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Cette opinion surprenante prit Kusanagi au dépourvu.

— Tu veux dire qu’il s’agit en réalité d’un camouflage ?

— Un camouflage dont le but n’est pas clair, dit Yukawa en descendant de la selle du vélo. Cela pourrait être pour montrer que la victime s’est rendue à bicyclette sur les lieux du crime. Quel serait le sens de ce camouflage ?

— Que le meurtrier voulait faire croire que la victime est venue ici par ses propres moyens alors qu’elle était déjà morte et qu’il a transporté le corps à l’endroit où il a été découvert. C’est ce que pense le chef depuis le début, d’ailleurs.

— Mais toi, tu n’es pas d’accord. Parce que Yasuko Hanaoka, la personne la plus susceptible d’avoir commis ce crime, n’a pas le permis de conduire.

— A moins qu’elle ait eu un complice.

— Laissons cela de côté pour le moment. Ce qui m’intéresse, c’est l’heure à laquelle le vélo a été volé. J’ai commencé à y penser en apprenant que vous aviez établi que cela s’était passé entre onze heures du matin et dix heures du soir. J’ai trouvé remarquable que vous l’ayez fait.

— Tu peux dire ce que tu veux, c’est ce qu’a dit la propriétaire. Où est le problème ?

— Ici ! fit Yukawa en tendant sa boîte de café vers Kusanagi. Comment avez-vous pu la trouver si facilement ?

— Cela n’avait rien de difficile. Elle a signalé le vol à la police. Il suffisait de lire le signalement et de le comparer avec la bicyclette que nous avions trouvée.

Yukawa grogna sourdement en entendant la réponse de son ami. Bien que le physicien porte des lunettes de soleil, Kusanagi devina son regard peiné.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui te dérange maintenant ?

— Sais-tu où ce vélo a été volé ?

— Bien sûr. Puisque c’est moi qui ai interrogé la propriétaire.

— Tu pourrais me montrer l’endroit, si cela ne te dérange pas ? C’est par ici, non ?

Kusanagi dévisagea Yukawa. Il avait envie de lui demander où il voulait en venir. Mais il n’en fit rien. Les yeux de son ami avaient cet éclat particulier des moments où il était plongé dans ses recherches.

Il le pria de le suivre.

L’endroit était situé à moins de cinquante mètres de celui où ils avaient bu leur café. De nombreuses bicyclettes y étaient arrêtées.

— Elle l’avait attaché avec un antivol à cette rambarde.

— Le coupable a cisaillé l’antivol ?

— Oui, je pense.

— Ce qui signifie qu’il était muni de cisailles… réfléchit Yukawa tout haut en observant les bicyclettes. Je me demande pourquoi il s’est donné tout ce mal.

— Je n’en sais rien. Tu ne crois pas que c’est parce que cette bicyclette lui plaisait ?

— Parce qu’elle lui plaisait… murmura Yukawa comme pour lui-même. Tu peux être plus précis ?

— Où veux-tu en venir ? demanda Kusanagi avec un peu d’irritation dans la voix.

Le physicien se retourna vers lui.

— Comme tu le sais, je suis déjà venu ici hier. Aujourd’hui aussi, j’ai passé du temps à observer les lieux. Des gens laissent leur vélo ici sans arrêt. Et il y en a beaucoup. Certains sont verrouillés, d’autres non, comme si leurs propriétaires prenaient sciemment le risque qu’ils soient volés. Pourquoi, dans ces conditions, le coupable a-t-il choisi cette bicyclette ?

— Nous ne pouvons pas être certains que le coupable est l’auteur du vol.

— Si, nous pouvons le supposer, à mon avis. Cela ne nous dit pas pourquoi il a choisi cette bicyclette.

Kusanagi fit non de la tête.

— Je ne comprends pas où tu veux en venir. La bicyclette volée n’avait rien de particulier. Il l’a prise parce qu’elle lui convenait, non ?

