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Pendant qu’il le préparait, Ishigami avait reçu l’ordre du proviseur adjoint de ne pas choisir de problèmes trop complexes.

— Je n’aime pas le reconnaître, mais vous savez comme moi qu’en réalité, ce n’est qu’une formalité. Nous ne pouvons pas admettre en classe supérieure des élèves qui ont échoué. Cela ne vous amuse probablement pas non plus de passer votre temps à cela. Les élèves se plaignent depuis longtemps de la difficulté de vos problèmes. Je vous serai par conséquent reconnaissant de faire en sorte que tous ceux qui passent cet examen final le réussissent sans difficulté.

Ishigami ne pensait pas du tout que les problèmes qu’il posait à ses élèves étaient difficiles. Il les trouvait simples. Ils ne s’écartaient pas de ce qui avait été vu en classe, et un élève qui maîtrisait les connaissances fondamentales aurait dû pouvoir les résoudre en peu de temps. Ils n’étaient qu’une variation de ce qu’il leur avait enseigné. Cette variation les rendait cependant différents de ceux des manuels ou des cahiers d’exercices, et les élèves qui s’étaient contentés de retenir les étapes à suivre avaient du mal à les résoudre.

Mais il s’était conformé aux instructions du proviseur adjoint pour cette épreuve. Il avait utilisé des problèmes qui provenaient des recueils d’exercices, que l’on pouvait résoudre en ayant travaillé normalement.

Morioka bâilla ouvertement et regarda l’horloge. Son regard croisa celui d’Ishigami.

Contrairement à l’expression embarrassée que le professeur s’attendait à voir apparaître sur son visage, l’élève lui fit une grimace en croisant ses deux avant-bras devant lui pour former le “x” de l’échec, comme pour lui faire comprendre qu’il avait renoncé.

Ishigami y répondit par un sourire. Morioka sembla d’abord décontenancé, puis il sourit à son tour et recommença à regarder par la fenêtre.

Ishigami se souvint de la question qu’il lui avait posée quelque temps auparavant : “Le calcul différentiel, à quoi ça va nous servir ?” Le professeur le lui avait expliqué en utilisant l’exemple des courses de motos, mais il n’était pas sûr d’avoir été compris.

L’attitude de Morioka ne lui avait pas déplu. Questionner la nécessité de ce qui est enseigné est sain. Ce n’est qu’après avoir dissipé ce genre d’incertitude que l’on peut véritablement étudier. Ce questionnement était indispensable pour trouver le chemin qui menait à la compréhension de la véritable nature des mathématiques.

Trop d’enseignants ne faisaient pas l’effort de répondre aux doutes élémentaires exprimés par leurs élèves. Ishigami avait tendance à penser qu’ils en étaient incapables. Comme le seul but de ces enseignants qui ne comprenaient pas la véritable nature des mathématiques était de suivre le programme et de permettre à leurs élèves d’obtenir les notes nécessaires, ces doutes les dérangeaient.

Ishigami s’interrogeait sur ce qu’il était en train de faire. Avec cet examen sans aucun rapport avec l’essence des mathématiques, son unique objectif était d’attribuer à ses élèves les notes dont ils avaient besoin. Le noter, décider qui avait réussi et qui avait raté, n’avait aucun sens. Ce n’était ni des mathématiques ni de l’éducation.

Ishigami se leva. Il inspira profondément.

— Vous pouvez arrêter de répondre aux questions, dit-il en faisant le tour de la salle des yeux. Pendant le temps qui reste, je veux que vous écriviez ce que vous pensez aujourd’hui au dos de la feuille d’examen.

Une certaine confusion apparut sur le visage des élèves. Un brouhaha s’éleva, fait de murmures : “Comment ça, ce qu’on pense ?”

— Je veux connaître vos idées sur les mathématiques. Tant que vous parlez de cela, vous pouvez écrire ce que vous voulez, ajouta-t-il. Cette partie-là aussi comptera pour la note.

Le soulagement remplaça l’embarras chez les élèves.

— Vous le noterez ? Ça comptera pour combien ? demanda un garçon.

— Tout dépendra de ce que vous écrivez. Si vous n’avez pas réussi à résoudre les problèmes, faites un effort supplémentaire pour cette partie-là ! répondit-il en se rasseyant.

Tous les élèves retournèrent leur feuille d’examen. Certains se mirent immédiatement à écrire. Morioka en était.

Je vais pouvoir tous les faire passer, se dit Ishigami. Donner des points pour une copie blanche était impossible, mais pas en attribuer autant qu’il en fallait si les élèves avaient écrit quelque chose. Le proviseur adjoint lui ferait peut-être une remarque, mais il ne pourrait qu’approuver sa décision de faire réussir tous les élèves.

La sonnerie qui marquait la fin de l’examen retentit. Ishigami accorda cinq minutes de plus aux quelques élèves qui réclamaient encore un peu de temps.

Il quitta la salle de classe après avoir ramassé toutes les copies. Sitôt qu’il fut dehors, les élèves commencèrent à parler tout haut. Certains s’exclamèrent : “On a eu de la chance !”

Il retourna dans la salle des professeurs. Un employé administratif l’y attendait.

— Monsieur Ishigami, quelqu’un veut vous voir.

— Quelqu’un veut me voir ?

L’employé s’approcha et lui souffla à l’oreille :

— Il m’a dit qu’il était inspecteur de police.

— Ah…

— Comment voulez-vous faire ? demanda l’employé en le regardant avec une expression intriguée.

— Que voulez-vous que je fasse ? Il m’attend, non ?

— Oui, mais je peux inventer quelque chose pour le faire partir.

Ishigami sourit poliment.

— Ce n’est pas la peine. Où est-il ?

— Je l’ai fait attendre dans le parloir.

— Je vais y aller.

Il rangea les copies dans sa serviette et quitta la salle des professeurs. Il les corrigerait chez lui.

Comme l’employé le suivait, il lui dit qu’il n’avait pas besoin de lui. Il devinait sa curiosité, son désir de connaître la raison de cette visite. D’ailleurs, si l’employé lui avait offert de renvoyer le policier, c’était certainement parce qu’il se disait que cela lui permettrait de questionner plus facilement Ishigami.

En arrivant au parloir, il ne fut pas surpris de voir l’inspecteur Kusanagi.

— Je suis désolé de vous déranger sur votre lieu de travail, s’excusa-t-il en se levant pour le saluer.

— Comment avez-vous deviné que je serais ici, alors que les vacances de printemps ont commencé ?

— Je suis d’abord passé chez vous, et comme vous n’étiez pas là, j’ai téléphoné au lycée et j’ai appris que vous surveilliez un examen de rattrapage. Les enseignants n’ont pas la vie facile !

— Celle des élèves est encore plus difficile. Et il s’agissait d’un examen de repêchage.

— Ah, vraiment ? Si c’est vous qui l’avez préparé, il devait être difficile.

— Pourquoi dites-vous cela ? demanda Ishigami en scrutant le visage du policier.

— Pour rien… c’est juste une impression.

— Il n’était pas difficile même s’il comportait quelques pièges pour les élèves qui se laissent égarer par leurs a priori.

— Quelques pièges ?

— Oui, comme un problème de fonctions qui avait l’apparence d’un problème de géométrie, expliqua-t-il en s’asseyant en face de Kusanagi. Mais peu importe ! Que me vaut votre visite aujourd’hui ?

— Rien de grave, fit l’inspecteur qui s’assit à son tour et sortit son calepin. Je voulais vous poser quelques questions sur ce fameux soir.