Выбрать главу

Yukawa finit par se lever. Il courba la tête pour saluer Yasuko et revint vers Kusanagi. Yasuko demeura immobile. Elle paraissait tétanisée.

— Ça a pris du temps, fit le physicien.

— Tu as fini ?

— Oui.

— Que va-t-elle faire ?

— Je n’en sais rien. Je lui ai tout raconté, sans lui poser de question ni lui donner de conseil. C’est à elle de décider.

— Je te l’ai déjà dit, mais si elle ne se dénonce pas…

— Je n’ai pas oublié, l’interrompit Yukawa d’un geste de la main en recommençant à marcher. Ce n’est pas la peine de me le redire. J’ai quelque chose à te demander.

— Tu veux rencontrer Ishigami, n’est-ce pas ?

Yukawa écarquilla légèrement les yeux.

— Tu as deviné juste.

— Bien sûr. Je te connais depuis longtemps.

— Si bien qu’on se comprend sans parler ? C’est vrai que pour l’instant, nous sommes encore amis ! s’exclama Yukawa avec un sourire triste.

19

Assise sur le banc, Yasuko était incapable de bouger. Le récit du physicien l’avait accablée. Le choc avait été considérable, elle ne s’en remettait pas. Son cœur semblait lourd.

Il était allé jusque-là… Elle pensait à son voisin, le professeur de mathématiques.

Il ne lui avait rien dit de la manière dont il s’était débarrassé du corps de Togashi. Il s’était limité à lui dire qu’elle n’avait pas à s’en inquiéter. Elle se rappela le ton calme qu’il avait eu pour lui annoncer au téléphone qu’il s’en était occupé, que tout s’était bien passé, et qu’elle n’avait pas de souci à se faire.

Elle avait trouvé étrange que la police lui demande si elle avait un alibi pour le lendemain du crime. Ishigami lui avait donné des instructions précises sur ce qu’elle devait faire ce soir-là : aller au cinéma, puis dîner dans le restaurant de nouilles avant de passer du temps dans le salon de karaoké, et enfin appeler cette amie très tard. Elle lui avait obéi sans comprendre. Lorsqu’elle avait été interrogée, elle avait dit la vérité en pensant qu’elle aurait aimé pouvoir leur demander pourquoi ils lui posaient ces questions. Pourquoi lui parlaient-ils du 10 mars ?

Maintenant elle savait. Ishigami avait tout arrangé pour que la police s’intéresse à ce jour-là. Mais son plan était épouvantable. Elle avait écouté Yukawa en pensant que cela expliquait tout mais elle ne réussissait pas à y croire. Elle ne voulait pas y croire. Elle refusait l’idée qu’il ait été jusque-là pour elle, qu’il était prêt à sacrifier sa vie pour une femme de son âge, ordinaire, sans charme particulier, qui n’avait rien d’intéressant. Yasuko ne se croyait pas assez forte pour accepter cette vérité.

Elle se cachait le visage. Elle ne voulait plus réfléchir. Yukawa lui avait dit qu’il n’en parlerait pas à la police. Qu’elle était libre de choisir ce qu’elle voulait faire, puisque ce n’était que des suppositions sans rien pour les étayer. Elle lui en voulait de l’avoir placée devant un choix si cruel.

Elle ne savait pas ce qu’elle devait faire et elle demeurait pétrifiée sur le banc sans trouver la force de se lever lorsqu’elle sentit une main sur son épaule. Surprise, elle releva la tête.

Quelqu’un était debout à côté d’elle. Elle reconnut Kudo qui la regardait avec inquiétude.

— Que t’arrive-t-il ?

Il lui fallut du temps pour comprendre pourquoi Kudo était là. Elle se rappela leur rendez-vous. Comme elle n’arrivait pas, il avait dû sortir pour aller à sa recherche, inquiet de ne pas la voir.

— Je te demande pardon. Je… je suis épuisée.

Aucune autre justification ne lui vint à l’esprit. D’ailleurs, elle se sentait vidée. Non pas physiquement, mais mentalement.

— Tu n’es pas bien ? demanda doucement Kudo.

