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Il reprit de sa voix profonde et assurée.

— Inspectrice Campbell, s’il y a eu un Univers avant le nôtre, pourrait-il en rester des traces dans celui que nous occupons aujourd’hui ? À l’image des ruines d’une civilisation disparue sur Terre, peut-on trouver dans l’espace des vestiges de l’Univers précédent, qui prouveraient son existence ? Quelque chose a-t-il survécu à la contraction extrême menant au rebond ?

Fascinée, Grace sentit que le général détenait la réponse à ces vertigineuses questions. Et cette sensation de toucher un savoir si profond se faisait grisante. Le militaire appuya de nouveau sur une touche.

— La réponse est oui. Nous avons tout récemment obtenu une preuve de l’existence de l’Univers précédant le nôtre, déclara le général. Cette preuve se trouve dans les toutes dernières images que nous avons reçues du fond diffus cosmologique.

– 55 –

— Les cercles rouges que scrute Neil depuis tout à l’heure sur le fond diffus cosmologique désignent les vestiges de l’Univers qui existait avant le nôtre.

Grace se rappela ce que lui avait expliqué le professeur d’astrophysique de l’université des Highlands sur ces anomalies énergétiques qu’il avait repérées et sur lesquelles Anton Weisac travaillait. À cet âge de 380 000 ans, l’Univers n’aurait pas pu produire une énergie suffisante pour libérer ces traces, et il était donc impossible d’expliquer la présence de ces aberrations physiques.

— Comment le savez-vous ? Enfin, je veux dire, quelle est la nature de ces points et comment peut-on être sûrs qu’ils proviennent de l’Univers qui a précédé le nôtre ?

— Les derniers clichés grossissants pris par nos satellites nous ont prouvé que cette trentaine de bizarreries énergétiques possédaient des formes tourbillonnantes typiques des traces que les trous noirs laissent derrière eux en s’évaporant. Or, à l’âge de 380 000 ans, l’Univers n’avait pas encore eu la possibilité de former des trous noirs et encore moins de les avoir vus disparaître. Nous sommes donc formels, ces points sont des ondes gravitationnelles provenant de trous noirs de la précédente ère du cosmos, qui ont survécu au grand rebond du mal nommé big bang.

Alors que la voix du général retombait dans la pièce tamisée, Grace mesurait l’ampleur de la révolution métaphysique qu’on venait de lui démontrer. Preuves à l’appui. Mais une question demeurait en suspens. Si tous ces scientifiques savaient tout cela avec certitude, pourquoi le général avait-il besoin de Neil ? Elle posa la question, sans même que le savant ait l’air de l’entendre.

Le militaire fit de nouveau glisser son pouce entre ses sourcils.

— L’Univers d’avant a très vraisemblablement été un monde reflet du nôtre. Comme il était composé des mêmes éléments chimiques que celui que nous habitons, il a très certainement conduit à la vie, à la conscience et à l’intelligence, donc à des civilisations évoluées. Des civilisations qui, avant la contraction de leur Univers, étaient forcément bien plus avancées que nous dans leur maîtrise des lois de la physique. À leur place, nous aurions tenté de léguer à l’Univers suivant ce que nous avons appris. Or, le fond diffus cosmologique est visible de toutes les parties du cosmos. Donc, si on voulait déposer un message à l’attention des civilisations suivantes sans savoir où elles se trouveront dans l’espace, c’est là que nous le mettrions.

Le général se tourna vers Neil.

— C’est pourquoi nous avons la conviction qu’un message se cache dans le fond diffus cosmologique. Un code, une formule, une idée, même… Quelque chose est très certainement inscrit dans les profondeurs de l’Univers. Et l’essence de ce message est logiquement de nature mathématique. Or, nous avons beau scruter, aucun schéma ne nous apparaît… C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’un cerveau extraordinaire pour mener une telle recherche. Un esprit doté de cette intuition, de cette intelligence perçante, de ce génie qui voit ce que personne d’autre n’a vu. C’est pourquoi nous courions depuis des années après Neil Steinabert et son collègue Anton Weisac. Depuis le jour où nous avons appris ce qu’Olympe avait fait de l’ADN de Newton et d’Einstein…

Il parlait d’un ton solennel.

