Выбрать главу

— Ah ! fit-elle. J’ai l’impression que mon enthousiasme et moi-même tombons plutôt mal ! Vous êtes ici incognito, sans doute ?

— Non puisque je me suis présenté. Seulement…

— Seulement il y a des moments où vous trouvez votre auréole lourde à porter ? Je me trompe ?

Merveille ! Cette Elena n’avait pas été fabriquée dans le même moule que les autres !

— Non. Vous ne vous trompez pas ! Je suis ici avec un ami…

— Votre autre vous-même, je pense ? L’égyptologue ?… Non, ne reprenez pas votre mine chagrine… et allons boire le bon café en parlant… de ce que vous voudrez !

— Et pourquoi pas de vous ? proposa-t-il, le sourire retrouvé. Une jeune femme aussi intelligente que belle est un présent du Ciel et je vous rends grâces !

— Dieu, que c’est agréable à entendre ! Cette fois on y va !

Et ils rentrèrent ensemble à l’hôtel.

Cependant, Adalbert jouait les frontaliers et, après quelques hésitations dues au fait que les chemins se ressemblaient fâcheusement et que les fermes isolées avaient toutes un air de famille, il avait fini par dénicher celle qui ne portait pas d’autre appellation, comme si elle était seule de son espèce. Peut-être parce que plus grande que ses sœurs, et qu’elle arborait à son faîtage un lion couronné qui était tout un programme. Ce fut donc vers là qu’Adalbert se dirigea, d’autant plus sûr de son fait que, dans la vaste cour, un homme jeune étrillait un magnifique cheval noir à la robe lustrée.

Il ne consentit à interrompre son travail que lorsque la voiture fut assez proche pour rendre nerveux le beau seigneur. Il fronça d’ailleurs les sourcils :

— Que voulez-vous ? lança-t-il rudement. Pirate est un pur-sang et ne supporte d’autre proximité que celle de son maître et de la mienne.

— Aussi n’est-ce pas mon intention de vouloir vous importuner, répondit Adalbert en stoppant son moteur. Si vous êtes Mathias Olger, c’est vous que je viens voir !

— Moi ? Et pour quelle raison ?

Descendu de voiture, Adalbert s’avança lentement :

— Je suis bien chez M. Hugo de Hagenthal ? engagea-t-il courtoisement.

— Oui, mais il n’est pas là ! Et si c’est moi que vous venez voir, je me demande où est le problème ?

— Sa présence pourrait vous être une aide dans l’épreuve que j’ai le regret de vous apprendre…

— Qu’il soit là ou non ne change rien à la chose ! Quelle nouvelle m’apportez-vous à la fin ?

— Vos parents ont été attaqués à la Seigneurie. Votre père est mort et je crains que votre mère ne…

Adalbert s’attendait à une réaction, une explosion de douleur ou n’importe quoi d’autre, mais ce ne fut pas comme il l’imaginait. Simplement, le regard de Mathias s’était élargi de stupéfaction et il appela :

— Frantz !

Un adolescent d’environ dix-sept ans sortit aussitôt de l’écurie.

— Préviens ta mère que je me rends à Yverdon, avec Monsieur. Mes parents ont été agressés et sont peut-être morts. Tu sais ce que tu as à faire ?

— Oui, Monsieur Mathias. Ce sera fait !

Prenant la bride du beau cheval, il le ramena dans sa stalle en courant et revint presque immédiatement avec un imperméable et des gants en expliquant que le portefeuille était dans une poche. Après quoi Mathias endossa le tout et monta dans la voiture d’Adalbert. L’action s’était déroulée si vite que celui-ci n’eut même pas le temps de réagir. Il le fit cependant quand son passager imprévu lui intima :

— Qu’attendez-vous pour démarrer ? Conduisez-moi à Yverdon ! Je veux les voir !

