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Jeanne commença à se balancer. Elle fredonna : Une jolie fille sur une balançoire, elle jouait son rôle. Tom se mit à rire.

- Tiens, voilà autre chose. Tu sais pourquoi que je les ai renvoyés ?

- Parce que tu es furieux, ou parce que tu veux être seul avec moi.

- Et pourquoi est-ce que je veux être seul avec toi ?

- Tu as quelque chose à me dire, hasarda-t-elle : En tête à tête.

- Bravo ! cria Tom. Quoi donc ?

- Quelque chose de gai ou de triste ?

- C'est un secret.

- Alors, c'est gai. Quel genre de secret ?

- Voyons...

Il fit semblant de réfléchir.

- ... un secret entre un homme et une femme...

- Alors, c'est obscène, fit-elle en riant, ou bien il s'agit d'amour.

- Oui, d'amour, mais ça n'est pas tout.

- Un secret à propos d'amour.

Elle appuya son menton sur son poing. Tom avait toujours l'œil collé au viseur de sa caméra.

- Un secret à propos d'amour où il est question de quelque chose qui n'est pas de l'amour, dit-elle. Je donne ma langue au chat.

- Je voulais te dire que dans une semaine je m'en vais t'épouser.

- Tiens donc !

- Naturellement, ça dépend de toi.

- Et toi ?

- Moi, j'ai décidé, tout est prêt...

- Oh ! Tom, tout ça me paraît si bizarre. Ça me paraît impossible.

- La prise va être un peu floue. J'ai les mains qui tremblent d'émotion.

Elle se mit à se balancer, levant chaque fois les pieds plus haut.

- Tu n'as pas encore répondu ! cria-t-il.

- Parce que je n'y comprends, rien.

Elle avait le visage tout rouge. Elle arborait un large sourire. Elle regarda autour d'elle - le canal, le capitaine qui emballait son bric-à-brac dans des caisses, les maisons bordant le quai et les platanes dénudés, le vol bien synchronisé d'un couple de pigeons, et elle n'arrivait à se concentrer sur rien. Lentement, la balancelle s'arrêta.

- Alors ? lit Tom, c'est oui ou c'est non ?

Une trace d'inquiétude traversa le visage de Jeanne, elle passa les bras autour du cou de Tom.

- Cesse de filmer, murmura-t-elle. C'est toi que je dois épouser, pas la caméra.

Tom ramassa un vieux préservatif et, pour célébrer l'événement, le lança dans l'eau du canal. À leur surprise, il coula aussitôt.

14

Jeanne ouvrit la porte de l'appartement de sa mère avec sa clef. Elle avait monté l'escalier en courant au lieu de prendre l'ascenseur, impatiente qu'elle était d'annoncer la bonne nouvelle. La vue de leur vaste salon confortablement meublé eut sur elle un effet quelque peu refroidissant. Des armes africaines primitives et des objets d'art similaires à ceux qui étaient accrochés dans la villa couvraient tout un mur. La pièce était claire et spacieuse, mais elle donnait une impression de nostalgie, de temps perdu.

Elle se précipita dans la chambre de sa mère.

Une femme belle encore, aux cheveux grisonnants soigneusement coiffés et avec un air d'autorité innée, était penchée sur le lit, encombré de vieux uniformes militaires. Elle serrait contre sa poitrine une paire de bottes en excellent état et remarquablement cirées.

- B'jour, maman, dit Jeanne en l'embrassant.

- Tu rentres tôt.

- Hé oui, figure-toi.

Elle arpenta la chambre, examinant nonchalamment le galon d'or d'une des tuniques, touchant les talons des bottes.

- Je suis de très bonne humeur, annonça-t-elle.

- Bon.

Sa mère brandissait les bottes avec admiration.

- Dis-moi, qu'est-ce que tu en penses ? Que je devrais les envoyer à la villa ?

- Envoie tout là-bas.

Elle fit une pirouette au milieu de la pièce, les bras levés, faisant voler ses longues mèches.

- De toute façon, Olympe est vraiment la conservatrice du musée de la famille.

