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- Le type dit à la fille de s'en aller et de ne jamais revenir. Mais elle insiste, elle dit qu'elle ne peut pas le laisser comme ça, parce qu'il risque de mourir de faim. Elle va chercher un plombier. Le plombier étudie le cas, mais refuse de prendre la responsabilité. « Je ne peux pas casser la cuvette, dit-il. Ça pourrait lui blesser le pied. » On appelle une ambulance. Les infirmiers arrivent avec un brancard, et ils décident tous de desceller la cuvette du plancher. On met le type sur le brancard, avec la cuvette toujours autour de son pied, comme une énorme chaussure. Les deux infirmiers se mettent à rigoler. Le premier glisse dans l'escalier, tombe sous le brancard. La cuvette lui tombe sur la tête et le tue net.

Jeanne eut un rire nerveux. Paul se leva brusquement et sortit de la salle de bains, la laissant seule. Cet humour cruel était quelque chose qu'ils auraient pu au moins partager, mais il n'en avait pas envie.

Tout habillé maintenant, Paul se mit à arpenter le salon rond, l'inspectant d'un regard critique. Il déplaça la table et les chaises dans la salle à manger et alla chercher le grand matelas dans la petite chambre. Ce qui avait été le tabernacle les isolant du monde extérieur prenait maintenant l'air d'une arène. Il entrebâilla légèrement les volets d'une des fenêtres, pour faire entrer plus de lumière dans la pièce.

Jeanne sortit de la salle de bains, parfaitement maquillée et prête à partir. Ses cheveux longuement brossés brillaient, et elle les avait soigneusement relevés et épinglés au-dessus de sa nuque. Dans ses jeans qui moulaient ses jambes interminables, elle avait l'air tout d'un coup moins jeune, plus femme. Ils se regardèrent. Jeanne sourit, hésita, lui fit un petit signe de la main et se tourna vers la porte d'entrée. Mais Paul n'en avait pas encore fini avec elle et, au fond, elle le savait : il n'eut pas besoin de la rappeler.

Elle revint dans le salon. Paul était planté dans le soleil, le menton levé, l'observant avec le même détachement froid. Elle soutint son regard. Ils étaient maintenant des combattants, qui se mesuraient.

- On remet ça ? fit-elle.

Paul ne répondit pas mais lentement se mit à déboutonner sa chemise. Jeanne jeta dans un coin son manteau et son sac et l'imita, ôtant son corsage et ses jeans pour finalement se dresser nue et fière devant lui.

- Il faut qu'on se regarde, dit-elle. C'est ça ?

- Oui, répondit-il, et pour la première fois, il la regarda comme une femme. C'est ça.

Il s'assirent sur le lit, face à face, leurs jambes emmêlées. Il palpa des deux mains le visage de Jeanne, comme s'il venait de le découvrir, puis son cou, ses épaules, ses seins où ses mains s'attardèrent, s'émerveillant de leur plénitude.

- N'est-ce pas que c'est beau comme ça ? dit-il, et il était sincère. Sans rien savoir ?

- Adam et Ève ne savaient rien l'un de l'autre, dit-elle.

- Nous sommes comme eux, mais à l'envers. Ils virent qu'ils étaient nus et ils eurent honte. Nous avons vu que nous avions des vêtements, et nous sommes venus ici pour être nus.

Ils emmêlèrent leurs jambes dans une position assise du Kàma-Sùtra, chacun d'eux reposant une cuisse sur celle de l'autre. Jeanne prit dans sa main le sexe de Paul et le guida en elle. Paul fit courir ses doigts sur les hanches rondes et caressa sa toison tiède et humide.

- Je suis sûre que nous pourrions jouir sans nous toucher, dit-elle.

Ils se renversèrent en arrière en se regardant.

- Simplement avec nos yeux, dit-elle, et nos corps.

En plaisantant il demanda :

- Tu as joui ?

- Non.

Paul commença à se balancer d'avant en arrière.

- C'est difficile, gémit Jeanne.

- Moi non plus, je n'ai pas encore joui. Tu n'essaies pas assez fort.

