Выбрать главу

Il avait dû entendre Kusanagi arriver car il se retourna.

— Tu me suis à la trace, on dirait.

— Les policiers suivent à la trace les gens qu’ils estiment suspects.

— Alors comme ça, je fais maintenant partie des suspects ? s’exclama Yukawa avec un sourire. Cela faisait longtemps que tu n’avais pas émis de supposition aussi hardie ! Tu fais preuve d’une telle flexibilité que je te prédis une belle carrière.

— Tu ne me demandes même pas pourquoi je te trouve suspect ?

— C’est inutile. Les hommes de sciences sont toujours suspects aux yeux de leurs contemporains, expliqua-t-il en frappant plus fort sur le fût.

— Que brûles-tu ?

— Rien d’important. De vieux dossiers dont je n’ai plus besoin. Je ne fais pas confiance aux déchiqueteuses.

Yukawa souleva le seau d’eau posé à côté du barril et le renversa à l’intérieur. De la fumée blanche s’éleva avec un sifflement.

— J’ai à te parler. Je veux te poser des questions en tant qu’inspecteur de police.

— Les grands airs que tu prends ! lanca Yukawa qui commençait à s’éloigner avec son seau, comme s’il était certain que le feu était éteint.

Kusanagi lui courut après.

— Hier, je suis allé chez Bententei après t’avoir quitté. J’y ai appris quelque chose de très intéressant. Tu ne veux pas savoir ce que c’est ?

— Pas spécialement.

— Je vais te le dire quand même. Ton ami Ishigami est amoureux de Yasuko Hanaoka.

Yukawa, qui marchait à grands pas, s’arrêta. Ses yeux brillaient.

— Ce sont les gens du traiteur qui te l’ont dit ?

— Oui. Enfin, l’idée m’est venue à l’esprit en te parlant et je suis allé les voir pour en obtenir la confirmation. La logique, c’est important, mais un policier a une autre arme qui compte, son intuition.

— Et alors ? demanda Yukawa qui ne le regardait plus. Savoir qu’il est amoureux d’elle a un impact sur votre enquête ?

— Ne fais pas l’idiot à un moment aussi crucial ! J’ignore à quelle occasion tu t’en es rendu compte, mais je pense que c’est parce que tu le soupçonnes d’être son complice que tu te démènes en te cachant de moi.

— Je n’ai pas le souvenir de m’être démené.

— Tout ça pour te dire que j’ai à présent une raison de soupçonner Ishigami. Dorénavant, nous allons le suivre de près. Dans ce contexte, et aussi parce que nous nous sommes séparés en mauvais termes hier, je suis venu te proposer un accord de paix par lequel je te fournirai les informations dont je dispose, et toi, tu me tiendras au courant de tes découvertes. Qu’en penses-tu ? Ce n’est pas une mauvaise proposition, non ?

— Tu me surestimes. Je n’ai encore rien découvert. Je me contente de conjectures.

— Dans ce cas, je voudrais les connaître, déclara Kusanagi en regardant son ami droit dans les yeux.

Yukawa évita son regard et se remit à marcher.

— Allons dans mon laboratoire.

Kusanagi s’assit à la table du laboratoire no 13, qui portait d’étranges marques de brûlures. Yukawa y posa deux tasses qui étaient comme toujours d’une propreté douteuse.

— Si tu penses qu’Ishigami est son complice, de quelle manière envisages-tu son rôle ? demanda Yukawa.

— C’est moi qui réponds le premier ?

— C’est toi qui as proposé la paix, non ? rétorqua Yukawa qui s’était assis pour boire son café instantané à son aise.

— D’accord. Je n’ai encore rien dit à mon patron, donc je ne peux que te soumettre mes suppositions. Si l’on considère que le crime a été commis ailleurs, Ishigami a transporté le corps.

— Je croyais que tu étais opposé à la thèse selon laquelle la victime avait été tuée ailleurs ?