- Mais pas les bottes, insista sa mère. Je vais les garder ici avec moi. Ça me donne le frisson rien que de les toucher.

Jeanna ramassa un képi rond incrusté de galons, et le posa de guinguois sur sa tête, puis elle prit une lourde tunique de laine kaki et passa la main sur les épaulettes et les boutons d'or.

- Ces uniformes, tous ces trucs militaires, ça ne vieillit jamais.

Elle reposa la tunique et le képi. Le vieux pistolet d'ordonnance de son père était là, dans la commode, elle le sortit de son étui de cuir usé et l'inspecta. Les balles étaient toujours en place.

- Il me paraissait si lourd quand j'étais petite et que papa m'apprenait à tirer.

Elle visa la plante verte dans son pot devant la fenêtre.

- Pourquoi ne l'envoies-tu pas là-bas aussi ? demanda-t-elle à sa mère. Qu'est-ce que tu vas faire d'un revolver ?

- Dans toute maison respectable, une arme à feu est toujours utile.

Elle se mit à ranger les uniformes dans les valises ouvertes.

Jeanne remit le pistolet en place, referma le tiroir ; elle se mit à fouiller dans une caisse pleine de vieux papiers.

- Tu ne sais même pas comment le tenir.

- L'important, c'est d'en avoir un. Ça fait son effet.

Jeanne découvrit dans la caisse un portefeuille en cuir rouge tout craquelé.

Tournant le dos à sa mère, elle l'ouvrit et en retira la vieille carte d'identité du colonel. Puis elle découvrit une photographie cachée sous la carte, toute jaunie et craquelée ; c'était la photo d'une jeune Arabe, exhibant fièrement ses seins nus devant l'objectif.

Jeanne cacha le portefeuille dans son sac. Elle se tourna vers sa mère et lui montra la photo.

- Et elle ? qui est-ce ?

Sa mère fronça les sourcils de façon presque imperceptible. De toute évidence, cette fille avait été une des nombreuses maîtresses du colonel durant ses campagne africaines.

- Beau type de Berbère, dit-elle avec dignité, tout en continuant à emplir les valises. Une race robuste. J'ai essayé d'en avoir quelques-unes à la maison, mais elles font des domestiques épouvantables.

Elle était vraiment la contrepartie en femme du soldat de métier réussi. Un modèle de perfection et de stoïcisme dans l'épreuve. Son devoir maintenant était envers la mémoire vénérée de son vaillant mari : elle ne laisserait rien la souiller.

Elle referma la valise d'un geste décidé et la déposa sur le tapis. Elle sourit à sa fille.

- Je suis contente d'avoir pris la décision d'envoyer tout ça à la campagne. Ça finit par s'entasser.

Jeanne l'embrassa affectueusement.

- Bientôt, tu auras toute la place que tu voudras.

Sa mère la regarda, mais Jeanne tourna les talons et se dirigea vers la porte.

- Il faut que je m'en aille. Je n'ai pas fini de travailler. J'étais simplement passer te dire...

Elle s'arrêta sur le palier et sa mère la suivit. Jeanne pressa le bouton d'appel de l'ascenseur.

- Pour me dire quoi ? demanda sa mère.

- Que je me marie.

Elle ouvrit la porte de l'ascenseur et pénétra dans la cabine.

- Tu quoi ?

Sa mère saisit la porte en fer forgé de l'ascenseur, contemplant sa fille d'un air incrédule.

- Je me marie dans une semaine, lança Jeanne en disparaissant à son regard.

En se rendant à la boutique, Jeanne s'arrêta dans un appareil à photos automatique à la station de métro. Elle introduisit les pièces dans la fente, tira le petit rideau en matière plastique et se trouva seule, juchée sur un tabouret de bois inconfortable, confrontée avec son propre reflet dans le miroir.

L'éclair du flash se déclencha ; elle tourna la tête vers la droite, puis vers la gauche, attendant chaque fois que l'appareil la photographie.

D'un geste impulsif, elle déboutonna sa blouse et darda ses seins nus vers l'objectif.