Leur mouvement s'accéléra. Ce fut Paul qui jouit le premier, et il la quitta, mais Jeanne n'avait jamais été plus ravie. Pour la première fois, ils commençaient à éprouver quelque chose de plus que le désir et l'excitation d'une aventure : c'était une sorte de sympathie. Elle aurait voulu lui dire quelque chose, mais elle ne savait pas comment l'appeler.

- Je sais ce que je vais faire, dit-elle, toute joyeuse. Il va falloir que je t'invente un nom.

- Un nom ? Ô Seigneur ! fit Paul en riant et en secouant la tête. Mon Dieu, on m'a appelé par mon nom un million de fois dans ma vie. Je ne veux plus de nom. Je préfère me contenter de grommeler et de grogner. Tu veux savoir mon nom ?

Il se mit à quatre pattes. Il fronça les lèvres en avant pour leur donner la forme d'un groin, souleva la tête et se mit à gronder bruyamment. Puis il se mit à grogner, un grognement rauque, un son primitif qui les excita tous les deux. Jeanne passa les bras autour de son cou et avança un pied entre ses jambes.

- C'est si masculin, dit-elle. Maintenant écoute mon cri.

Elle l'attira auprès d'elle sur le matelas et le serra très fort. Elle miaula et demanda :

- Tu aimes ça ?

Ils éclatèrent de rire. Il grogna encore, et elle répondit. À eux deux ils emplirent le salon rond de leurs râles stridents, comme deux bêtes.

7

L'équipe de Tom attendait dans le jardin de la villa de Châtillon-sous-Bagneux quand Jeanne arriva. Ses cheveux n'étaient plus coiffés en rouleaux, mais tombaient en mèches folles sur ses épaules. On aurait dit qu'elle venait de se réveiller. Sortant tout droit des bras de Paul, elle débordait de vie ; par contraste, les autres avaient l'air de statues, et elle s'arrêta auprès de la grille pour observer le préposé au son. Il était agenouillé auprès de son magnétophone, son casque aux oreilles, et il faisait passer la perche d'avant en arrière au-dessus de sa tête pour vérifier le niveau d'enregistrement. Le cameraman était en train de charger son appareil, les deux mains enfoncées dans un sac noir. La script-girl feuilletait le dernier numéro de Elle, sans même chercher à dissimuler son ennui. Aucun d'eux ne s'intéressait aux oies qui passaient, elles fournissaient simplement un son intéressant.

Jeanne referma bruyamment la grille.

- Merci pour le bruit, dit le préposé au son. C'était la discrétion même.

Jeanne lut la déception sur le visage de Tom. Il se tenait un peu à l'écart, les mains dans les poches, s'efforçant de lui sourire.

- Tu n'es pas prête, fit-il en regardant ses cheveux.

Elle décida de ne pas se chercher d'excuses en mentant.

- Mais ça n'est pas une perruque, fit-elle en riant. Ce sont les miens. Tu ne me trouves pas belle ? Ose me dire que tu ne m'aimes pas comme ça.

- Mais si, je t'aime bien comme ça, insista Tom. Tu as l'air changée, mais tu es la même. Je vois déjà un plan...

Tom leva les deux mains, formant un cadre imaginaire comme un objectif et la regarda ainsi. L'équipe se préparait au tournage. Jeanne examina le jardin et le mur de pierres qui l'entourait. Dans son enfance, la villa était flanquée sur trois côtés par des prés et lui semblait inviolée comme tous ses souvenirs. C'était avec désappointement qu'elle avait vu ces mêmes champs disparaître au long des années sous les lourds pâtés d'habitations et les baraquements des travailleurs émigrés chassés des villes.

- La caméra est tout en haut, reprit Tom. Elle descend lentement vers toi. Et à mesure que tu avances, elle se rapproche. Il y a de la musique aussi. De plus en plus près de toi.

- Je suis pressée, fit Jeanne, l'interrompant. Commençons.

- Mais tout d'abord, nous allons parler un peu de la scène.

- Non, dit-elle.

L'équipe se mit en position et la suivit vers le fond du jardin.

- Aujourd'hui, on improvise, annonça-t-elle. Vous n'aurez qu'à vous débrouiller pour me suivre.

Tom était enchanté. Il fit signe à son caméraman de venir.