En d’autres circonstances, Adalbert eût sans doute émis des protestations car il détestait qu’on lui donne des ordres, surtout venant d’un parfait inconnu, mais au fond les choses ne s’arrangeaient pas si mal puisqu’il allait tenir à sa merci le garçon qu’il était venu interroger : entre la Ferme, quasi frontalière, et Yverdon, il y avait suffisamment de kilomètres pour causer.

Malheureusement, vu le profil buté que lui opposait son passager, ce n’était guère encourageant. Il ne savait trop comment entamer la conversation quand, sans tourner la tête vers lui, Mathias articula :

— Comment les a-t-on tués ?

— Poignard ! La gorge pour votre père, le dos pour votre mère qui tentait de s’enfuir.

— Qui a fait ça ?

— Comment voulez-vous que je le sache ? La police d’Yverdon vous en apprendra davantage… quoiqu’elle n’ait pas l’air d’avoir inventé l’eau tiède. Parce que l’un de mes amis leur a rendu visite en début d’après-midi, ils ont conclu tout de suite à sa culpabilité…

— Qu’est-ce qui vous prouve qu’ils n’ont pas raison ? Il voulait quoi, votre ami ?

— Savoir où se trouve M. Hugo de Hagenthal. Mais ne vous emballez pas, vous aussi : mon ami était chez eux en début d’après-midi, et au moment où ils ont été assassinés il était en gare de Pontarlier, attendant le train de Paris…

— Si c’est lui qui le dit, ce peut être un mensonge. Qui est cet homme ?

— Je vous le dirai après et, pour ce qui est de la gare…

— Si c’est lui qui le prétend, je ne vois pas pourquoi on le croirait, et vous allez me dire…

— Rien du tout tant qu’on ne sera pas arrivés ! Je n’ai nulle envie de me casser la figure en votre compagnie. Cela posé, je consens à vous apprendre qu’il s’agit d’un officier de la police judiciaire française…

— Et ils l’ont cru ? ricana Mathias. Si c’est un Français lui aussi, son histoire est cousue de fil blanc et les loups ne se mangent pas entre eux !

— Oh, vous commencez à me chauffer menu, mon garçon, et j’ai une forte envie de vous planter là ! Quelques kilomètres à pied vous feraient le plus grand bien ! Un, mon ami est vénitien, et deux, l’inspecteur Durtal n’est pas de ceux qu’on achète. Même très cher ! Vous vous en rendrez compte quand vous le verrez !

— C’est une opinion, ce n’est pas une preuve, et si…

Un coup de frein brutal et Adalbert arrêtait sa voiture au bord de la route puis allongeait le bras et ouvrait la portière :

— Descendez ! intima-t-il.

— Que je…

— Vous avez parfaitement compris  ! Je vous ai dit de descendre ! Continuez donc à pied pour vous calmer ! Quant à moi, j’en ai assez de vous entendre dérailler à propos de tout et de rien !

— Rien ? La mort de mes parents ? On voit qu’il ne s’agit pas des vôtres !

Il y avait des sanglots dans sa voix et le bon cœur d’Adalbert y fut sensible. Comme néanmoins son passager allait descendre, il le retint par le pan de son imperméable :

— J’aurais dû garder ça présent à l’esprit, bougonna-t-il, et je vous offre mes excuses, ajouta-t-il en redémarrant. Mais je ne veux plus vous entendre avant Yverdon ! Vous raconterez votre histoire au commandant Schul… machin ! Je n’arrive pas à imprimer son nom !

— Schultheis ! C’est le grand patron… et c’est lui qui s’en occupe ?

— Étant donné la gravité de l’affaire, cela me paraît normal, non ?

— Oui. Vous avez raison !… Au fait, vous vous appelez comment, vous ?

— Adalbert Vidal-Pellicorne ! Égyptologue.

— Et vous trouvez que Schultheis est difficile à prononcer ?

À leur surprise commune, ils furent introduits sur-le-champ dès l’énoncé de leurs identités, et le pli soucieux s’était en partie effacé du front du policier :