Выбрать главу

— Je n’avais vraiment pas envie de jouer cette scène qu’on voit si souvent dans les feuilletons à la télé et j’espère que tu y verras une pure forme, expliqua-t-il en ouvrant la petite boîte.

Elle contenait une bague, ornée d’un diamant étincelant.

— Mais… fit-elle en le regardant, abasourdie.

— Je ne te demande pas de me répondre tout de suite. Tu dois penser à Misato, et aussi à ce que toi, tu veux faire. Mais je tenais à ce que tu saches que je suis sérieux. Je suis certain que je pourrai vous rendre heureuses toutes les deux. Il prit la main de Yasuko pour lui donner l’écrin. Tu peux l’accepter sans sentir que cela t’oblige à quoi que ce soit. Ce n’est qu’un cadeau. Mais si tu décides que tu veux passer le reste de ta vie avec moi, il prendra une autre signification. Tu veux bien y penser ?

Tout en sentant le poids de l’écrin sur sa paume, Yasuko était désorientée. Elle était tellement stupéfaite qu’elle n’avait même pas compris la moitié de ce qu’il venait de dire. Mais elle avait perçu l’essentiel. Et c’est précisément la raison pour laquelle elle était troublée.

— Je te demande pardon. Je suis allé trop vite, fit-il avec un sourire timide. Prends ton temps pour me répondre. Tu peux demander à Misato ce qu’elle en pense. Il referma l’écrin. Fais ce que tu veux.

Yasuko ne savait que répondre. Les idées se bousculaient dans sa tête. Elle pensait aussi à Ishigami – surtout à Ishigami ?

— Je vais… réfléchir, parvint-elle à lui répondre.

Il hocha la tête avec satisfaction. Elle descendit de sa voiture.

Elle le regarda s’éloigner et décida de rentrer chez elle. Elle jeta un coup d’œil vers la porte de son voisin au moment d’ouvrir la sienne. La boîte aux lettres débordait de courrier, mais elle ne vit pas de journaux. Ishigami avait dû suspendre son abonnement avant de se livrer à la police. Elle n’en fut pas étonnée : penser à tout devait lui être naturel.

Misato n’était pas encore rentrée. Yasuko s’assit et poussa un long soupir. Puis elle alla soudain ouvrir un tiroir de sa commode. Elle en sortit une boîte à gâteaux qui était tout au fond et en souleva le couvercle. Elle y rangeait les lettres qu’elle conservait, et elle prit une enveloppe tout en dessous de la pile. Elle contenait une feuille de papier à lettres couverte de caractères.

Ishigami la lui avait fait parvenir avant de l’appeler pour la dernière fois, en même temps que les trois autres lettres. Leur but était de prouver qu’il la harcelait. Les trois autres lettres se trouvaient actuellement entre les mains de la police.

La feuille de papier lui donnait des instructions précises sur la manière dont elle devait se servir des trois enveloppes et les réponses qu’elle devait apporter aux questions des policiers. Il y avait aussi des instructions pour Misato. Ses explications détaillées exprimaient sa prévenance pour Yasuko et sa fille, sa détermination à ne pas les laisser dans l’embarras. Grâce à cette missive, la mère et la fille avaient pu affronter les policiers sans aucune hésitation. Yasuko l’avait fait en pensant que si elle leur laissait voir qu’elle mentait, elle réduirait à néant les efforts qu’Ishigami avait faits pour elle. Misato s’était probablement dit la même chose.

Il avait conclu ses explications par ces lignes :

Il me semble que Kuniaki Kudo est un homme honnête qui mérite votre confiance. Si vous vous mariez avec lui, il est vraisemblable que vous et Misato trouverez le bonheur. Je vous prie de m’oublier. Vous ne devez pas vous sentir coupable. J’aurai agi en vain si vous n’avez pas une vie heureuse.

Les larmes affluèrent à ses yeux en relisant ces lignes.

Jamais personne ne l’avait aimée ainsi. Ou plutôt elle n’avait jamais imaginé que quelqu’un puisse aimer de cette manière. Sous son apparence indifférente, Ishigami recelait une extraordinaire capacité d’amour.

Lorsqu’elle avait appris qu’il s’était rendu à la police, elle s’était dit qu’il l’avait fait à leur place. Maintenant qu’elle avait écouté Yukawa, elle était encore plus émue par l’affection exprimée par Ishigami dans cette lettre.

