui arracha son arme et braqua son pistolet sur lui.

— Ça va ? demanda-t-elle à l’inconnue.

Pour seule réponse, elle entendit des pas rapides dans son dos, vit une forme noire apparaître à ses côtés, qui la poussa et plaça son arme sur le front du milicien au sol.

— Où se trouve le siège d’Hadès ?

Grace la regarda faire, stupéfaite. Mais oui… Hadès.

Le sceptre à deux fourches gravé sur les portes de l’entrepôt était effectivement celui du dieu des Enfers de la mythologie grecque. Le lien avec les cercueils se faisait plus évident, mais cela n’expliquait pas pour autant de quoi allait succomber cette foule destinée à remplir ces coffres en plastique.

— Où se trouvent tes patrons ? Parle et je ne te tuerai pas.

L’homme, qui avait le menton collé à sa poitrine, respirait faiblement. Il leva les yeux.

— Un ! s’exclama la femme blonde d’une voix sentencieuse. Deux… Où sont les bureaux d’Hadès ?

Elle appuya le canon plus fort sur la tempe et Grace la vit presser la pulpe de son index sur la détente. Elle allait l’abattre de sang-froid.

— La… la… fin… du… monde, murmura difficilement le garde à l’agonie.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Fin… du monde.

— Arrête avec tes conneries de prophétie ! C’est pas ce que je te demande !

Le regard du milicien vacilla. Il tenta d’articuler un dernier mot, sa poitrine se souleva une dernière fois et son corps s’affaissa à terre, sans vie.

L’inconnue se redressa, son beau visage froissé de contrariété.

— Et merde !

Elle avisa Grace.

— Et vous, dégagez d’ici ! Allez rejoindre votre mourant.

En tant qu’inspectrice, et plus encore depuis qu’on l’avait reléguée aux enquêtes de voisinage, Grace avait l’habitude que les gens lui jettent leur agressivité à la figure. Elle avait appris à laisser cette animosité glisser sur elle pour demeurer concentrée. Elle entendit clairement l’invective, mais détourna la tête pour regarder ailleurs, alors que depuis une poignée de secondes, son cerveau vibrait d’une réflexion électrique. Les paroles du garde avaient déclenché en elle une intuition autour de laquelle s’agitaient ses pensées. Ses grands yeux noisette se plissèrent et, soudain, sa réflexion se fit certitude.

— Je vous ai dit de partir, laissez-moi seule !

— Non, répondit Grace d’un air désolé, les bras croisés. Et baissez cette arme, parce que je suis la seule à pouvoir vous aider.

— En quoi ?

— Je sais où se trouve le siège d’Hadès, tenta Grace.

— Et comment le sauriez-vous ? D’ailleurs, que savez-vous d’Hadès ?

— Rien, mais je vous garantis que je sais où trouver leurs locaux. Pour le moment, je peux seulement vous dire qu’ils sont à environ… quatre heures et demie de route d’ici.

— Qu’est-ce que vous voulez en échange ?

— Que vous me disiez qui vous êtes et ce que vous cherchez.

La femme blonde fit jouer ses doigts sur la crosse de son arme et ramena derrière son oreille une mèche de cheveux qui avait glissé devant ses yeux. Elle observait l’inspectrice comme un fauve se demande si sa proie vaudra l’énergie qu’il va dépenser pour bondir sur elle.

— Si vous envisagez de me faire parler sous la contrainte, reprit Grace sans se démonter, je vous rappelle que les renforts de la police vont arriver sous peu. Vous pensez peut-être que je craquerai vite sous la torture, mais ne vous fiez pas aux apparences… tous les vécus ne se lisent pas sur les visages.

— Alors on part maintenant, vous ne retournez pas au chevet de votre guide pour attendre les secours.

— Si, je vais y retourner, et vous allez m’accomp…

— Si vous voulez que votre enquête avance, il faut partir sur-le-champ, avant qu’Hadès ait été mis au courant de notre présence ici. Chaque minute compte pour espérer récupérer des preuves.

— Je ferai envoyer une équipe au siège d’Hadès dès que nous aurons à nouveau du réseau, comme ça, nous…

— Comment croyez-vous qu’un tel entrepôt ait pu être construit ici ? Cette entreprise possède des connexions à de nombreux niveaux, dans le pays et ailleurs. Il y a de forts risques qu’ils soient prévenus si vous demandez à vos services d’intervenir. Nous devons y aller seules pour avoir une petite chance de les surprendre. Et tout de suite.

Si Yan succombait à ses blessures, Grace ne se pardonnerait jamais de ne pas être retournée à ses côtés. Lorsqu’elle avait été arrachée à sa vie, il y a des années, c’est l’espoir que quelqu’un passe ses jours et ses nuits à la chercher qui l’avait fait tenir. Dans sa demi-conscience, le jeune homme devait investir la même confiance en elle.

— Le temps passe, inspectrice…

Déchirée, Grace sut qu’elle allait devoir supporter le poids de la culpabilité. Au-delà du meurtre d’Anton, son enquête semblait désormais concerner des milliers de personnes, et il lui était impossible de laisser passer une opportunité de la faire avancer.

Sans rien montrer du drame qui se jouait en elle, Grace quitta le poste de communication.

— On y va.

— La sortie est à une dizaine d’étages au-dessus, c’est par là que je suis entrée.

— Dix étages ? répliqua Grace en regardant machinalement sa cheville.

— J’espère que vous n’attendez pas que je vous aide.

— Non, mais au moins, que ça nous laisse le temps de faire connaissance. Qui êtes-vous ?