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— Je me demandais ce que vous alliez faire.

Elle ne comprit pas le sens de sa question.

— A propos de quoi ?

— Eh bien… continua Ishigami. Libre à vous de vous rendre à la police, si vous le voulez. Mais si vous n’en avez pas l’intention, je pense que je pourrais vous être utile.

— Mais… fit Yasuko, troublée, tout en s’interrogeant sur le sens de cette déclaration.

— Ecoutez, glissa doucement Ishigami. Puis-je venir vous voir tout de suite ?

— Euh… Non, ce… Cela m’ennuierait, dit-elle en sentant son corps se couvrir de sueurs froides.

— Madame Hanaoka, déclara Ishigami avec force. Une femme comme vous n’arrivera pas à faire disparaître le corps toute seule.

Interloquée, Yasuko se demanda comment il pouvait savoir ce qui était arrivé.

Il a dû entendre, se dit-elle. Il avait dû écouter ce qu’elle et sa fille venaient de dire. Ou peut-être les avait-il entendues pendant qu’elles se disputaient avec Togashi.

Elle accepta avec résignation l’idée que tout était perdu. La situation était sans issue. Elle allait devoir se rendre à la police. Elle ferait tout pour préserver sa fille.

— Madame Hanaoka, vous m’entendez ?

— Euh… oui. Je vous entends.

— Me permettez-vous de venir vous voir ?

— Euh… enfin… souffla-t-elle, le téléphone collé contre son oreille, en regardant sa fille.

La peur et l’inquiétude se lisaient sur son visage. Elle devait se demander à qui parlait sa mère.

Si Ishigami avait écouté ce qu’il venait de se passer dans l’appartement, il savait que Misato était mêlée au meurtre. S’il le disait à la police, les enquêteurs ne croiraient pas les dénégations de Yasuko, aussi véhémentes soient-elles.

Elle se prépara au pire.

— Entendu. Je voudrais d’ailleurs vous demander quelque chose, et ce serait très bien que vous passiez.

— Très bien. J’arrive, fit Ishigami.

Au moment où elle appuyait sur la touche “fin d’appel”, Misato lui demanda qui avait appelé.

— Le professeur qui habite à côté. M. Ishigami.

— Et pourquoi va-t-il venir ?

— Je t’expliquerai plus tard. Pour l’instant, va dans la pièce du fond, et ferme bien la cloison. Fais vite.

Misato eut l’air éberlué mais elle lui obéit. Elle tira la cloison derrière elle au moment où Yasuko entendit la porte de son voisin se refermer.

Il sonna. Yasuko descendit la marche de l’entrée pour enlever la chaîne de sécurité.

Elle ouvrit et vit Ishigami, qui avait une expression docile. Il portait à présent un survêtement bleu marine différent de ce qu’il avait tout à l’heure.

— Entrez.

— Je vous remercie.

Il passa dans le séjour pendant que Yasuko refermait la porte et souleva sans hésiter la nappe molletonnée de la table chauffante, comme s’il savait où se trouvait le cadavre.

Un genou à terre, il observa le corps de Togashi avec une concentration intense. Yasuko remarqua qu’il portait des gants de coton blanc.

Elle porta un regard rempli de crainte sur le corps. Toute trace de vie avait disparu du visage de Togashi. Une croûte dont il était impossible de distinguer s’il s’agissait de salive ou de saleté s’était formée sous ses lèvres.

— Est-ce que… vous nous avez entendues ? demanda Yasuko.

— Entendu ? De quoi parlez-vous ?

— De la conversation que j’ai eue avec ma fille. C’est ce qui vous a décidé à m’appeler ?

Ishigami tourna vers elle un visage imperturbable.

— Non, je n’ai rien entendu. Ces appartements sont étonnamment bien insonorisés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis installé ici.

— Mais alors, dans ce cas…

— Vous voulez savoir comment j’ai compris ce qui s’était passé ?

— Oui, fit Yasuko en hochant la tête.

Ishigami montra du doigt la boîte de conserve vide qui avait roulé dans un coin de la pièce. De la cendre était tombée sur le tatami.

