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— Même les génies peuvent se tromper.

Yukawa fit lentement non de la tête.

— Pas lui.

— Dans ce cas, pourquoi ne les a-t-il pas effacées ?

— J’y ai beaucoup pensé, dit Yukawa en croisant les bras. Et je continue, car je n’ai pas encore trouvé la solution.

— Tu ne crois pas que tu y accordes trop d’importance ? C’est un génie des mathématiques, mais un débutant en matière de crime.

— C’est la même chose, déclara posément le physicien. Et pour lui, le crime est probablement plus simple.

Kusanagi secoua lentement la tête avant de lever sa tasse.

— Je vais surveiller Ishigami. Si Yasuko a un complice masculin, l’enquête prend une nouvelle dimension.

— Dans ton scénario, le crime a été réalisé d’une manière plutôt approximative. De nombreux indices ont été négligés : les empreintes digitales sur le vélo n’ont pas été effacées, les vêtements de la victime n’ont pas brûlé complètement. J’aimerais que tu répondes à une question. A ton avis, y a-t-il eu ou non préméditation ? Ou penses-tu que le crime a été accompli impulsivement, à cause de quelque chose qui s’est passé ?

— Eh bien… Kusanagi s’interrompit avant de reprendre en scrutant le visage de son ami. Il n’est pas impossible qu’il résulte d’une impulsion. On peut imaginer que Yasuko ait convoqué Togashi pour discuter avec lui et qu’Ishigami l’ait accompagnée pour lui servir de garde du corps, en quelque sorte. Ensuite, l’entretien aurait dérapé, et ils l’auraient tué ensemble. Tu ne penses pas que c’est vraisemblable ?

— Si ton hypothèse est correcte, elle est incompatible avec cette histoire de cinéma, dit Yukawa. Elle n’avait pas besoin d’un alibi si elle avait prévu de le voir pour parler avec lui. Même pas d’un alibi imparfait.

— Parce que tu penses que tout était prémédité ? Qu’elle et Ishigami attendaient Togashi dans le but de le tuer ?

— Cela me paraît peu probable.

— Tu ne sais pas ce que tu veux ! s’exclama Kusanagi en feignant la lassitude.

— Ishigami n’aurait jamais conçu un scénario aussi boiteux. Je ne peux pas imaginer qu’il ait élaboré un plan aussi plein de trous.

— Tu peux dire ce que tu veux mais… Il fut interrompu par la sonnerie de son téléphone portable. Excuse-moi, dit-il avant de répondre.

L’appel venait de Kishitani qui avait une information importante à lui transmettre. Kusanagi l’écouta en prenant des notes.

— Nous venons d’apprendre une chose intéressante, commenta-t-il après avoir raccroché. Une des camarades de Misato, la fille de Yasuko, vient de faire un témoignage d’un grand intérêt.

— Quoi donc ?

— Le jour du crime, Misato lui aurait dit qu’elle devait aller au cinéma avec sa mère le soir.

— Vraiment ?

— Kishitani vient de le confirmer. Par conséquent, la mère et la fille n’ont pas décidé d’aller au cinéma à la dernière minute.

Kusanagi leva la tête vers son ami.

— Il est donc permis de penser qu’il y a bien eu préméditation.

Mais Yukawa, le regard grave, secoua la tête de côté.

— C’est impossible, dit-il d’un ton sévère.

13

Le bar Marian se trouvait à cinq minutes de marche de la gare de Kinshicho, au cinquième étage d’un bâtiment qui abritait plusieurs autres établissements du même genre. L’immeuble n’était pas récent, et l’ascenseur grinçait.

Kusanagi consulta sa montre. Le cadran indiquait un peu plus de dix-neuf heures. Le bar ne serait pas encore plein. Ce serait mieux pour questionner les employés. Difficile de concevoir le succès d’un bar comme celui-ci, se dit-il en regardant les taches de rouille des parois de l’ascenseur.

