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— Général Miller, intervint Grace avec fermeté.

— Taisez-vous ! C’est à lui que je m’adresse !

— C’est à un mort que vous demandez de parler.

Grace n’avait même pas terminé sa phrase qu’une équipe de médecins fit irruption dans la salle.

— Réanimez-le ! ordonna le général dans un état second.

L’un des secouristes arracha la chemise de Neil et lui plaça les électrodes d’un défibrillateur sur la poitrine. Après avoir émis un long bip, la machine délivra sa décharge électrique. Le corps de Neil se contracta brièvement. Le médecin écouta le cœur et fit non de la tête.

— Recommencez ! Il a vu, il sait, il ne peut pas mourir comme ça ! hurla le général.

Le médecin répéta l’opération, sans succès. Soudain, le militaire leva la main pour frapper le savant.

— Jamais de la vie ! s’écria Grace, en lui saisissant le bras.

L’homme allait la gifler, mais se ressaisit au dernier moment.

Comme écrasé par le poids du monde, il s’accroupit contre le dossier d’un fauteuil, le regard vide.

— On ne saura jamais, balbutia-t-il. Jamais.

Sous le choc de la mort de Neil et de l’agression du général, Grace cherchait à reprendre ses esprits. Et ce n’est que trop tard qu’elle vit le militaire attraper son arme de service et se tirer une balle dans la tête.

– 56 –

Deux jours plus tard, après avoir répondu de multiples fois à la police militaire de la base de Thulé et consigné tout ce dont elle avait été témoin au cours de son enquête dans un rapport qu’elle s’engageait à garder confidentiel, Grace regagnait l’Écosse dans un avion spécialement affrété par l’US Air Force. À quelques mètres d’elle dans le cargo, le corps de Neil reposait dans un cercueil, emportant dans sa mort le secret qui aurait dû bouleverser l’humanité.

Grace ne cessait de repenser à cette larme qui avait coulé sur la joue du savant. Qu’avait-il vu ? Quel message l’avait mis dans un tel état de panique ? On ne le saurait probablement jamais, du moins pas avant que le monde n’ait donné naissance à un autre génie de la dimension d’Einstein ou de Newton.

Pendant tout le voyage, elle ne connut aucun repos. En y réfléchissant, elle avait échoué sur tous les plans. Elle n’était pas parvenue à remonter jusqu’aux dirigeants d’Olympe et donc à confondre les vrais coupables du meurtre d’Anton Weisac. Elle avait été incapable de protéger Naïs, le seul être qui aurait pu la rendre heureuse, et Neil était mort avant d’avoir pu révéler ce qu’il avait compris.

Le jour même de son atterrissage, elle se rendit au commissariat pour retrouver Elliot Baxter, son supérieur. Dans l’établissement, tout le monde s’arrêta de travailler pour contempler Grace traverser l’open space. Un claquement de mains retentit, puis un autre, et petit à petit, tous ses collègues se levèrent pour l’applaudir. Grace n’était pas certaine de comprendre ce qui lui valait cet honneur, puisque son enquête n’avait pas abouti. Elle remercia timidement d’un signe de tête, craignant presque un canular, et entra dans le bureau vitré d’Elliot. Il parut étonné en la voyant.

— Ne me dis pas que tu ne m’attendais pas ?

— Si, bien sûr que je t’attendais, mais, tu as… changé.

Grace ne s’était absentée que quelques jours. Troublée, elle tourna la tête. Elle se souvenait qu’elle pouvait apercevoir son reflet dans la vitre latérale du bureau de son supérieur. Une image d’elle qu’elle avait pris l’habitude de regarder ces derniers mois, pendant qu’Elliot lui expliquait pour la énième fois qu’il ne pouvait pas la réintégrer à son poste d’inspectrice sur les affaires criminelles et qu’elle devait rester à ses occupations administratives.