— Neil Steinabert est le seul être capable d’aider l’humanité à déchiffrer ce message. Nous avons besoin de lui plus que jamais.

— Il y a quelque chose…, lança soudain Neil du bout de la salle. Je le vois…

Grace accourut, précédée du général, qui l’avait dépassée dans un empressement quasi frénétique.

Le savant respirait de plus en plus bruyamment. Son front perlait de fièvre. Était-ce la septicémie qui commençait ou la stimulation hors du commun de sa réflexion ?

— Neil, ça va ? demanda Grace en se rapprochant de lui.

Le scientifique jeta un regard luisant d’une flamme folle que Grace ne lui connaissait pas.

Puis il s’adressa au général.

— J’ai besoin de voir l’image en plus grand ! s’emporta-t-il. Vite !

Le militaire fit rouler le brancard de Neil vers la sortie et les conduisit à travers un enchaînement de couloirs. Le savant suait à grosses gouttes et se cramponnait le ventre, une grimace de douleur déformait ses traits. Grace toucha le front du scientifique. Il était brûlant et tout son corps frissonnait. Il n’en avait plus pour longtemps.

Ils franchirent enfin une porte à double battant et pénétrèrent dans une immense salle obscure surmontée d’un dôme. Une vingtaine de sièges orientés vers le plafond équipaient ce qui avait tous les attributs d’un planétarium.

Le général installa Neil bien au centre de la salle et se dirigea vers une console dont il actionna plusieurs boutons. La voûte se mua soudain en un ciel de points représentant le fond diffus cosmologique dans des proportions immenses.

Grace se laissa happer par le paysage écrasant qui les surplombait, avant de se tourner vers Neil. Seul, allongé dans son brancard, le visage nappé d’une lueur bleutée, il contemplait l’empreinte fossile de l’Univers, ses yeux sautant d’un endroit à l’autre et ses lèvres murmurant des phrases inaudibles.

Grace se rapprocha de lui et l’entendit prononcer des suites de chiffres. Cette fois, elle en était certaine, Neil décodait un message qu’il était seul à voir.

Elle croisa le regard empli d’espoir du général et se rendit compte que le savant parlait de plus en plus vite et de plus en plus fort. Comme s’il n’était plus que le génie de son esprit, oubliant son entourage et son propre corps.

À ses côtés, Grace perçut soudain de la peur dans sa scansion, et après une longue minute d’une mélopée qui s’étirait vers un étranglement, Neil lui saisit brutalement la main. Sa peau était brûlante, moite, et sa poigne douloureuse. Le débit de ses paroles s’accéléra, sa prise se raffermit, écrasant les doigts de l’inspectrice. Que voyait-il pour être dans cet état ? Que comprenait-il ?

Le général tenait son menton entre ses paumes, suspendu aux lèvres du savant, qui tremblotaient plus qu’elles ne s’ouvraient pour articuler. Et soudain, la voix de Neil ne fut qu’un filet. Sa poigne se relâcha et sa main glissa de celle de Grace. La bouche entrouverte, les pupilles fixées dans le vide, le savant se figea dans la mort. Et comme une étrangeté encore vivante sur son visage livide, une larme coula de son œil pour rouler sur sa joue.

Bouleversée, Grace voulut reprendre la main de Neil dans la sienne, mais le général la bouscula.

— Non ! Ce n’est pas possible ! Réveillez-vous ! se mit-il à hurler, en secouant le corps du scientifique. Vous n’avez pas le droit de nous laisser comme ça ! Vous étiez le seul ! Qu’avez-vous vu ? Répondez !