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— Ce n’est pas la peine, je l’ai déjà. Je n’avais rien de précis à lui demander. J’étais dans le quartier et…

— Très bien, fit l’étudiant, soulagé.

Yukawa avait dû lui parler de l’inspecteur Kusanagi, un ami qui venait parfois le voir pour bavarder.

— Je pensais qu’il travaillait tard comme souvent.

— D’ordinaire, à cette heure-ci, il est encore là, mais cela fait deux ou trois jours qu’il part tôt. Aujourd’hui, il a dit qu’il devait passer quelque part.

— Vous savez où ? demanda Kusanagi en pensant que son ami avait peut-être décidé de revoir le professeur de mathématiques.

La réponse de l’étudiant le surprit.

— Il ne m’a rien dit mais je pense qu’il est allé à Shinozaki.

— A Shinozaki ?

— Oui, il m’a demandé quelle était la façon la plus rapide de s’y rendre.

— Vous ne sauriez pas ce qu’il allait y faire ?

— Je lui ai posé la question, mais il n’y a pas répondu.

— Hum…

Kusanagi partit après avoir remercié l’étudiant. Il était préoccupé. Quel pouvait être le but de Yukawa à Shinozaki, la station la plus proche du lieu où le corps avait été découvert ?

De retour dans la rue, il sortit son portable de sa poche. Il commença à composer le numéro du physicien, mais s’interrompit. Il avait deviné que cela ne servirait à rien de le questionner maintenant. Si Yukawa avait choisi de s’occuper d’une enquête en cours sans le consulter, il devait avoir une idée derrière la tête.

Pourtant…

Cela ne me dérange pas qu’il enquête sur des choses qui me tracassent, pensa-t-il.

Ishigami soupira en corrigeant les copies du contrôle supplémentaire. Les résultats étaient extrêmement décevants. Il avait préparé des questions nettement moins difficiles que celles du précédent, mais presque toutes les copies étaient mauvaises. Les élèves avaient dû se dire que le lycée ne les ferait pas redoubler même s’ils échouaient. Ils ne se trompaient pas. L’administration s’arrangerait pour les repêcher sous un prétexte ou un autre, et aucun lycéen ne redoublerait.

Dans ce cas, pourquoi faire du succès à ces contrôles la condition du passage en classe supérieure ? s’interrogea Ishigami. Puisque seuls quelques lycéens comprenaient véritablement ce qu’étaient les mathématiques, enseigner à tous la manière de résoudre des problèmes simples du niveau du lycée ne servait à rien. Ne suffisait-il pas de leur apprendre qu’il existait ici-bas une matière difficile, appelée les mathématiques ? Telles étaient ses réflexions.

Il finit de corriger ses copies et regarda sa montre. Il était vingt heures.

Il vérifia que les portes du dojo étaient fermées et sortit par l’entrée principale. Un homme s’approcha de lui pendant qu’il attendait que le feu passe au vert pour les piétons devant le lycée.

— Vous travaillez tard ! dit l’homme d’un ton amical. Je suis venu ici parce que je ne vous ai pas trouvé chez vous.

Le visage lui était familier. Il reconnut l’inspecteur de police.

— Vous êtes bien…

— Vous ne m’avez pas oublié ?

Ishigami fit non de la tête lorsque son interlocuteur mit la main dans la poche de son veston.

— Monsieur Kusanagi, c’est bien cela ? Je me souviens de vous.

Le feu étant passé au vert, Ishigami avança. Kusanagi l’imita.

Pourquoi était-il venu là ? Ishigami se mit à y réfléchir en marchant. Yukawa lui avait rendu visite deux jours plus tôt. Existait-il un lien entre ces deux visites ? Le physicien lui avait expliqué que les policiers souhaitaient lui demander sa collaboration mais il avait refusé.

— Vous connaissez Manabu Yukawa, n’est-ce pas ?

— Oui. Il est venu me voir parce que vous lui avez parlé de moi.

