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— C’est quoi, ce truc ? demanda Kusanagi en considérant l’objet avec curiosité.

— Je te recommande de ne pas y toucher, l’avertit Kishitani, assis à côté de lui.

— Je suis sûr que ce n’est pas dangereux. Si ça l’était, il ne l’aurait pas laissé comme ça, répondit Kusanagi en appuyant sur l’interrupteur, ce qui fit se soulever doucement l’anneau.

Il poussa un cri de surprise. L’anneau flottait en l’air.

— Fais-le redescendre maintenant ! fit une voix derrière lui.

Kusanagi se retourna au moment où Yukawa entrait, les bras chargés de dossiers.

— Bonjour ! Tu donnais un cours ? lança-t-il en poussant l’anneau du bout des doigts.

Il retira presque immédiatement sa main.

— Aïe ! Mais c’est brûlant !

— Je ne laisse pas de choses dangereuses ici, en tout cas pas pour les gens qui ont des connaissances de base en physique, commenta Yukawa qui se rapprocha de son ami pour éteindre l’appareil. On se sert de cet instrument au lycée pour faire des expériences de physique !

— Et moi, j’en ai pas fait au lycée, rétorqua Kusanagi en soufflant sur ses doigts.

Kishitani riait ouvertement.

— A qui ai-je l’honneur ? Je ne crois pas que nous nous connaissions, déclara Yukawa en le regardant.

Kishitani cessa de rire et se présenta.

— Je m’appelle Kishitani. Je suis un collègue de Kusanagi qui m’a beaucoup parlé de vous. Je sais que vous l’avez souvent aidé dans ses enquêtes. Chez nous, tout le monde vous connaît sous le nom de professeur Galilée.

Yukawa fit une grimace, accompagnée d’un signe de dénégation de la main.

— Evitez de m’appeler comme ça. Je n’ai pas aidé Kusanagi pour le plaisir. Je me sens obligé de le faire chaque fois que je remarque à quel point il manque de logique. Faites attention, sa rigidité cérébrale pourrait être contagieuse.

Kusanagi jeta un regard noir à son collègue qui s’esclaffait.

— Tu trouves ça drôle ? Yukawa, tu exagères ! J’ai plutôt l’impression que ça t’amuse de résoudre les énigmes.

— Que ça m’amuse ? A cause de toi, je rends toujours mes articles en retard. Tu ne vas quand même pas me dire que tu es ici pour me parler d’un problème embêtant ?

— Ne t’en fais pas, ce n’est pas mon intention. Je suis passé parce que j’étais dans le quartier.

— Me voilà rassuré.

Yukawa s’approcha de l’évier et remplit d’eau la bouilloire qu’il plaça sur le gaz. Il s’apprêtait à se faire sa boisson favorite, un café instantané.

— Dis-moi, vous avez déjà identifié l’assassin de cet homme trouvé au bord de la Kyu-Edogawa ? demanda-t-il en versant de la poudre dans une tasse.

— Comment sais-tu que je m’occupe de cette affaire ?

— Réfléchis ! Le journal télévisé en a parlé le jour où tu as reçu cet appel, la dernière fois que tu étais ici. A voir la tête que tu fais, je devine que l’enquête stagne.

Kusanagi fit la grimace et se frotta les ailes du nez.

— Elle progresse, mais lentement. Il y a plusieurs suspects. Nous n’en sommes qu’au début.

— Plusieurs suspects, répéta Yukawa qui ne semblait pas passionné par l’affaire.

Kishitani se mêla à la conversation.

— Moi, j’ai l’impression que nous n’allons pas dans la bonne direction.

— Ah bon ! s’exclama Yukawa en le regardant. Vous ne voyez pas les choses comme lui ?

— Ce serait exagéré de le dire mais…

— Tu parles trop ! lui lança Kusanagi en fronçant les sourcils.

— Désolé.

— Ce n’est pas la peine de s’excuser. Exécuter les ordres tout en conservant un œil critique est une bonne attitude. Elle est indispensable pour faire progresser les réformes, remarqua Yukawa.

