- J'ai voulu te quitter, je n'ai pas pu, dit-elle précipitamment.
Puis elle se souvint qu'il préférait l'anglais et répéta la même phrase dans sa langue à lui.
Paul ne dit rien. Il contemplait son corps. Les cercles sombres des boutons de ses seins sous le tissu mouillé, le contour de ses hanches étroites, la ligne de ses cuisses pleines. Même le duvet qui lui couvrait les jambes apparaissait à travers le satin, comme si c'était une seconde peau.
L'ascenseur commença à monter.
- J'ai voulu te quitter, répéta-t-elle. Tu comprends ?
Paul ne parlait toujours pas, son regard la toisait de la tête aux pieds. Jeanne se mit à soulever l'ourlet de sa robe, se renversant contre la paroi de la cabine, guettant sur le visage de Paul un signe de plaisir. Elle révéla ainsi ses mollets, ses genoux, ses cuisses, puis sa toison. Elle s'arrêta, puis souleva la robe plus haut, exhibant un nombril d'enfant. L'ascenseur poursuivait sa course.
- Qu'est-ce que tu veux d'autre de moi ? demanda-t-elle, d'une voix où l'on sentait tout à la fois la gratitude et l'excitation de se dévoiler ainsi.
Il aurait aussi bien pu ne pas l'entendre. Les paroles qu'elle prononçait ne signifiaient rien, comparées à sa présence. Il avança la main et la glissa entre ses jambes, là où elle était tiède et humide. Elle hésita, puis tendit la main à son tour, déboutonnant son pantalon, sa main se perdant parmi le labyrinthe de ses vêtements, jusqu'au moment où elle le tint d'une main ferme et sans équivoque. Leurs bras formaient une croix.
Avec un soupir, l'ascenseur atteignit sa destination.
- Voilà ! cria Paul, ouvrant toute grande la porte de l'appartement. (Il se mit à chanter :) Il y avait une fois un homme, et il y avait une vieille truie...
La pluie s'engouffrait par la fenêtre ouverte du salon rond, et il s'empressa de la fermer, puis se tourna vers Jeanne en faisant une révérence théâtrale. Jeanne était plantée au milieu de la pièce, frissonnant et riant.
- Tu sais, tu es trempée, dit-il.
Et il la prit dans ses bras. La robe mouillée était lisse comme de la glace, et les cheveux de Jeanne firent une tache d'humidité sur sa poitrine. Il alla dans la salle de bains chercher une serviette.
Jeanne avait envie de fêter tout cela. Elle était la jeune épousée maintenant, c'était leur lune de miel, et elle pivota au milieu de la pièce - comme elle l'avait fait le premier jour - pour se jeter à plat ventre sur le matelas. Elle serra l'oreiller comme une collégienne excitée et se tourna avec impatience vers la porte, en attendant de voir réapparaître Paul. Ce fut alors que sa main toucha quelque chose d'humide sous l'oreiller. Jeanne se redressa et repoussa l'oreiller. Un rat crevé gisait sur le drap, du sang séché autour de sa gueule, son pelage tout humide et poisseux.
Elle poussa un hurlement.
Paul arriva avec la serviette, qu'il laissa tomber sur ses genoux.
- Un rat, dit-il d'un ton détaché.
Mais elle se cramponna à lui en pleurnichant.
- Ça n'est qu'un rat, répéta-t-il, amusé par sa peur irraisonnée. Il y a plus de rats à Paris que de gens.
Paul se pencha et prit le rat par la queue, le laissant se balancer sous son nez. Jeanne eut un hoquet et recula. Elle était écœurée et terrifiée par la vue et le contact du rat, et elle regarda avec dégoût Paul soulever l'animal en ouvrant la bouche.
- Miam, miam, miam, dit-il, en se léchant les babines.
- Je veux m'en aller, balbutia-t-elle.
- Attends, attends. Tu ne veux pas manger un morceau avant, tu n'as pas faim ?
Sa cruauté était aussi épuisante que soudaine.
- C'est vraiment la fin, dit-elle.
- Non, c'est çà la fin, dit-il en plaisantant et désignant la queue. Mais je préfère commencer par la tête, c'est le meilleur morceau, voyons, tu es sûre que tu n'en veux pas ? Très bien...