Une surprise l’attendait. Marian comptait une vingtaine de tables, dont plus d’un tiers étaient occupées. D’après leur apparence, la plupart des clients étaient des employés de bureau mais il y en avait certains dont les vêtements ne permettaient pas de savoir à quelle profession ils appartenaient.

— Je suis allé dans un club de Ginza il y a quelque temps dans le cadre d’une enquête, lui glissa Kishitani à l’oreille. La patronne se demandait où étaient passés tous les habitués qui venaient tous les soirs à l’époque de la bulle. J’ai l’impression qu’une partie s’est repliée ici.

— Je pense que tu te trompes, répondit Kusanagi. Quelqu’un qui a pris le goût du luxe n’accepte pas volontiers de s’en passer. Les gens qui sont ici n’appartiennent pas à la même classe que ceux qui fréquentent Ginza.

Il se tourna vers un employé et lui dit qu’il souhaitait parler au responsable de l’établissement. Le jeune homme lui adressa un sourire et disparut dans l’arrière-salle.

Un autre homme habillé de noir s’approcha et les conduisit au bar.

— Que puis-je vous servir à boire ? demanda-t-il.

— Une bière, répondit Kusanagi.

— Tu crois que c’est bien ? s’enquit Kishitani une fois que le serveur s’était éloigné. Nous sommes en service !

— Si on ne boit rien, les autres clients trouveront ça bizarre.

— On aurait pu commander un thé glacé, non ?

— Tu ne serais pas choqué de voir deux hommes adultes boire du thé glacé dans un bar, toi ?

Une femme d’une quarantaine d’années, vêtue d’un tailleur gris argent, s’approcha d’eux. Ses cheveux étaient relevés en chignon et son maquillage, soigné. Elle était mince, et très jolie.

— Je vous souhaite la bienvenue. On m’a dit que vous vouliez me voir, leur dit-elle avec un sourire.

— Nous sommes de la police, l’informa Kusanagi presque à voix basse.

Debout à côté de lui, Kishitani porta la main à la poche intérieure de son veston. D’un regard, Kusanagi lui intima d’arrêter puis il retourna son attention vers la femme.

— Souhaitez-vous voir nos cartes professionnelles ?

— Non, ce n’est pas nécessaire, dit-elle en s’asseyant à côté de Kusanagi.

Elle lui tendit sa carte de visite. Elle s’appelait Sonoko Sugimura.

— Vous êtes la gérante ?

— Oui, c’est ma fonction ici, acquiesça-t-elle avec un autre sourire, pour leur faire comprendre que le bar ne lui appartenait pas.

— Les affaires vont bien ! commenta Kusanagi en parcourant le bar des yeux.

— Il ne faut pas se fier aux apparences. Mon patron n’a pas encore mis la clé sous la porte parce qu’il a d’autres établissements qui compensent nos pertes ! La plupart de nos clients viennent pour l’aider.

— Vraiment ?

— Notre avenir est loin d’être assuré. Sayoko n’a peut-être pas eu tort de se lancer avec son mari dans le commerce de bouche.

La fierté que Kusanagi percevait dans sa voix ainsi que l’assurance avec laquelle elle parlait de son patron démentaient le pessimisme de ses propos.

— Vous avez déjà eu plusieurs fois la visite de nos collègues, il me semble.

Elle hocha la tête.

— Oui, à propos de M. Togashi. C’est surtout moi qui leur ai parlé. Vous êtes ici pour la même raison ?

— Exactement. Nous sommes désolés de nous montrer si obstinés.

— Je l’ai déjà dit à votre collègue l’autre jour, mais je pense que vous faites erreur si vous soupçonnez Yasuko. Pour commencer, elle n’avait à mon avis aucune raison de faire une chose pareille.

— Je n’irais pas jusqu’à dire que nous la soupçonnons, répondit Kusanagi avec un sourire faux qu’il accompagna d’un geste de dénégation de la main. L’enquête ne progresse guère, et nous avons décidé de tout reprendre à zéro. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.