Выбрать главу

— C’est tout ce que je peux te donner, fit-elle en les posant sur la table chauffante.

— Qu’est-ce que tu fais ? Je croyais que tu ne me donnerais pas un centime.

— C’est la dernière fois.

— J’en veux pas de ton argent, moi !

— Tu n’as pas l’intention de repartir les mains vides, non ? Tu aimerais probablement plus mais je ne peux pas.

Togashi examina les deux billets puis Yasuko.

— Y a rien à faire, hein ? Bon, je m’en vais. Laisse-moi te rappeler que je ne voulais pas de ton argent. Tu m’en as donné parce que tu le voulais.

Il mit les deux billets dans la poche de son blouson, jeta son mégot dans le cendrier improvisé et se leva. Mais au lieu de se tourner vers l’entrée, il fit un pas en direction de la pièce du fond. Il poussa la cloison coulissante. Misato poussa un cri aigu.

— Mais que fais-tu ? s’écria Yasuko.

— Ça te dérange que je dise au revoir à ma belle-fille ?

— Misato n’est plus rien pour toi à présent.

— Et alors ? Bon, salut Misato, à la prochaine ! lança-t-il en faisant un pas vers elle.

D’où elle était, Yasuko ne la voyait pas.

Togashi se retourna et fit mine de partir.

— Elle est de plus en plus mignonne. Dans quelques années…

— Tu as vraiment besoin de dire des bêtises pareilles ?

— Comment ça, des bêtises ? D’ici trois ans, elle te rapportera de l’argent, celle-là. Tu n’auras aucun mal à lui trouver du boulot.

— Maintenant, ça suffit. Dépêche-toi de partir.

— J’y vais, j’y vais. Je reviendrai.

— Il n’en est pas question.

— Qui vivra verra.

— Ecoute…

— Je vais te dire un truc : tu ne m’échapperas jamais. Ce n’est même pas la peine d’y penser, ricana-t-il en se penchant pour mettre ses chaussures.

A cet instant, Yasuko perçut un bruit derrière elle. Elle se retourna et vit Misato, encore vêtue de son uniforme de collégienne, debout à côté d’elle. Elle brandissait quelque chose.

Yasuko n’eut pas plus le temps de la retenir que de lui parler. Misato frappa à plusieurs reprises l’arrière du crâne de Togashi qui s’effondra avec un bruit sourd.

2

Misato lâcha l’objet qu’elle tenait. C’était un vase en cuivre, le cadeau de chez Bententei à ceux qui avaient fêté son ouverture.

— Mais Misato… souffla Yasuko en regardant sa fille.

Pétrifiée, l’adolescente regardait droit devant elle sans rien voir.

La seconde suivante, elle écarquilla les yeux. Elle fixait un point derrière sa mère.

Yasuko se retourna au moment où Togashi se relevait en vacillant. Le visage défait, il pressait une de ses mains contre l’arrière de son crâne.

— Espèces de… rugit-il en leur décochant un regard chargé de haine.

Misato ne détourna pas les yeux. Il chancela puis fit un pas vers elles. Yasuko se mit devant sa fille pour la protéger.

— Arrête !

— Dégage !

Il la saisit par le bras et la projeta contre le mur qu’elle heurta violemment des hanches. Puis il attrapa par l’épaule Misato qui tentait de lui échapper. Il fit pression sur elle de tout son poids et elle s’accroupit. Togashi s’assit sur elle, agrippa ses cheveux d’une main et la gifla de l’autre.

— Je vais te tuer, gronda-t-il d’une voix qui n’avait plus rien d’humain.

Il va la tuer, se dit Yasuko. Si je le laisse faire, elle va mourir.

Elle regarda autour d’elle. Elle vit le cordon de la chaufferette. Elle le débrancha de la prise. L’autre extrémité était encore reliée, à l’élément chauffant sous le plateau de la table, mais elle le tira vers elle.

Elle se glissa derrière Togashi qui continuait à écraser Misato sous lui en rugissant, lui passa le cordon autour du cou et tira de toutes ses forces.