— Lorsque je suis venu tout à l’heure, j’ai senti une odeur de cigarette. Je me suis dit que vous aviez de la visite, mais je n’ai pas vu de chaussures dans l’entrée. Et j’ai eu l’impression qu’il y avait quelqu’un sous la couverture molletonnée de la table chauffante alors que le cordon de la chaufferette n’était pas branché. Si vous aviez voulu cacher quelqu’un, vous vous seriez servi de la pièce du fond. Par conséquent, la personne sous la nappe molletonnée ne se cachait pas mais y était dissimulée. J’avais entendu des bruits qui faisaient penser à une querelle violente. En vous voyant décoiffée, ce qui est exceptionnel chez vous, je n’ai eu aucun mal à imaginer qu’il s’était passé quelque chose. Ce n’est pas tout. Il n’y a pas de cafards dans cet immeuble. J’y habite depuis longtemps et je suis bien placé pour le savoir.

Stupéfaite, Yasuko regarda ses lèvres bouger pendant qu’il fournissait cette longue explication d’un ton égal. L’idée que c’était celui sur lequel il enseignait les mathématiques à ses élèves lui traversa l’esprit.

Sentant son regard sur elle, elle détourna les yeux avec l’impression qu’il devinait ses pensées.

Il fallait qu’il soit très intelligent et terriblement flegmatique pour parvenir à de telles déductions après un seul regard sur la pièce depuis le seuil de l’appartement. Elle se sentait aussi soulagée. Ishigami ne donnait aucun signe d’avoir deviné les détails de ce qui venait de se passer.

— C’est mon ex-mari. Nous avons divorcé il y a plusieurs années, mais il n’a jamais cessé de me harceler. Il ne me laisse tranquille que si je lui donne de l’argent… Aujourd’hui aussi, c’est ce qu’il voulait et tout à coup, j’en ai eu assez, j’ai perdu mon calme…

Elle s’interrompit et baissa la tête. Elle était incapable de décrire la manière dont elle l’avait tué. Elle devait à tout prix trouver le moyen de laisser Misato hors de tout cela.

— Vous avez l’intention de vous rendre à la police ?

— Je ne crois pas que j’aie le choix. Cela me fait de la peine pour Misato qui n’a rien à voir avec toute cette histoire.

La cloison coulissante s’ouvrit pendant qu’elle parlait. Misato l’avait poussée sans hésitation.

— Je ne veux pas, maman. Je ne veux absolument pas que tu fasses cela.

— Misato, tais-toi !

— Non, je ne me tairai pas. Monsieur, écoutez-moi. Voici comment cet homme a été tué…

— Misato ! cria Yasuko.

L’adolescente baissa la tête et fixa sa mère d’un œil plein de ressentiment. Elle avait les yeux rouges.

— Madame Hanaoka, fit Ishigami d’une voix monocorde. Ce n’est pas la peine de me cacher la vérité.

— Je ne vous cache rien…

— Je sais que vous n’avez pas agi seule. Votre fille vous a aidée, n’est-ce pas ?

Affolée, Yasuko fit non de la tête.

— Mais que dites-vous ? J’ai agi seule. Misato est rentrée juste après… Juste après que je l’ai tué. Elle n’a rien à voir avec toute cette histoire.

Ishigami semblait cependant ne pas croire ce qu’elle venait de dire. Il soupira et regarda Misato.

— Je pense que votre mensonge fait de la peine à votre fille.

— Ce n’est pas un mensonge. Vous devez me croire, plaida Yasuko en posant la main sur son genou.

Il examina du regard sa main puis le cadavre. Il inclina la tête de côté.

— Le problème est de savoir ce que va penser la police. Je ne pense pas qu’elle puisse croire à votre mensonge.

— Pourquoi ?

Yasuko comprit trop tard qu’elle venait de reconnaître qu’elle ne disait pas la vérité. Ishigami désigna le corps de la main droite.

— Il a des hématomes sur les poignets et le dos des mains. En regardant bien, on discerne l’empreinte de doigts. Cet homme a dû être étranglé par quelqu’un qui était derrière lui, et il a essayé de toutes ses forces de défaire ce qui serrait son cou. Les hématomes montrent que quelqu’un a fait pression sur ses mains pour l’en empêcher. Cela saute aux yeux.