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— Entendu. Mais compte tenu de la blessure de la victime qui semble due à un coup porté au visage et des circonstances de l’accident, je vous informe que nous allons devoir prévenir les services de police.

— Je suis moi-même inspectrice et mes supérieurs sont au courant, mais cela ne vous empêche pas de suivre la procédure habituelle. Merci beaucoup.

Grace reposa son téléphone sur sa cuisse, les yeux dans le vide. Après quelques secondes, Naïs rompit le silence.

— J’ai entendu. Il n’est pas mort et tu as fait de ton mieux.

Grace hocha la tête, la poitrine rongée par l’acide brûlure de la culpabilité.

— Je n’aurais pas dû l’emmener avec moi.

— S’il ne t’avait pas accompagnée, tu n’aurais pas trouvé l’entrepôt, on ne se serait pas rencontrées et tu ne m’aurais pas aidée à trouver l’adresse d’Hadès à Édimbourg, et…

— Je sais.

Grace ressentit de nouveau la mauvaise faim de ses années sombres. Cette envie maladive de gâteau ou de quelque chose de très sucré pour étouffer le mal-être.

— Hey ! lança Naïs en prenant Grace par les épaules.

Cela faisait si longtemps que personne ne l’avait touchée qu’elle eut un mouvement de recul. Naïs leva les mains et s’écarta.

— Excuse-moi, dit-elle. Je n’aurais pas dû.

— Non, c’est moi qui déconne, répliqua Grace. On y va.

— Sûre ?

— Oui, répondit-elle.

Elle fit glisser le chargeur de son arme, qu’elle replaça une fois assurée qu’il était plein.

Les deux femmes quittèrent le véhicule, direction le numéro 36 de la rue. Grace marcha derrière sa coéquipière, pour mieux dissimuler le tremblement de sa main.

Mais arrivée devant la bonne maison, elle passa devant.

— Police ! Ouvrez !

Elle brandit son badge d’inspectrice devant l’œilleton, tandis que Naïs se tenait à droite de la porte, en embuscade, le canon de son arme pointé vers le sol.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? lança une voix masculine inquiète de l’intérieur.

— Police ! Ouvrez ! répéta Grace.

On entendit la porte se déverrouiller et un grand homme longiligne, les cheveux hirsutes, une serviette de table dans la main et des traces de sauce tomate au coin de la bouche, apparut dans l’embrasure.

— Quel est votre nom ?

— Heu… Gregor Frazer, répondit le trentenaire. Pourquoi ? J’ai fait quelque chose ?

Grace le toisa de haut en bas et lui fit signe de se pousser.

Le jeune homme, ahuri, s’effaça et dévisagea avec encore plus d’étonnement l’agente de la DIA qui entrait chez lui.

— Vous pouvez me dire pourquoi vous êtes là ?

Grace s’avança dans un salon peu éclairé, dont la décoration sans harmonie était composée de meubles de récupération. Une télévision était allumée devant une table basse où fumait une assiette de spaghettis.

— Vous êtes seul, ici ?

— Euh, aujourd’hui, oui, mais parfois, ma petite amie vient.

Sans qu’elles aient eu besoin de se consulter, Naïs avait refermé la porte d’entrée, devant laquelle elle avait pris place, surveillant les moindres gestes du jeune homme, son pistolet à la main. Celui-ci jetait d’ailleurs des coups d’œil inquiets en direction de cette grande blonde intimidante à la figure de cire.

Grace s’approcha d’une petite bibliothèque dans un coin du salon. Traversée par une décharge d’adrénaline, elle se rendit compte que le meuble débordait d’ouvrages d’astrophysique et de biographies d’illustres scientifiques et artistes.

— Montrez-moi vos papiers d’identité, ordonna-t-elle.

L’homme demeura un moment au milieu de la pièce, ne comprenant pas pourquoi ces deux femmes avaient fait irruption chez lui. Grace leva son arme et le visa.

— Je vous conseille de ne pas faire de bêtise. Vos papiers.