Il approcha la tête du rat à quelques centimètres de sa bouche. Elle détourna les yeux, horrifiée.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il pour la taquiner. Tu n'aimes pas les rats ?
- Je veux m'en aller. Je ne peux plus faire l'amour dans ce lit, ce n'est plus possible. C'est dégoûtant, écœurant.
Elle frissonnait.
- Eh bien, fit-il, on baisera sur le radiateur, ou bien debout contre la cheminée.
Il se dirigea vers la cuisine.
- Écoute, lança-t-il en tenant toujours le rat par la queue, il faut que je prépare une mayonnaise, car c'est vraiment bon avec une mayonnaise. Je te garderai le croupion.
Il passa dans la cuisine en riant bruyamment.
- Du croupion de rat à la mayonnaise !
- Je veux m'en aller, je veux partir d'ici, cria-t-elle, incapable même de regarder le lit.
C'était extraordinaire, la rapidité avec laquelle l'ambiance avait changé. Impossible de prédire ce qu'il pourrait imaginer ensuite. Le désir qu'elle éprouvait pour lui, sa passion naissante, tout cela s'était évaporé au contact de ce pelage mort et poisseux. Pour la première fois, elle vit la pièce dans tout ce qu'elle avait de sordide. L'odeur du sexe la faisait penser maintenant à la mort. L'audace même dont elle faisait preuve en étant là l'effraya.
- Je n'en peux plus, murmura-t-elle, sans s'adresser à personne d'autre qu'à elle. Je m'en vais, je ne reviendrai jamais.
Elle tournait les talons pour s'en aller au moment où Paul revint. Il s'était débarrassé du rat.
- Quo Vadis, bébé ? demanda-t-il d'un ton moqueur.
Il la précéda dans le couloir et alla mettre le verrou à la porte du palier. Jeanne le regarda avec un mélange de dégoût et de gratitude. Au fond, elle n'avait pas envie de partir.
- Quelqu'un l'a fait exprès, dit-elle en regardant Paul d'un air méfiant. Je le sens. C'est un avertissement. C'est la fin...
- Tu es folle.
- J'aurais dû te le dire tout de suite. (Elle voulait mettre au défi cette outrecuidante assurance masculine :) Je suis tombée amoureuse de quelqu'un.
- Oh, mais c'est merveilleux, dit Paul d'un ton moqueur. (Il s'approcha et passa ses mains sur le tissu humide de sa robe, la palpant comme un fruit mûr). Tu sais, il va falloir que tu ôtes toutes ces fripes trempées.
- Je m'en vais faire l'amour avec lui, insista-t-elle.
Paul ne l'écoutait pas :
- D'abord, il faut que tu prennes un bain bien chaud, parce que sinon tu vas attraper une pneumonie. D'accord ?
Il entraîna doucement Jeanne dans la salle de bains et se pencha pour ouvrir tout grands les deux robinets. Puis il prit le bord de sa robe et se mit à le soulever lentement, la dénudant comme elle-même l'avait fait dans l'ascenseur.
- Tu attrapes une pneumonie, dit-il, et alors qu'est-ce qui se passe ? Tu meurs.
Jeanne leva les bras, et Paul fit passer sa robe par-dessus sa tête et la jeta derrière lui.
- Et alors, tu sais ce qui se passe ?
Elle était plantée devant lui, nue et secouant la tête.
- Je suis obligé de me taper le rat crevé, dit-il.
- Ohhh, gémit-elle en enfouissant son visage entre ses mains. (Elle savait qu'il ne la laisserait jamais l'oublier).
Paul se remit à chantonner. Il retroussa ses manches et l'entraîna avec douceur jusqu'à la baignoire. L'eau était merveilleusement chaude. Elle s'assit dedans, doucement, sentant les frissons et l'angoisse la quitter. Paul se percha au bord de la baignoire.
- Passe-moi le savon, dit-il.
Il lui saisit la cheville et lui souleva le pied jusqu'au moment où il l'eut au niveau de son visage. Lentement, il se mit à lui savonner les orteils, la plante du pied et le mollet. La douceur avec laquelle il la touchait la surprit. Elle avait l'impression d'avoir les jambes en caoutchouc, tandis que la vapeur s'élevait lentement entre elles et qu'elle sentait sa peau rayonner de chaleur.
- Je suis amoureuse, répéta-t-elle.