— Non, dit Yukawa, en agitant son index pour souligner sa réponse. Je vais te dire ce que je pense. Cette bicyclette était neuve ou presque. Je me trompe ?

Kusanagi fut pris au dépourvu. Il se souvint de sa conversation avec la propriétaire.

— Tu as raison, répondit-il. Elle avait été achetée quinze jours avant.

Yukawa hocha la tête comme si cela ne l’étonnait pas le moins du monde.

— C’est bien ce que je pensais. Cela explique pourquoi elle a mis un antivol et pourquoi elle a signalé le vol. Le coupable a intentionnellement dérobé un vélo flambant neuf. Il s’était équipé de cisailles pour pouvoir couper l’antivol, alors qu’il avait à sa disposition de nombreuses bicyclettes qui n’étaient même pas attachées.

— Tu penses qu’il a choisi une neuve exprès ?

— C’est la seule conclusion possible, non ?

— Dans quel but ?

— C’est toute la question. Je ne vois qu’un seul but pour un criminel qui raisonne ainsi. Il tenait à ce que le propriétaire signale ce vol. Probablement parce qu’il en retirerait un avantage. Pour dire les choses plus concrètement, parce que cela orienterait la police sur une fausse piste.

— Nous avons établi que le vol a eu lieu entre onze heures du matin et dix heures du soir, et tu penses que nous nous trompons ? Mais le coupable ne pouvait pas deviner ce que le propriétaire nous dirait.

— Tu as raison sur ce point. Mais le témoignage du propriétaire établit autre chose : le vol s’est produit devant la station de Shinozaki.

Kusanagi poussa un soupir et dévisagea le physicien.

— Tu penses que la manœuvre était destinée à nous diriger vers la station de Shinozaki ?

— Cela me semble possible.

— Le fait est que nous avons consacré du temps et de l’énergie à enquêter autour de cette gare. Tu veux dire que si ta supputation est exacte, nous l’avons fait pour rien ?

— Je ne dirais pas cela. Puisque le vélo a été volé ici. Mais cette affaire est trop complexe pour permettre d’aboutir à un résultat ici. Le mécanisme est plus minutieux, plus habile, déclara Yukawa avant de se lever et de faire demi-tour.

Kusanagi courut après lui.

— Où vas-tu ?

— Je retourne à mon travail, bien entendu.

— Pas si vite ! s’exclama Kusanagi en attrapant son ami par l’épaule. Je ne t’ai pas demandé le plus important. Pourquoi t’intéresses-tu tant à cette histoire ?

— Ça te dérange ?

— Tu ne réponds pas à ma question.

Yukawa se dégagea.

— Je fais partie des suspects ?

— Toi ? Tu délires !

— Si je n’en fais pas partie, je suis libre de faire ce que je veux. Je n’ai aucune intention de vous déranger.

— Si tu le prends sur ce ton, pourquoi as-tu menti au professeur de mathématiques qui habite à côté de Yasuko Hanaoka en te servant de mon nom ? Puisque tu lui as raconté que je voulais lui demander de collaborer à notre enquête, j’ai le droit de savoir.

Yukawa le regarda dans les yeux, avec une expression froide que son ami ne lui voyait pas souvent.

— Tu lui as rendu visite ?

— Oui. Puisque tu refusais de me parler.

— Il t’a appris quelque chose ?

— Stop ! C’est moi qui pose les questions. Tu penses qu’il est impliqué dans cette affaire ?

Sans répondre, Yukawa détourna les yeux avant de repartir vers le métro.

— Hé ! Attends-moi ! cria Kusanagi dans son dos.

Le physicien s’arrêta et se retourna pour le regarder.

— Je te préviens que cette fois-ci, je ne pourrai pas te fournir ma coopération inconditionnelle. Je suis cette affaire pour des raisons personnelles. Ne compte pas sur moi.

— Dans ce cas, ne compte pas non plus sur moi pour te fournir des informations.