Sa voix était froide, métallique, dénuée de toute empathie. Elle était en train de se convaincre que l’ennemi à affronter l’obligeait à casser toutes les règles qu’elle s’était fixées et qu’elle avait toujours respectées. Dans son dos, elle entendit Naïs changer de position.

— Ils… sont dans la poche intérieure de mon manteau, là, à côté de vous, dit le jeune homme à l’agente de la DIA.

Naïs fouilla, trouva les documents et les inspecta.

— C’est bien Gregor Frazer, déclara-t-elle.

Pétrie de doutes, Grace ressentait une nervosité inhabituelle. Elle avait le sentiment qu’on la prenait pour une idiote.

— Et vous faites quoi dans la vie, Monsieur Frazer ?

— Je suis… manutentionnaire dans une usine de chaussures.

— Et l’astrophysique, c’est votre passe-temps ?

— Hein ? Non, de quoi vous parl…

Grace fonça droit devant, son pistolet braqué vers le jeune homme, qui s’agenouilla de lui-même.

— Je n’ai rien fait ! cria-t-il.

Grace se fit sourde à sa supplique et lui colla le canon de son arme sur la nuque.

— Tu t’appelles Neil Steinabert ! Arrête de te foutre de nous ! Parce que si tu continues, ce ne sont pas deux gentilles dames comme nous qui viendront te chercher, mais Olympe qui enverra l’un de ses tueurs te liquéfier le cerveau, comme ils l’ont fait à ton ami Anton ! Alors ! Ton identité, la vraie.

Elle donna une impulsion, ce qui le força à baisser encore plus la tête. Elle le sentait trembler. Il se mit à sangloter.

Grace recula de quelques pas et orienta son pistolet vers la jambe.

— Je compte jusqu’à trois. Si tu n’avoues pas, tu comprendras ce que ça fait de se prendre une balle dans l’arrière du genou. Un…

Il balbutia quelque chose d’incompréhensible.

— Qu’est-ce que tu dis ? Deux… Parle ! lança Grace en élevant la voix sans pour autant crier. Trois…

Naïs, qui s’était avancée aux côtés de sa coéquipière, lui posa une main sur le bras.

— Calme-toi, murmura-t-elle.

L’homme était tombé à terre, recroquevillé sur lui-même. En état de choc.

Naïs s’agenouilla et l’aida à se redresser pour s’asseoir dans le canapé troué. Fixant le sol, n’osant lever les yeux, il tentait de parler, malgré sa mâchoire crispée qui le faisait bégayer.

— Je vous écoute, souffla Naïs d’une voix douce que Grace ne lui connaissait pas. Dites-nous ce que vous savez, on ne vous fera pas de mal. Au contraire, on est là pour vous protéger contre d’autres personnes qui n’auront pas les mêmes intentions.

— Neil Steinabert… c’était le locataire d’avant… Le propriétaire qui me loue la maison m’a raconté que l’occupant précédent était parti précipitamment… Quand je suis arrivé, il avait… lai… laissé plein d’affaires à lui, dont ces livres d’astro… d’astrophysique. Comme je n’ai pas beaucoup d’argent, je les ai mis dans la bibliothèque juste pour la remplir. Mais je n’y connais rien…

Grace enfila une paire de gants en latex qu’elle avait récupérée dans son véhicule et commença à fouiller les lieux. Elle était toujours aussi nerveuse. Sur ses épaules pesait le regard terrifié du jeune locataire, qui lui fit prendre conscience qu’elle ne se contrôlait plus si bien qu’elle l’aurait dû.

L’homme désigna soudain une porte et articula quelques mots à voix étouffée.

— Dans le placard à côté de la salle de bains, il y a un carton. J’y ai mis des affaires de ce Neil en me disant qu’il voudrait peut-être les récupérer un jour.

Grace ouvrit le placard, trouva le carton sur une étagère en hauteur et le descendit. Il contenait des vêtements beaucoup trop petits pour pouvoir appartenir au locataire actuel de la maison, ainsi qu’une lunette astronomique pliée dans une mallette, et une calculatrice scientifique.