En se voyant, elle comprit ce qu’Elliot voulait dire. Elle en fut même surprise : son buste s’était redressé, et elle avait devant elle une très belle femme, déterminée. Même ses yeux donnaient l’impression de s’être agrandis, comme si ses paupières étaient plus ouvertes. Elle, qui se sentait triste, minée par l’échec, se trouvait pourtant plus grande, plus sûre d’elle, plus présente.

— Pourquoi ces applaudissements ? demanda-t-elle. Une manière de célébrer l’échec retentissant de mon enquête ?

Elliot décolla son regard de l’inspectrice, troublé.

— Grace, quand tu as contacté la base de Thulé, les officiels de l’US Air Force et de la DIA du Pentagone ont appelé le ministre de la Défense écossais pour vérifier ton identité. Au pied du mur, il n’a pas voulu créer d’incident diplomatique avec les forces américaines en niant ton implication. Il a donc levé son interdiction d’enquêter sur Olympe et m’a mis en relation directe avec les Américains. Nous avons longuement échangé, ces deux derniers jours, afin d’organiser ton rapatriement et celui du corps de Neil Steinabert. Le rapport que tu leur as fait sur ton enquête m’a été communiqué dans les moindres détails. Ici, tout le monde sait ce que tu as traversé et les épreuves que tu as surmontées pour aller au bout de ta mission… Nous sommes tous ébahis par ce que l’on peut sans exagérer qualifier d’exploit. Tous ceux qui travaillent ici mesurent la force d’âme qu’il a fallu déployer et, en leur for intérieur, ils savent qu’ils n’en auraient probablement pas été capables.

— Je n’ai rien réussi à obtenir, Elliot… À part la mort de l’assassin d’Anton et de Neil, mais les vrais commanditaires sont libres.

— Personne n’aurait pu faire plus que ce que tu as fait. Personne.

Elliot baissa les yeux.

— Et permets-moi de te présenter mes sincères excuses pour t’avoir si mal traitée durant l’année qui vient de s’écouler. Rien ne justifiait un comportement si méprisant à ton égard.

Grace sentit un nœud oublié se dénouer en elle.

— Nul besoin de te confirmer ton retour immédiat à ton poste d’inspectrice criminelle, ajouta Elliot.

— Merci.

— Tu fais l’honneur de notre police, Grace. C’est à nous de te remercier. Mais avant de te remettre au travail, prends quelques jours de repos. Ils te sont naturellement offerts. Je te contacterai pour les funérailles de Neil.

Grace répondit d’un battement de cils.

— Et pour Olympe, que fait-on ? s’enquit-elle.

— On ne pourra jamais s’attaquer frontalement à une organisation si tentaculaire et puissante. Tu le sais mieux que moi, désormais. Le ministre de la Défense a lâché du lest face aux Américains, mais maintenant que la crise a été évitée, il m’a fait comprendre qu’on en resterait là au sujet d’Olympe.

Grace fouilla dans la poche de son manteau, posa son téléphone portable sur le bureau et démarra la vidéo de la confession de Neil Steinabert.

Quand l’enregistrement d’une vingtaine de minutes fut achevé, Elliot se passa une main dans les cheveux en laissant échapper un souffle de fascination. Puis il regarda Grace avec insistance.

— Je n’ai jamais vu cette vidéo, je ne sais pas qui l’a enregistrée et encore moins qui l’a mise sur Internet de façon anonyme pour qu’elle devienne virale et réveille les consciences…

Grace lui répondit d’un sourire entendu et remit le portable dans sa poche.

— Que vas-tu faire ces prochains jours ? demanda Elliot. Rentrer chez toi, retrouver tes livres et ta tranquillité ?

— Oui, mais avant, je dois aller voir quelqu’un. D’ailleurs, j’aurais besoin d’entrer en contact avec un membre de la DIA.

Elliot griffonna un numéro de téléphone sur un papier et le tendit à Grace.