— Je suis au courant. Je lui ai dit que vous aviez fait vos études à la faculté de sciences de l’université Teito. J’espère que vous ne m’en voulez pas de mon indiscrétion.

— Non, cela m’a fait plaisir de le revoir.

— De quoi avez-vous parlé ?

— Du passé, surtout. La première fois en tout cas.

— La première fois ? demanda Kusanagi comme s’il n’avait pas bien entendu. Vous vous êtes vus plusieurs fois ?

— Deux fois. Il m’a dit que c’était vous qui l’aviez envoyé la deuxième fois.

— Moi ? demanda Kusanagi qui ne comprenait plus. Que vous a-t-il raconté ?

— Il m’a expliqué que vous l’aviez chargé de me demander si j’étais prêt à collaborer avec vous…

— Ah, vous voulez dire, collaborer à notre enquête ? demanda Kusanagi en se grattant la tête.

Ishigami perçut immédiatement que quelque chose ne collait pas. L’inspecteur était visiblement déconcerté. Peut-être n’était-il pas au courant de la requête de Yukawa.

Kusanagi se força à rire.

— Nous parlons de tellement de choses tous les deux que je ne me souviens pas de tous les détails. De quoi s’agissait-il précisément ?

Ishigami réfléchit à la question de l’inspecteur. Il hésitait à mentionner le nom de Yasuko Hanaoka. Mais il n’avait rien à gagner à faire l’idiot. Kusanagi ne manquerait pas de vérifier ses dires auprès de Yukawa.

Il expliqua qu’il s’agissait de garder un œil sur sa voisine. Le policier ouvrit de grands yeux.

— Je vois… Oui, c’était ça… Euh… Oui, je me rappelle maintenant lui avoir parlé de cette idée de vous sonder à propos de cette collaboration. C’est très gentil de sa part de l’avoir fait. Ça me revient maintenant.

Ishigami n’entendit dans sa réponse qu’un mensonge maladroit. Donc Yukawa était venu de sa propre initiative. Dans quel but ?

Ishigami s’arrêta et regarda Kusanagi.

— Vous vouliez me voir pour me le demander ?

— Non, ce n’est pas le cas. Trêve de préambule, je vais vous expliquer pourquoi je suis ici, répondit-il en sortant une photo d’une poche de sa veste. Connaissez-vous cet homme ? La photo n’est pas très bonne, je l’ai prise à son insu.

Ishigami la regarda et en eut le souffle coupé.

Elle représentait la personne qui le tracassait le plus en ce moment. Cet homme dont il ignorait l’identité, mais dont il savait que Yasuko Hanaoka le connaissait bien.

— Alors ?

Ishigami se demandait que répondre. S’il disait “Je ne le connais pas”, les choses n’iraient pas plus loin. Il n’en saurait pas plus.

— J’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, dit-il prudemment. Qui est cet homme ?

— Vous ne pourriez pas me dire où vous l’avez vu ?

— Ce n’est pas si facile, des gens, j’en vois tous les jours. Si vous me donniez son nom ou sa profession, cela me reviendrait peut-être plus facilement.

— Il s’appelle Kudo et il dirige une imprimerie.

— Kudo ?

— Oui, ku s’écrit avec le premier caractère du mot usine, et do avec le caractère de glycine.

Ishigami scrutait la photo du dénommé Kudo. Pour quelle raison l’inspecteur s’intéressait-il à lui ? Cela devait évidemment avoir à faire avec Yasuko Hanaoka. Pouvait-il en déduire qu’aux yeux de Kusanagi, il existait un lien particulier entre elle et ce Kudo ?

— Alors ? Il vous rappelle quelque chose ?

— Euh… j’ai vraiment l’impression de l’avoir déjà vu, répondit Ishigami en penchant la tête de côté. Mais je n’arrive pas à me souvenir d’où. Je le confonds peut-être avec quelqu’un d’autre.

— Ah bon ! Déçu, Kusanagi rangea la photo dans sa poche dont il sortit une carte de visite. Si cela vous revient, pourriez-vous me prévenir ?