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Elle aurait voulu fuir. Mais elle tenait aussi à savoir ce qu’il avait à lui dire. Elle était certaine que c’était lié à Ishigami.

— Dix minutes, je veux bien.

— Merci, répondit Yukawa, qui sourit en entrant dans le square.

Comme elle hésitait, Kusanagi l’invita de la main. Elle hocha la tête et suivit Yukawa. La présence silencieuse du policier lui était pénible.

Le physicien s’assit sur un banc assez grand pour deux personnes.

— Va là-bas, dit-il à Kusanagi. Je veux lui parler seul.

Kusanagi n’eut pas l’air content mais il fit oui de la tête et retourna vers l’entrée du square où il alluma une cigarette.

Yasuko prit place à côté du physicien en étant consciente de la présence du policier à quelques pas d’elle.

— M. Kusanagi est policier, n’est-ce pas ? Vous pouvez le traiter comme cela ?

— Ne vous préoccupez pas de lui. J’avais l’intention de venir seul. Et avant d’être policier, c’est d’abord mon ami.

— Vous êtes amis ?

— Nous avons fait nos études ensemble, expliqua Yukawa en souriant. Ishigami est de la même année que nous. Mais lui et Kusanagi ne se connaissaient pas avant cette affaire.

Yasuko hocha la tête. Elle n’avait pas compris jusqu’à présent la raison pour laquelle l’universitaire était venu voir Ishigami.

Son voisin ne lui en avait rien dit, mais elle pensait que ce Yukawa était probablement impliqué dans l’échec de son plan. Ishigami ne pouvait pas avoir prévu que Kusanagi et lui avaient un ami commun.

De quoi voulait lui parler cet homme ?

— Je regrette profondément qu’Ishigami se soit livré à la police, commença Yukawa sans s’embarrasser de préambule. En tant que scientifique, je ne supporte pas l’idée qu’un homme aussi brillant que lui doive désormais passer sa vie en prison sans pouvoir se servir de son esprit.

Incapable de lui répondre, Yasuko serra ses mains posées sur ses genoux.

— Je trouve tout cela incroyable. Qu’il ait fait ce qu’il a fait. A votre égard.

Yasuko sentit qu’il la regardait. Elle se raidit.

— Je trouve incroyable qu’il se soit conduit d’une façon aussi indigne à votre égard. Non, c’est faux, je ne trouve pas cela incroyable. Ma conviction est plus forte. Ce que je devrais dire, c’est que je n’y crois pas. Il… Ishigami ment. Pour quelle raison ? Puisqu’il a choisi l’infamie en commettant un meurtre, cela ne devrait pas avoir de sens pour lui de mentir. Pourtant, il le fait. Je ne conçois qu’une seule explication. Il ne ment pas pour lui. Il cache la vérité dans l’intérêt de quelqu’un.

Yasuko avala sa salive. Elle avait du mal à respirer.

Cet homme est tout près de la vérité, pensait-elle. Il comprend qu’Ishigami protège quelqu’un, qu’il n’est pas le vrai coupable. Et il veut sauver Ishigami. La meilleure manière de le faire serait que le véritable criminel se dénonce. Que toute la vérité soit connue.

Elle jeta un regard terrifié à Yukawa. A sa surprise, il souriait.

— Vous devez penser que je suis venu pour vous faire la morale.

— Non, pas du tout… répondit-elle en secouant la tête de côté. D’ailleurs, à propos de quoi me la feriez-vous ?

— Vous avez raison. Toutes mes excuses pour vous avoir tenu des propos étranges, lança-t-il en baissant la tête. Non, je voulais vous apprendre quelque chose. Voilà pourquoi je suis ici.

— Et quoi donc ?

— Eh bien… commença-t-il pour s’interrompre aussitôt. Vous ignorez tout de la vérité.

Elle le regarda en écarquillant les yeux. Il ne souriait plus.

— Votre alibi est probablement vrai, continua-t-il. Vous êtes vraiment allée au cinéma. En compagnie de votre fille. Si ce n’était pas le cas, la police qui a fait tant d’efforts l’aurait découvert, et votre fille qui est encore au collège n’aurait pas pu résister à la pression. Vous ne mentez pas.

— Vous avez raison. Ni elle ni moi n’avons menti. Mais qu’est-ce que cela fait ?

