— J’ai de bonnes nouvelles pour tous les deux, commença-t-il en leur indiquant deux chaises. D’abord, Mme Olger, votre mère, a survécu à ses blessures !
Le visage de Mathias s’illumina :
— Vrai ? Je peux aller la voir ?
— On vous y conduira dans un moment…
— Et mon père ?
— Malheureusement, là, il n’y a pas eu de miracle. Une gorge tranchée cela ne pardonne pas, et je vous offre toutes mes condoléances !
— Les miennes aussi ! murmura Adalbert en écho.
— En revanche, Mme Olger a, selon les médecins, une bonne chance de vivre encore de nombreuses années. La lame mortelle a dévié, évitant l’irréparable. Et elle se souvient de ce qui s’est passé…
Se tournant alors vers Adalbert, il ajouta avec un sourire :
— Je crois que je vais vous rendre le passeport du prince Morosini. En outre, veuillez présenter mes excuses à l’inspecteur Durtal ! Et… mais cela je le ferai moi-même !
Tandis qu’une voiture de police emmenait Mathias à l’hôpital, le commandant Schultheis remettait à Adalbert les papiers d’Aldo.
— Dites-lui mes regrets, mais dans l’état où se présentait l’enquête, je pouvais difficilement agir autrement.
— Puis-je savoir qui l’a dénoncé ?
— Non. Comprenez-moi ! Au point où nous en sommes… et de l’humeur où je vous vois, je craindrais trop d’être obligé de vous mettre en taule à votre tour pour voies de fait !
— Et cela vous ennuierait ?
— Plus que vous ne pensez !
— En ce cas, coincez-le vous-même, et selon sa punition, je verrai ce que je peux faire ! J’ai horreur des « cafardeurs ». Tout petit, j’étais déjà comme ça !
On se serra la main en riant et Schultheis ouvrit la porte pour laisser passer son visiteur, quand un homme, visiblement furieux, se précipita à l’intérieur et manqua de peu la collision :
— Cette fois, la coupe est pleine, vociféra l’arrivant. Je comprends maintenant comment la Suisse s’arrange pour être toujours un modèle de propreté : elle balance tranquillement ses détritus chez les voisins sans plus se demander ce qu’ils en pensent ! Seulement il arrive que lesdits voisins en aient par-dessus la tête et… tiens ? Vidal-Pellicorne ! Qu’est-ce que vous faites là, mon vieux ?
L’intrus n’était autre, en effet, que Lothaire Vaudrey-Chaumard, tellement en colère que c’était tout juste si la fumée ne lui sortait pas par les naseaux. Le commissaire, d’ailleurs, ne cacha pas son accablement :
— Monsieur le Professeur ! Encore vous !
— Encore moi, oui ! Et ce n’est pas fini ! La prochaine fois que je trouve les ordures de Sainte-Croix, ou d’ailleurs, sur mes terres des Fourgs, je les charge dans un camion et je viens les déverser devant votre porte au beau milieu de cette belle cité d’Yverdon ! C’est un peu commode, tout de même ! (Puis, se tournant sans transition vers Adalbert :) Comment se fait-il que vous soyez ici alors qu’on ne vous a pas vu à Pontarlier ? Vous êtes venu par avion ?
— Non. Par la route, mais j’avais une urgence ici… cependant, je comptais bien aller saluer Mademoiselle Clothilde et vous-même en repartant !
— Vous êtes seul ?
— Non. Morosini est là aussi… enfin, pas ici même…
— Où donc alors ?
— À Sainte-Croix, à l’hôtel de France où je retourne maintenant !
— Je règle ça et j’y retourne avec vous. Vous comprendrez sans peine…
— Messieurs, Messieurs ! intervint Schultheis sur un ton laissant entendre que sa réserve de patience s’épuisait. Je conçois que vous ayez plaisir à vous revoir, mais ceci est mon bureau et pas un salon. Donc, j’aimerais autant que vous alliez poursuivre votre conversation dans un lieu plus adéquat : la salle d’attente par exemple, où M. Vidal-Pellicorne pourrait patienter un instant pendant que j’en termine avec le Professeur ?
