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— Oui. Où es-tu maintenant ?

— Pas loin de ton lycée. Bon, à tout à l’heure !

— D’accord.

Après avoir raccroché, Ishigami ne rangea pas immédiatement son portable. Quelle pouvait être la raison qui amenait Yukawa à venir le voir sur son lieu de travail ?

A cinq heures, il avait fini de corriger ses copies. Il quitta la salle des professeurs et se dirigea vers l’entrée principale en traversant le terrain de sports.

Il aperçut Yukawa, qui portait un manteau noir, devant le passage piéton en face du lycée. Le physicien sourit en lui faisant signe de la main.

— Désolé de te déranger, lui dit Yukawa.

— Que me vaut cette visite soudaine ? demanda Ishigami d’un ton aimable.

— Je te le dirai en marchant, d’accord ?

Ils partirent en direction de l’avenue du pont Kiyosu.

— Non, allons plutôt par là, dit Ishigami en désignant une rue sur le côté. On sera plus vite chez moi.

— Je voudrais que tu m’emmènes chez ce traiteur, déclara tout de go Yukawa.

— Chez le traiteur… Mais pourquoi ? l’interrogea Ishigami en sentant son visage se crisper.

— Pour acheter une boîte-repas, bien sûr ! J’ai encore beaucoup à faire aujourd’hui, et je voulais m’acheter mon dîner. Puisque tu y vas tous les matins, je me suis dit que ce devait être une bonne adresse.

— Ah… Je vois. Je veux bien t’accompagner, dit Ishigami en changeant de direction.

Les deux hommes marchèrent côte à côte le long de l’avenue où passaient des camions.

— J’ai vu Kusanagi l’autre jour. Tu sais, je t’en ai parlé, l’inspecteur qui est venu chez toi.

Ishigami sentit la tension monter en lui. Son mauvais pressentiment se fit plus fort.

— Et alors ?

— Il n’avait rien de spécial à me dire. Il vient me raconter ses malheurs quand il est coincé dans son travail. Ce sont souvent des problèmes embêtants, qui ne se règlent pas facilement. Un jour, il m’a demandé de l’aider à résoudre une énigme qui impliquait un esprit frappeur. J’ai eu du mal avec cette histoire.

Yukawa entreprit de la lui raconter. Elle n’était pas sans intérêt. Mais il ne pouvait être venu le voir que pour cela.

Les deux hommes arrivèrent chez Bententei avant qu’Ishigami ait le temps de lui demander la véritable raison de sa visite.

Ishigami éprouva une certaine inquiétude en y entrant avec Yukawa. Il était incapable de prévoir la réaction de Yasuko. Il n’y venait jamais à cette heure-ci, ni en compagnie d’un ami, et elle risquait d’en tirer des conclusions erronées. Il espérait que sa réaction serait normale.

Yukawa poussa la porte vitrée du traiteur sans se préoccuper de l’humeur de son ami. Ishigami n’eut d’autre choix que de le suivre. Yasuko parlait à un client.

Elle sourit à Yukawa en lui disant bonjour avant de tourner les yeux vers son compagnon. Une expression étonnée, légèrement embarrassée, flotta sur son visage. Son sourire se figea.

— Il… vous dérange ? demanda Yukawa à qui cela n’avait pas échappé.

— Euh… non, dit-elle en secouant la tête avec un sourire innocent. C’est mon voisin. Et un client fidèle…

— Oui, il me l’a dit. C’est d’ailleurs parce qu’il m’a parlé de votre magasin que j’ai eu envie de goûter votre cuisine.

— C’est très gentil, répondit Yasuko en baissant les paupières.

— Nous avons fait nos études ensemble, expliqua Yukawa en se retournant vers Ishigami. Je lui ai rendu visite l’autre soir.

— Ah ! s’exclama-t-elle avec un hochement de tête.

— Il vous en a parlé ?

— Oui, quelques mots.

— Ah bon ! Dites, quelle boîte-repas me recommandez-vous ? D’ordinaire, laquelle prend-il ?

— M. Ishigami choisit toujours le menu du jour, mais nous n’en avons plus aujourd’hui.