— Cela doit vous paraître étrange. De ne pas avoir à mentir, je veux dire. De voir que la police ne puisse pas faire plus. Lui… Ishigami a fait en sorte que vous n’ayez qu’à dire la vérité aux policiers. Il a tout arrangé pour que la police, indépendamment de ses efforts, ne puisse rien trouver contre vous. Vous ignorez probablement la nature du mécanisme qu’il a créé. Vous devez penser qu’il a utilisé une astuce ingénieuse, mais vous ne savez pas en quoi elle consiste. Je me trompe ?

— Ecoutez, je ne comprends rien à ce que vous me dites, répondit Yasuko en souriant.

Mais son sourire était forcé et elle avait conscience de la raideur de sa lèvre inférieure.

— Il a fait un lourd sacrifice pour vous protéger toutes les deux. Un sacrifice inconcevable pour quelqu’un d’ordinaire, comme vous et moi. Je crois que dès le début, dès que l’irrémédiable avait été commis, il était prêt à prendre votre place si les choses tournaient mal. Tout son plan était fondé sur cette prémisse. Et inversement, cette prémisse devait être indestructible. Mais elle était extrêmement cruelle. N’importe qui d’autre aurait hésité. Ishigami en était conscient. Voilà pourquoi il ne s’est ménagé aucune issue de secours si les choses tournaient mal. L’astuce qu’il a utilisée était en même temps stupéfiante.

Yasuko écoutait Yukawa en sentant la confusion grandir en elle. Elle ne comprenait absolument pas ce dont il lui parlait. Elle devinait cependant que le pire était à venir.

Yukawa ne se trompait pas. Elle ignorait tout du plan conçu par Ishigami. Elle trouvait en même temps étrange que la police ne se soit pas plus acharnée sur elle. En réalité, elle avait eu l’impression, quand la police l’avait interrogée, que les inspecteurs se trompaient de cible.

Yukawa, lui, connaissait le secret.

Il regarda sa montre. Peut-être était-il préoccupé par le temps qui lui restait.

— Cela me fait de la peine de vous apprendre la vérité, fit-il avec une expression sincèrement chagrinée. Parce qu’Ishigami ne voulait surtout pas que vous la sachiez. Je pense qu’il voulait l’éviter à tout prix. Non pas dans son propre intérêt. Mais dans le vôtre. Parce que l’apprendre rendra votre vie encore plus difficile qu’elle ne l’est à présent. Je suis cependant incapable de ne pas vous la dire. Parce que je pense qu’il ne sera jamais récompensé de l’amour extraordinaire qu’il vous porte et qui l’a poussé à risquer de tout perdre. Je devine que ce que je fais n’est pas ce qu’il aurait voulu mais l’idée de vous laisser dans l’ignorance m’est insupportable.

Le cœur de Yasuko battait à tout rompre. Elle avait du mal à respirer, elle était au bord de l’évanouissement. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il allait lui dire. Mais elle devinait que cela dépasserait son imagination.

— De quoi s’agit-il ? Si vous êtes prêt à me le dire, faites-le vite !

Ses mots étaient forts, mais elle les prononça d’une voix tremblante, sans vigueur.

— Cette affaire… Le vrai coupable de l’assassinat commis au bord de la Kyu-Edogawa, commença Yukawa qui s’arrêta pour inspirer profondément, c’est lui. Ishigami. Ce n’est ni vous, ni votre fille. Ishigami a tué. Il ne s’est pas dénoncé pour un crime qu’il n’a pas commis. C’est bien lui le coupable.

Ebahie, Yasuko le regardait sans comprendre.

— Mais… reprit le physicien. Le cadavre qui a été trouvé n’était pas celui de Shinji Togashi. Il ne s’agissait pas de votre ex-mari. Mais de quelqu’un d’autre, à qui on avait donné son apparence.

Yasuko fronça les sourcils. Elle continuait à ne pas comprendre. Mais à l’instant où elle remarqua la tristesse des yeux du physicien derrière ses lunettes cerclées de métal, tout devint clair pour elle. Elle poussa un soupir à fendre l’âme et porta sa main à sa bouche. Sa surprise était si grande qu’elle faillit pousser un cri. Son sang se mit à tourner plus vite, et la seconde suivante, elle eut l’impression d’en être vidée.