Elle irait tout raconter à la police. Mais cela ne le sauverait pas. Il avait tué quelqu’un.

Son regard se posa sur l’écrin que lui avait donné Kudo. Elle l’ouvrit et contempla la bague. Puisque la situation était ce qu’elle était, peut-être devrait-elle envisager de saisir cette possibilité de trouver le bonheur, ne serait-ce que pour exaucer le souhait d’Ishigami. Comme il le lui avait écrit, y renoncer réduirait à néant son sacrifice.

Dissimuler la vérité était intenable. Comment pourrait-elle trouver le bonheur en le faisant ? Elle devrait passer le restant de ses jours en se sentant coupable, sans jamais connaître la sérénité. Mais si elle pouvait le supporter, elle parviendrait au moins à expier un peu sa faute.

Elle passa la bague à son doigt. Le diamant était splendide. Elle aurait été tellement heureuse si elle avait pu choisir Kudo le cœur pur. Mais c’était pour elle un rêve impossible. Le bonheur n’était pas pour elle. Ishigami, lui, avait le cœur parfaitement pur.

Son portable se mit à sonner au moment où elle remettait la bague dans son écrin. Elle regarda l’affichage qui annonçait un numéro qu’elle ne reconnut pas.

— Allô ! répondit-elle.

— Allô, vous êtes bien madame Hanaoka ? demanda une voix masculine qu’elle n’avait jamais entendue.

— Oui, c’est moi, fit-elle, assaillie par un mauvais pressentiment.

— Mon nom est Sakano, je vous appelle du collège de Morishita-Minami.

— Il est arrivé quelque chose à Misato ?

— Quelqu’un l’a trouvée inconsciente derrière le gymnase. Et… euh… il semble qu’elle se soit coupé les veines du poignet.

— Quoi ? s’exclama Yasuko en sentant son cœur frémir.

— Elle a perdu beaucoup de sang et elle a immédiatement été conduite à l’hôpital. Soyez rassurée, ses jours ne sont pas en danger. Cependant, il est vraisemblable qu’il s’agisse d’une tentative de suicide, et nous voulions que vous le sachiez…

Yasuko entendit à peine le reste des mots de son interlocuteur.

Le mur était plein de taches. Il choisit quelques points parmi elles et les lia tous mentalement par des droites. La forme qui émergea était un assemblage de triangles, de rectangles et de losanges. Puis il les peignit mentalement en quatre couleurs. Il voulait éviter que deux figures adjacentes aient la même couleur. Cela aussi, il le fit dans sa tête.

Il y parvint en moins d’une minute. Il effaça les formes de son cerveau et décida de recommencer en sélectionnant d’autres points. L’exercice n’était pas compliqué mais il ne s’en lassait pas. Lorsqu’il en aurait assez, il imaginerait des problèmes de géométrie analytique. Calculer les coordonnées de toutes les taches lui prendrait certainement un temps considérable.

Avoir perdu sa liberté physique ne changeait rien, pensait-il. Il lui suffisait d’un papier et d’un crayon pour faire des problèmes mathématiques. Et même si on devait lui entraver les jambes et les bras, l’empêcher de voir ou d’entendre, il pourrait continuer dans sa tête. Personne ne pouvait atteindre son cerveau. Il avait un paradis infini à sa disposition. Le filon des mathématiques était en lui et il n’aurait pas trop de sa vie pour l’exploiter.

Il se dit à nouveau qu’il n’avait besoin de la reconnaissance de personne. Son ambition avait été de publier des articles et de les faire évaluer. Mais l’essence des mathématiques était ailleurs. Savoir qui a gravi le premier un sommet est important, mais l’essentiel est que le pionnier comprenne ce qu’il a fait.

Il lui avait fallu du temps pour parvenir à cet état. Jusqu’à peu, la vie lui paraissait dénuée de sens. Les mathématiques étaient la seule chose qui comptait pour lui, et il ne voyait pas l’intérêt de continuer à vivre puisqu’il ne pouvait pas y consacrer sa vie. Il pensait chaque jour à mourir. Sa mort n’attristerait ni n’embarrasserait personne, pire, personne ne la remarquerait.