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Le mari de Yasuko était ivre. Il avait pris Kudo pour un client qui importunait sa femme. Sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche, il s’était mis en colère et l’avait frappé. Yasuko était sortie de la salle de bains où elle s’apprêtait à prendre une douche, et il s’en était fallu de peu que Togashi ne plante un couteau dans le ventre de Kudo.

Le lendemain, Yasuko était allée présenter ses excuses à Kudo. Son mari, qui l’avait accompagnée, s’était conduit sagement, probablement parce qu’il craignait que Kudo ne porte plainte.

D’un ton calme, ce dernier avait fait remarquer à Togashi que laisser sa femme travailler dans un bar n’était pas une bonne chose. Il avait acquiescé en silence même si son visage montrait que cette remarque lui déplaisait.

Kudo avait continué à fréquenter le bar où travaillait Yasuko. Il n’avait pas non plus changé d’attitude à son égard. Mais il avait cessé de la voir hors de l’établissement.

Quand il était sûr que personne ne pouvait l’entendre, il lui posait parfois des questions sur Togashi. Il était surtout soucieux de savoir s’il avait retrouvé du travail. Elle répondait toujours en faisant non de la tête.

Kudo avait été le premier à remarquer que Togashi était violent avec elle. Elle dissimulait les traces de ses coups avec du maquillage mais Kudo n’avait pas été dupe.

Il lui avait suggéré de voir un avocat, en ajoutant qu’il paierait la consultation.

— A propos, je voulais te demander si tu n’avais pas été importunée.

— Importunée ? J’ai eu la visite de deux enquêteurs, mais sinon…

— J’en avais peur. Ou plutôt je m’en doutais, commenta-t-il avec une expression contrariée.

— Tu n’as aucune raison de te faire du souci, dit Yasuko en souriant.

— Il s’agissait bien de policiers, et non de journalistes ?

— Oui.

— Je préfère ça. Je pensais bien que le meurtre n’était pas assez important pour intéresser les médias, mais je voulais que tu saches que je suis prêt à t’aider si tu en as besoin.

— Merci. Je reconnais là ta générosité.

Une expression gênée apparut sur le visage de Kudo. Il tendit la main vers son café qui avait refroidi.

— Tu veux dire que cette histoire ne te concerne pas.

— Non ! Tu croyais que c’était le cas ?

— J’ai tout de suite pensé à toi quand j’en ai entendu parler. Et je me suis fait du souci. Il s’agit d’un meurtre. Je ne sais pas pourquoi il a été tué mais je me suis dit que la police te soupçonnerait.

— Comme Sayoko. Vous avez tous la même idée, on dirait !

— Maintenant que je te vois souriante, je sais que j’ai eu tort de m’affoler. Après tout, vous étiez divorcés depuis plusieurs années. Tu ne le voyais plus, n’est-ce pas ?

— Lui ?

— Oui, Togashi.

— Bien sûr que non, répondit-elle en sentant ses joues se crisper étrangement.

Kudo lui donna ensuite de ses nouvelles. La situation économique n’était pas bonne, mais son entreprise parvenait à préserver son chiffre d’affaires. Il lui dit quelques mots de son fils. Autrefois, il ne s’étendait guère sur sa famille. Yasuko ignorait comment il s’entendait avec sa femme mais elle s’imaginait qu’il n’était pas malheureux en ménage. Pour avoir longtemps travaillé dans des bars, elle savait que les hommes qui ont des attentions pour des femmes comme elle ont généralement de bonnes relations avec leur épouse.

La pluie tombait quand ils sortirent du café.

— Je suis confus. Tu n’aurais pas été mouillée si tu étais rentrée directement chez toi, fit Kudo en se retournant vers elle.

— Ne dis pas de bêtises !

— Tu habites loin d’ici ?

— Il me faut à peu près dix minutes en vélo.

— En vélo ? Je n’avais pas compris que tu te déplaçais en vélo.

Il regarda la pluie en se mordant les lèvres.