— Volontiers ! consentit Adalbert qui n’avait aucune envie de se mettre à dos le policier. Au revoir, M. le commissaire, et encore merci ! Je vous attends à côté, Professeur ! Prenez votre temps !
— Mais n’abusez pas du mien ! grommela le Suisse.
Adalbert n’en attendit pas moins plus d’un quart d’heure jusqu’à ce que reparaisse Vaudrey-Chaumard, apparemment calmé.
— Alors ? demanda-t-il. Vous avez obtenu satisfaction à ce que je vois ?
— Si l’on veut. Schultheis va prévenir les douaniers. Ce sont eux qui sont responsables de la ligne frontière, et on verra par la suite ! À présent, je vous emmène à Sainte-Croix récupérer Morosini et vos bagages, puis je vous reconduis à la maison ! Clothilde va être folle de joie !
— Soyez gentil de lui laisser le temps de se retourner, disons jusqu’à demain ? Pour ce soir, il vaut mieux que nous restions à l’hôtel, Aldo et moi. Nous… nous avons un problème dont il faut que nous parlions avant de reparaître à Pontarlier. On vous expliquera, mais…
— Bon, bon ! Ne vous tourmentez pas. On est amis et les amis peuvent tout comprendre. Vous êtes en voiture, je suppose ?
— Bien entendu !
— Alors, je vous laisse rentrer. J’ai une ou deux courses à faire pour ma sœur !… Demain à midi ?
— C’est d’accord… mais en attendant, ne dites à personne que nous venons et…
Il hésita à poursuivre. Si visiblement que Lothaire demanda avec une douceur bien inattendue de sa part :
— Il est si grave que ça, le problème ?
— Sincèrement, oui !
— On verra ça demain mais, en attendant, n’oubliez pas que nous sommes « vos amis », conclut-il en appuyant sur les deux mots, et que quand « nos amis » ont des soucis, il nous arrive même de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !
Avant de quitter Yverdon, Adalbert fit un détour par l’hôpital. Il lui paraissait normal de savoir si Mathias voulait qu’on le ramène chez lui, mais le jeune homme lui répondit qu’il resterait cette nuit auprès de sa mère si, par malheur, son cas s’aggravait subitement. Il avait prévenu, au téléphone, Gertrude qui assumerait la bonne marche de la maison…
Rassuré de ce côté-là, Adalbert regagna Sainte-Croix.
En pénétrant dans l’hôtel, le premier coup d’œil d’Adalbert lui montra Aldo assis au bar en compagnie d’un verre, contenant très certainement une fine à l’eau, et d’un journal déployé, qu’il épluchait avec une attention soutenue. Ce que voyant, Adalbert, qui avait soif, subtilisa le verre, en avala le contenu et confisqua le journal… Naturellement, celui qui le lisait réagit !
— Qu’est-ce que… ah ! C’est toi. Tu ne pouvais pas te commander un verre ?
— Si ! Et c’est ce que je vais faire de ce pas. J’ai la langue tapissée de papier buvard !
En réponse, Morosini se tourna vers le barman en formant le chiffre deux avec ses doigts.
— Quelles nouvelles ?
Adalbert sortit le passeport de son ami et le jeta sur la table
— D’abord ça ! Tu ne seras pas renvoyé sur la paille humide des cachots !
— Ils ont trouvé l’assassin ?
— Non. Ils sont seulement sûrs que ce n’est pas toi, et tu devrais remercier le Ciel.
— Qui est-ce ?
— Tu m’écoutes, oui ? Je viens de te dire qu’ils savent que ce n’est pas toi. Faut pas en demander trop à la fois. Tu es disculpé, c’est le principal !
— Comment est-ce possible ? Surtout si vite ?
— Georg est bien mort, lui, mais sa femme n’a été que blessée, sérieusement, pourtant elle devrait s’en sortir et elle est lucide. Elle accuse un prêtre inconnu, nettement plus petit que toi. Donc, nous voilà tranquilles de ce côté !