— Tout change si elle a un complice. Mais c’est elle qui a tué. Il n’est pas impossible qu’Ishigami l’ait aidée, mais elle était avec lui, et je suis certain qu’elle a activement participé.

— Tu es sûr de toi, dis donc !

— Si Ishigami a tué et a ensuite transporté le corps, il n’est plus complice mais meurtrier. Je veux bien croire qu’il est amoureux d’elle, mais je doute qu’il soit allé jusque-là. Il aurait tout à perdre si elle le trahissait. Il a dû lui faire porter une part de la responsabilité.

— Mais tu ne peux pas envisager que ce soit lui qui ait commis le meurtre, et qu’ils se soient occupés du corps ensemble ?

— Je ne dirais pas que c’est impossible, mais cela me semble peu vraisemblable. Dans l’alibi de Yasuko Hanaoka, la partie qui concerne le cinéma est ambiguë, mais le reste est solide. Ils ont dû agir en tenant compte de l’heure. Je doute qu’elle ait participé au déplacement du corps, parce qu’il était difficile de prévoir combien de temps cela prendrait.

— Quelle partie de son alibi n’est pas vérifiable ?

— Celle qui concerne le cinéma, entre dix-neuf heures et vingt et une heures dix. Nous avons trouvé des témoins pour le restaurant et le salon de karaoké. Je pense qu’elle a véritablement été au cinéma. Parmi les souches de billets conservées par l’exploitant du cinéma, nous en avons trouvé une qui portait ses empreintes digitales, et une autre celles de sa fille.

— Par conséquent, tu penses que le crime a été commis par Yasuko et Ishigami pendant cet intervalle de deux heures et dix minutes.

— Peut-être se sont-ils aussi débarrassés du corps pendant ce temps-là, mais je pense qu’il est plus vraisemblable qu’elle ait quitté les lieux du crime avant lui.

— Et où a eu lieu le crime ?

— Je l’ignore. De toute façon, c’est elle qui a dû faire venir Togashi à l’endroit où il a été tué.

Yukawa inclina sa tasse en silence. Il fronçait les sourcils. Ce n’était pas la tête qu’il faisait lorsqu’il était convaincu par ce qu’il entendait.

— Tu as quelque chose à dire, non ?

— Non, rien de spécial.

— Mais si, je le vois bien. Maintenant que je t’ai expliqué mon point de vue, c’est ton tour de parler.

Yukawa soupira.

— Cela s’est fait sans voiture.

— Comment ?

— Je te dis qu’Ishigami ne s’est probablement pas servi d’une voiture. Pourtant, il en fallait une pour transporter le corps, non ? Comme il n’en a pas, il aurait dû en louer ou en emprunter une. Je ne crois pas qu’il dispose d’un moyen de se procurer une voiture sans que cela laisse de trace, ni sans laisser de traces dans la voiture. Les gens ordinaires ne savent pas comment faire cela.

— J’ai l’intention de contrôler toutes les agences de location de voitures.

— Bon courage ! Je te garantis que tu ne trouveras rien.

Kusanagi lui décocha un regard assassin mais Yukawa fit comme s’il ne l’avait pas vu.

— Tout ce que je dis, c’est que si la victime a été tuée ailleurs, Ishigami s’est certainement chargé de transporter le corps. Mais il n’est pas impossible que le crime ait eu lieu là où nous l’avons trouvé. Puisqu’elle n’était pas seule, tout est possible.

— Tu veux dire qu’ils ont tué Togashi ensemble, l’ont défiguré, lui ont brûlé le bout des doigts, l’ont déshabillé avant de mettre le feu à ses vêtements, pour ensuite quitter le lieu du crime à pied ?

— Ils n’en sont peut-être pas partis ensemble. Il fallait qu’elle revienne à temps pour la fin du film.

— Selon ton scénario, la victime se serait servie de la bicyclette retrouvée là-bas.

— Oui, c’est ça.

— Et Ishigami le Dharma aurait oublié d’effacer les empreintes digitales du vélo. Ishigami aurait commis une erreur aussi élémentaire.