Sa voix parut stupide à Yasuko. Elle découvrit qu’ignorer la vérité pouvait être un péché. Et se dit qu’elle en avait été coupable jusqu’à il y a quelques instants.

— Si, ça va, répondit-elle en essayant de se lever.

Elle vacilla, et Kudo tendit le bras pour la soutenir. Elle le remercia.

— Que s’est-il passé ? Tu as mauvaise mine !

Yasuko secoua la tête. Elle ne pouvait rien lui expliquer. Elle ne pouvait rien dire à personne.

— Ce n’est rien. Je me suis assise car je ne me sentais pas bien. Mais ça va maintenant.

Elle avait mis toute son énergie à parler d’un ton normal, sans y parvenir.

— Ma voiture est garée tout près. Tu n’as qu’à te reposer encore un peu, et puis nous pourrons y aller.

Elle tourna la tête vers lui.

— Aller où ?

— J’ai fait une réservation au restaurant. Pour sept heures, mais ce n’est pas grave si nous avons une demi-heure de retard.

— Ah…

Le mot “restaurant” lui fit l’effet d’appartenir à une autre dimension. Voulait-il aller dîner ? Elle devrait manier sa fourchette et son couteau comme il le fallait, un sourire artificiel plaqué sur son visage, la tête pleine de ce qu’elle venait d’apprendre ? Mais Kudo n’était pour rien dans cette histoire, bien sûr.

— Je suis vraiment désolée, souffla-t-elle. Je ne vais pas y arriver. Je préférerais que nous dînions ensemble un jour où je me sens mieux. Aujourd’hui, je ne crois pas que…

— Je comprends, fit Kudo en l’arrêtant d’un geste de la main. Tu as raison, nous ferions mieux de remettre cela à une autre fois. Après tout ce qui s’est passé, tu es fatiguée, c’est normal. Repose-toi. Tu as vécu des jours difficiles. J’ai eu tort de ne pas te laisser le temps de souffler. J’aurais dû y penser. Pardon.

En l’entendant s’excuser si gentiment, Yasuko admira encore une fois sa générosité. Il se faisait véritablement du souci pour elle. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n’arrivait pas à être heureuse alors qu’elle était entourée de tant de bonté.

Elle commença à marcher, soutenue par Kudo dont la voiture était garée au bord du trottoir à quelques mètres de là. Il lui offrit de la ramener chez elle. Elle accepta en se disant qu’elle devrait refuser. Le chemin qu’elle aurait dû faire pour rentrer chez elle lui paraissait infiniment long.

— Tu es sûre que cela va aller ? S’il te plaît, n’hésite pas à me dire s’il y a quelque chose, lui répéta Kudo sitôt qu’ils furent assis dans sa voiture.

Peut-être était-ce normal qu’il se fasse du souci en la voyant dans cet état.

— Ne t’en fais pas, ça va aller. Je suis vraiment désolée, répondit-elle avec un sourire, un effort qui lui parut surhumain.

Elle s’en voulait beaucoup, pour tout. Cela lui fit penser à quelque chose. Pourquoi avait-il tenu à la voir aujourd’hui ?

— Tu m’as dit que tu voulais me voir pour me dire quelque chose d’important, non ?

— Euh… oui, c’est vrai, répondit-il en baissant les yeux. Mais ça sera pour une autre fois.

— Tu es sûr ?

— Oui, dit-il en démarrant.

Yasuko regarda dehors en se laissant bercer par la voiture. Le soleil était couché, il faisait presque nuit. Elle aurait voulu que la nuit soit éternelle et que le monde cesse d’exister.

Il arrêta la voiture devant chez elle.

— Repose-toi bien, s’il te plaît. Je t’appellerai.

— Oui, répondit-elle en tendant la main vers la poignée de la portière.

— Attends ! jeta Kudo.

Elle se retourna vers lui et vit qu’il se passait la langue sur les lèvres en tapotant le volant. Il mit une main dans une des poches de son costume.

— Finalement, je crois que je veux te dire ce que j’avais à te dire.

— Quoi donc ?

Il sortit une petite boîte de sa poche. Elle comprit immédiatement ce qu’elle contenait.