Il émit un son rauque et tomba en arrière. Il dut saisir ce qui lui arrivait car il essaya de desserrer le cordon avec ses doigts. Elle ne relâcha pas son étreinte. Le cordon était sa dernière chance. Si elle échouait, elle ne parviendrait jamais à empêcher cet oiseau de malheur de les persécuter, elle et sa fille, pendant le restant de leurs jours.

Mais elle n’était pas de taille à l’emporter sur lui. Le cordon filait entre ses mains.

Soudain Misato agrippa les doigts de Togashi qui essayait de défaire l’étreinte du cordon. Elle chevaucha l’homme pour l’empêcher de se débattre.

— Vite, maman, vite ! cria-t-elle.

Yasuko n’eut pas le temps de réfléchir. Elle ferma les yeux et tira le cordon de toutes ses forces. Son cœur palpitait. Elle continua en entendant le sang battre dans ses tempes.

Elle n’aurait su dire pendant combien de temps elle continua à tirer. Elle reprit contrôle d’elle-même en entendant la voix de sa fille qui l’appelait tout bas.

Elle ouvrit lentement les yeux. Ses mains tenaient toujours le cordon.

La tête de Togashi était tout près d’elle. Ses yeux ouverts avaient pris un aspect vitreux et semblaient fixer le vide. Les petits vaisseaux qui avaient éclaté sous la peau de son visage lui donnaient une couleur violet foncé. Le cordon s’était enfoncé dans la chair de son cou en y laissant un hématome bleu foncé.

Il ne bougeait plus. Un filet de salive coulait de sa bouche. Du mucus sortait de ses narines.

Yasuko laissa échapper le fil électrique en poussant un cri strident. La tête de Togashi heurta le tatami avec un bruit étouffé. Mais il ne réagit pas.

Misato qui était encore à califourchon sur lui se dégagea avec une expression paniquée. La jupe de son uniforme de collégienne était fripée. Elle s’assit sur le tatami en s’appuyant au mur. Elle ne quittait pas Togashi des yeux.

Yasuko et sa fille passèrent quelques instants en silence. Elles observaient l’homme inanimé. Il semblait à Yasuko que le tube fluorescent qui éclairait la pièce grésillait plus fort que d’ordinaire.

— Qu’est-ce qu’on va faire… murmura Yasuko, la tête vide. On l’a tué.

— Maman…

Elle tourna les yeux vers sa fille en entendant sa voix. Elle était livide. Mais il y avait des traces de larmes sous ses yeux injectés de sang. Yasuko ne savait pas à quel moment sa fille avait pleuré.

Elle reposa les yeux sur Togashi. Elle aurait voulu à la fois déceler le signe qu’il respirait encore et être certaine qu’il ne respirait plus. Elle acquit la certitude qu’il était vraiment mort.

— Tout… est de sa faute, dit Misato en repliant les jambes pour enserrer ses genoux dans ses bras.

Elle y enfonça son visage et se mit à sangloter.

— Qu’est-ce qu’on va faire, murmura à nouveau Yasuko.

Au même instant, la sonnette retentit. Elle en fut tellement surprise qu’elle frissonna de tout son corps.

Misato releva la tête. Des larmes luisaient sur ses joues. La mère et la fille échangèrent un regard. Qui pouvait bien venir les voir à cette heure ?

Une main frappa à la porte. Puis une voix masculine appela :

— Madame Hanaoka !

Yasuko ne parvint pas immédiatement à mettre un nom sur la voix. Pourtant, elle la connaissait. Elle était aussi incapable de bouger que si elle avait été ligotée. La mère et la fille continuèrent à se dévisager.

La personne à la porte frappa de nouveau.

— Madame Hanaoka, madame Hanaoka !

L’inconnu derrière la porte savait qu’elles étaient là. Il fallait répondre. Mais elle ne pouvait ouvrir la porte avec son appartement dans cet état.

— Va dans la pièce du fond. Ferme la cloison et ne l’ouvre surtout pas, chuchota Yasuko en commençant à recouvrer sa faculté de raisonner.