— Il n’est pas content de la direction de l’enquête pour d’autres raisons, se résolut à expliquer Kusanagi. Il a envie de protéger les gens auxquels nous nous intéressons, c’est tout.

— Ce n’est pas vrai, répliqua son collègue d’un ton hésitant.

— Tu ne me feras pas changer d’avis. Tu as de la sympathie pour cette mère qui élève seule sa fille. Pour être franc, je n’ai pas envie de les soupçonner non plus.

— L’affaire semble compliquée, remarqua Yukawa qui regarda les deux hommes avec un sourire railleur.

— Pas spécialement. Le mort était divorcé et venait d’apprendre l’adresse de son ex-femme lorsqu’il a été tué. Nous devons donc vérifier qu’elle a un alibi.

— Je vois. Elle en a un ?

— Oui et non, fit Kusanagi en se grattant la tête.

— Tu es bien vague ! s’exclama Yukawa en se levant parce que de la vapeur sortait de la bouilloire. Je peux vous offrir un café ?

— Volontiers.

— Pas pour moi, merci. Son alibi pose problème.

— Je ne pense pas qu’elle mente.

— Ne parle pas sans preuve ! On n’a pas pu tout vérifier.

— Pourtant, tu as dit au chef que vérifier si quelqu’un était au cinéma ou dans un restaurant de nouilles est impossible, non ?

— J’ai dit que c’était difficile, pas impossible.

— Si je comprends bien, la femme que vous soupçonnez affirme qu’elle était au cinéma au moment du crime, dit Yukawa en revenant avec deux tasses de café.

Il en donna une à Kishitani qui le remercia en écarquillant les yeux. La tasse devait être très sale. Kusanagi se retint de rire.

— Prouver que quelqu’un a été au cinéma doit être compliqué, conclut Yukawa en se rasseyant.

— Après le cinéma, elles sont allées dans un karaoké. Leur présence a été confirmée par plusieurs employés, insista Kishitani.

— Il n’en demeure pas moins que rien n’est sûr pour le cinéma. Elles auraient pu aller au karaoké après avoir commis le crime.

— Yasuko Hanaoka et sa fille sont allées au cinéma vers dix-neuf heures. Ce n’est pas une bonne heure pour commettre un crime, même dans un endroit peu fréquenté. D’autant plus que la victime a été déshabillée après avoir été tuée.

— Je suis d’accord avec toi mais on ne peut rien affirmer tant qu’on n’a pas éliminé toutes les possibilités, répondit Kusanagi en pensant que Mamiya ne se laisserait pas convaincre si ce n’était pas le cas.

— Je ne peux pas tout suivre, mais si je comprends bien, vous connaissez l’heure du crime.

— Le médecin légiste estime qu’il a eu lieu après dix-huit heures le 10.

— Tu n’as pas besoin de raconter tout ça à quelqu’un d’extérieur à l’enquête, le réprimanda Kusanagi.

— Mais ton ami le professeur t’a souvent apporté son aide, n’est-ce pas ?

— Lorsqu’il y a des éléments irrationnels. Cela ne sert à rien de consulter quelqu’un qui n’est pas du métier pour cette affaire.

— Je ne suis certainement pas du métier. Mais je ne voudrais pas non plus que vous oubliiez que je vous fournis un endroit où discuter, glissa Yukawa en savourant son café instantané.

— Message reçu. Bon, on ne va pas te déranger plus longtemps, dit Kusanagi en se levant.

— Que dit cette dame ? Elle n’a rien qui prouve qu’elle et sa fille sont allées au cinéma ? demanda Yukawa sans poser sa tasse.

— Elle se souvient du film. Mais cela ne nous dit pas quand elle l’a vu.

— Elle n’a pas gardé les contremarques des tickets ?

Kusanagi ne put s’empêcher de dévisager Yukawa.

— Si.

— Hum. Et ils étaient où, ces tickets ?

Un éclair illumina ses lunettes et Kusanagi rit malgré lui.

— Je vois où tu veux en venir. Personne ne garde une contremarque de cinéma comme si sa vie en dépendait. J’aurais trouvé cela bizarre si Yasuko Hanaoka les avait prises sur une étagère.