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En sortant du laboratoire, il croisa dans le couloir mal éclairé un jeune homme qui venait d’arriver par l’escalier. Kusanagi reconnut cet étudiant plutôt maigre, au visage nerveux. Il s’appelait Tokiwa et faisait sa maîtrise avec Yukawa. C’est de lui qu’il avait appris que le physicien était probablement à Shinozaki un jour où son ami était absent lorsqu’il était venu le voir.

Tokiwa devait s’en souvenir car il le salua de la tête en passant à côté de lui.

— Excusez-moi… l’interpella Kusanagi.

Déconcerté, l’étudiant se retourna et l’inspecteur lui sourit.

— J’aurais voulu vous demander quelque chose, si vous avez un peu de temps.

Tokiwa consulta sa montre et répondit que c’était possible, à condition que cela ne prenne pas longtemps.

Ils sortirent ensemble du bâtiment où se trouvaient les laboratoires de physique et entrèrent dans la cafétéria fréquentée par les étudiants en sciences. Ils s’assirent à une table après s’être acheté des cafés dans une machine.

— Il est bien meilleur que le café en poudre de votre laboratoire, remarqua Kusanagi après en avoir bu une gorgée, dans le but de détendre l’atmosphère.

Tokiwa sourit, sans se défaire de son expression crispée.

Kusanagi renonça à son idée de commencer par lui parler de tout et de rien et entra dans le vif du sujet.

— Je voulais vous poser une question à propos de M. Yukawa. Auriez-vous remarqué un changement chez lui ces derniers temps ?

Tokiwa sembla embarrassé. Kusanagi comprit que sa question avait été maladroite.

— Je me demandais s’il ne s’intéressait pas à quelque chose qui n’a pas de rapport avec son travail.

L’étudiant pencha la tête de côté. Il avait l’air de réfléchir.

Kusanagi sourit.

— Rassurez-vous, il n’est pas impliqué dans une histoire louche. Je ne peux pas vous en dire plus, mais j’ai l’impression qu’il me cache quelque chose. Vous savez sans doute comme moi qu’il est un peu excentrique.

Il ne lui était pas facile d’évaluer comment l’étudiant interpréta ce commentaire, mais le jeune homme se détendit et fit oui de la tête. Peut-être n’était-ce qu’une manière de manifester son assentiment avec le qualificatif d’excentrique.

— Je suis incapable de vous dire ce qu’il cherche, mais l’autre jour, je l’ai entendu téléphoner à la bibliothèque.

— A la bibliothèque ? De l’université ?

Tokiwa acquiesça.

— Il voulait savoir s’il pouvait y consulter des quotidiens.

— Des quotidiens ? Quelle étrange question ! Quelle bibliothèque n’en a pas ?

— Vous avez raison, mais je crois que sa question portait sur la durée pendant laquelle la bibliothèque les garde.

— Il s’intéresse aux vieux journaux…

— Non, pas vraiment aux vieux journaux. Il me semble qu’il a demandé s’il pouvait consulter les journaux parus depuis un mois.

— Parus depuis un mois… Et que lui a-t-on répondu ? Que c’était possible ?

— Je crois que oui. Il y est allé immédiatement après.

Kusanagi hocha la tête, et Tokiwa se leva en le remerciant pour le café. Il emporta son gobelet qui était encore à moitié plein.

La bibliothèque de l’université était un bâtiment à deux étages. Kusanagi, qui ne l’avait utilisée que deux ou trois fois quand il était étudiant, était incapable de dire si elle avait changé depuis. Elle lui paraissait neuve.

Il demanda à une bibliothécaire assise à un comptoir proche de l’entrée si elle pouvait le renseigner sur les journaux consultés récemment par le professeur Yukawa. Elle le regarda avec méfiance.

Il se résolut à lui montrer sa carte de police.

— Je ne vous demande pas de me dire s’il l’a fait ou pas, mais de me renseigner sur les articles qu’il a lus, expliqua-t-il sans trouver de meilleure manière de formuler sa question.