— Ne te fais pas de soucis pour moi. J’ai un parapluie dans mon sac et je vais laisser ma bicyclette au magasin. Je partirai un peu plus tôt demain, ce n’est rien.

— Je vais te raccompagner.

— Ce n’est pas la peine.

Mais Kudo avait déjà hélé un taxi.

— On pourrait dîner ensemble un de ces jours, si tu es d’accord, proposa Kudo une fois que la voiture eut démarré. Avec ta fille, si tu veux.

— Je te remercie de penser à elle, mais tu es sûr que tu peux ?

— Bien sûr. Je ne suis pas très occupé en ce moment.

— Ah bon !

Yasuko, qui pensait à sa femme en posant cette question, n’insista pas. Elle avait le sentiment qu’il avait compris et faisait exprès de répondre à côté.

Il lui demanda son numéro de portable et elle le lui donna. Elle ne voyait aucune raison de le lui cacher.

Le taxi s’arrêta tout près de son immeuble. Comme elle était montée la première, Kudo en descendit pour la laisser passer.

— Remonte vite, tu vas te faire mouiller, lui conseilla-t-elle sitôt qu’elle fut dehors.

— A bientôt !

— Oui, répondit Yasuko avec un signe de tête.

Kudo remonta dans le taxi et dirigea son regard vers un point derrière elle. Elle se retourna et vit un homme, le parapluie ouvert, debout en bas de l’escalier de son immeuble. Il faisait trop sombre pour voir son visage mais elle reconnut la silhouette d’Ishigami.

Le professeur monta lentement les marches. Yasuko fut certaine que Kudo l’avait aperçu et qu’il avait remarqué que l’autre homme les observait.

— Je t’appellerai, dit Kudo, et le taxi s’éloigna.

Yasuko le regarda partir. Elle sentait son cœur battre plus vite. A quand pouvait remonter la dernière fois que la compagnie d’un homme avait fait naître cette réaction chez elle ?

Elle vit le taxi passer à côté d’Ishigami.

Misato regardait la télévision quand sa mère revint.

— Il n’y a rien eu de spécial aujourd’hui ?

Sa question ne portait pas sur les cours. Elle savait que sa fille le comprendrait.

— Non. Comme Mika ne m’a rien dit, la police n’est sans doute pas encore venue la voir.

— Ah bon !

Son portable sonna quelques minutes plus tard. Elle reconnut le numéro d’une cabine téléphonique.

— Allô !

Comme elle s’y attendait, elle entendit une voix grave.

— C’est moi, Ishigami. S’est-il passé quelque chose aujourd’hui ?

— Non, rien de spécial. Ni pour Misato.

— Très bien. Mais continuez à faire attention. Il n’y a aucune raison de penser que la police ait cessé de vous soupçonner. Ils sont sans doute en train de procéder à des vérifications approfondies.

— Très bien.

— Rien d’autre ?

— Eh bien… Yasuko hésita. Non, rien de particulier, comme je vous l’ai dit.

— Oui, c’est vrai. Excusez-moi. Bon, à demain !

Yasuko posa son téléphone portable avec des sentiments mêlés. Elle avait perçu quelque chose d’inhabituel dans la voix d’Ishigami, qui ressemblait à de l’indécision.

Ce doit être parce qu’il a vu Kudo, pensa-t-elle. Il avait dû s’interroger sur l’identité de cet homme avec qui elle parlait si naturellement. Sa dernière question reflétait probablement son désir d’en savoir plus.

Yasuko comprenait pourquoi Ishigami l’aidait, elle et sa fille. Comme l’avaient deviné Sayoko et son mari, il avait un faible pour elle.

Comment réagirait-il si elle avait une relation avec un autre homme ? Continuerait-il à lui fournir son assistance, à faire travailler ses méninges pour elle ?

Peut-être ferait-elle mieux de ne pas revoir Kudo. Ou tout au moins de le faire à l’insu d’Ishigami.

Immédiatement après avoir eu cette idée, elle sentit monter en elle une indicible irritation.