— C’est dommage. Dans ce cas, que me suggérez-vous ? Tout a l’air délicieux.

Pendant que Yukawa faisait son choix, Ishigami observait les alentours de l’autre côté de la vitrine. La police surveillait peut-être le traiteur. Il préférait éviter d’être vu en train de parler avec Yasuko comme s’il la connaissait bien.

Et ce n’est pas tout, pensa-t-il en regardant Yukawa du coin de l’œil. Pouvait-il lui faire confiance ? Devait-il s’en méfier ? Etant donné son amitié avec cet inspecteur Kusanagi, il n’était pas exclu que la police soit informée de sa visite.

Yukawa finit par faire son choix. Yasuko partit transmettre la commande.

Au même moment, un autre client poussa la porte et entra. En l’apercevant, Ishigami serra involontairement les lèvres.

Cet homme qui portait une veste marron était sans aucun doute celui qu’il avait vu l’autre jour devant son immeuble. L’homme qui avait raccompagné Yasuko en taxi. A l’abri sous son parapluie, Ishigami les avait observés pendant qu’ils bavardaient comme s’ils se connaissaient bien.

L’inconnu ne parut pas le reconnaître. Il attendait le retour de Yasuko au comptoir.

Elle réapparut quelques secondes plus tard. Elle eut l’air surprise de voir le nouvel arrivant.

L’inconnu esquissa un sourire et la salua d’un léger signe de tête sans rien dire. Il avait probablement l’intention de lui parler après le départ des autres clients.

Ishigami s’interrogea sur son identité. Depuis quand la connaissait-il ?

Il n’avait pas oublié la mine de Yasuko à sa descente du taxi l’autre soir, d’une gaieté qu’il ne lui avait jamais vue, une expression qui n’était ni celle d’une mère ni d’une vendeuse accueillant un client. Peut-être était-ce le seul moment où il avait vu sa vraie nature, son visage de femme.

Elle lui montre un aspect d’elle-même qu’elle me cache, se dit-il.

Son regard passa de l’inconnu à Yasuko. Ishigami eut le sentiment qu’ils étaient dans une bulle d’air qui se balançait sous ses yeux. Une sensation proche de l’irritation se diffusa en lui.

La boîte-repas de Yukawa était prête. Après l’avoir payée, il se retourna vers Ishigami en s’excusant de l’avoir fait attendre.

En sortant du magasin, les deux hommes descendirent sur la berge de la Sumida. Ils marchaient côte à côte.

— Cet homme, tu as quelque chose contre lui ?

— Hein ?

— Je parle de celui est arrivé après nous. J’avais l’impression qu’il te dérangeait.

Ishigami tressaillit, tout en ressentant malgré lui de l’admiration pour la perspicacité de son camarade d’études.

— Ah oui ? Je ne sais pas qui c’est, répondit-il en feignant l’indifférence.

— Ah bon ! C’est aussi bien comme ça, commenta Yukawa sans montrer de scepticisme.

— Mais pourquoi voulais-tu me voir d’urgence ? J’imagine que ce n’était pas juste pour aller acheter une boîte-repas.

— Tu as raison. Je ne te l’ai pas encore expliqué, continua Yukawa en faisant la moue. Je t’ai dit tout à l’heure que ce Kusanagi a l’habitude de venir me voir pour avoir mon avis à propos de choses embêtantes. L’autre jour, il est passé parce qu’il sait que tu es le voisin de cette femme. Il m’a demandé une chose qui ne me plaît guère.

— Quoi donc ?

— La police continue apparemment à la soupçonner. Ils n’ont rien trouvé qui puisse prouver sa culpabilité. Ils aimeraient la surveiller de près. Ce n’est pas facile à faire et ils ont pensé à toi.

— Ils ne vont quand même pas me demander ça ?

Yukawa se gratta la tête.

— Si, en quelque sorte. Ils ne veulent pas que tu la surveilles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais que tu les préviennes si tu remarques quelque chose d’inhabituel. Que tu leur serves d’espion, quoi ! Je trouve ça culotté, mais la police n’est pas connue pour ses bonnes manières.