— Je crois me souvenir qu’il était à la recherche d’articles parus en mars, répondit-elle d’un ton prudent.

— Et de quels genres d’articles s’agissait-il ?

— Je n’en sais pas plus. Elle réfléchit et reprit : Il s’intéressait aux faits divers.

— Aux faits divers ? Et où sont les journaux ?

Elle lui montra une rangée de rayonnages bas qui contenaient des piles de quotidiens en expliquant que chacune d’entre elles regroupait les journaux parus pendant une période de dix jours.

— Nous ne mettons à la disposition des visiteurs que les journaux du mois précédent. Autrefois, nous les gardions plus longtemps, mais avec Internet, ce n’est plus nécessaire, puisque les quotidiens mettent leurs archives en ligne.

— Yukawa… le professeur Yukawa vous a dit que cela lui suffisait ?

— Oui. Il s’intéressait à ceux parus après la date du 10 mars.

— Du 10 mars ?

— Oui, j’en suis presque sûre.

— Je peux les consulter ?

— Je vous en prie. Revenez me voir lorsque vous aurez fini.

Elle lui tourna le dos et Kusanagi alla prendre la pile de quotidiens qu’il posa sur une table. Il avait décidé de lire les pages “Faits divers” de chacun à partir du 10 mars.

Il s’agissait du jour où Shinji Togashi avait été assassiné. Il avait vu juste : Yukawa était venu ici à la recherche d’informations sur le meurtre. Mais que voulait-il vérifier dans les journaux ?

Kusanagi chercha les articles qui en parlaient. Le premier remontait à l’édition du soir du 11 mars. Il en trouva d’autres dans l’édition du matin du 13 mars, après l’identification du corps. Mais les journaux n’en avaient plus reparlé jusqu’à ce qu’Ishigami se livre à la police.

En quoi ces articles avaient-ils pu intéresser le physicien ?

Kusanagi les lut attentivement plusieurs fois. Aucun ne disait de choses importantes. Il avait fourni à son ami des informations bien plus détaillées. Leur lecture ne lui avait probablement rien appris.

L’inspecteur croisa les bras.

Pour commencer, il ne croyait pas que quelqu’un comme Yukawa ait pu se fier aux journaux pour apprendre quelque chose sur cette affaire. Il y a beaucoup de meurtres aujourd’hui et les quotidiens n’ont pas pour habitude d’en parler longtemps. Ils ne publient d’articles que lorsqu’un nouvel élément important apparaît. Aux yeux du public, la mort de Togashi était un événement qui n’avait rien d’extraordinaire. Yukawa en était certainement conscient.

Mais il n’était pas non plus du genre à agir sans réfléchir.

Comme Kusanagi l’avait confié au physicien, quelque chose l’empêchait de croire à la culpabilité d’Ishigami. Il n’arrivait pas à se débarrasser de sa crainte que ses collègues et lui fassent fausse route. Il ne pouvait pas plus se défaire du sentiment que Yukawa avait compris où était leur erreur. Le physicien les avait déjà aidés en de nombreuses occasions. N’était-il pas à même de leur fournir de précieux conseils cette fois-ci ? Si c’était le cas, pourquoi ne le faisait-il pas ?

L’inspecteur remit les journaux à leur place et retourna au comptoir.

— Ils vous ont été utiles ? s’enquit la bibliothécaire d’un ton légèrement inquiet.

— Oui, plutôt, répondit-il sans s’engager.

— M. Yukawa s’est aussi intéressé aux journaux de province, lança-t-elle au moment où il s’apprêtait à prendre congé.

— Pardon ? fit Kusanagi en se retournant vers elle. Aux journaux de province ?

— Oui, il m’a demandé si nous avions aussi des journaux de Chiba ou de Saitama. Je lui ai dit que nous n’en avions pas.

— Il n’a rien demandé d’autre ?