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« L’homme ! » signala Trilobite, depuis la crête des vagues. « J’ai trouvé un homme ; peau tannée, épaules larges, appareil génital d’un adulte mâle. Il entre dans l’eau, avec des mouvements furtifs. Il jette des regards craintifs par-dessus son épaule. Il plonge. Un melon vient à la surface. »

__. « Pourquoi s’enfuit-il des jardins ? »

— « Je l’ignore. Je vois toujours les mêmes maches, les Jardiniers, en train de s’occuper des récoltes. Aucun signe de poursuite. »

— « À présent, ne perds pas l’homme de vue. » Trilobite voleta de vague en vague jusqu’au melon flottant. Il scruta le fond de la mer : le sable formait une pente jusqu’à une corniche, à six brasses de profondeur, où palpitait un dôme vivant et rempli d’air. Il plongea et riva ses senseurs au sommet du dôme. Le pont, dans la poche d’air, était occupé par deux humains. Ils faisaient cuire des légumes dans une marmite posée sur le réchauffeur. L’un d’eux était le mâle musclé de la plage, l’autre, plus âgé, portait une robe en lambeaux et de gros écouteurs sur sa tête hirsute. Des festons de fils électriques couraient sur le plafond.

« Cela ressemble à un système d’écoute. Donne-moi les dimensions, je vais calculer sa longueur d’onde, » dit Rorqual.

Trilobite salua le vieil homme dans divers dialectes anciens. L’auditeur arracha ses écouteurs et se mit à gesticuler frénétiquement. Le jeune homme encore ruisselant d’eau se leva vivement. Il tendit quelques fruits au vieillard et serra le reste dans un sac lesté d’une pierre. Il avala quelques gorgées de la soupe qui bouillait dans la marmite, puis sortit du dôme, nageant vigoureusement tout en remorquant son sac. L’homme aux écouteurs s’accroupit dans ses multiples épaisseurs de robes et plaça un solide javelot sur ses genoux. Il paraissait attendre quelque chose. Trilobite le salua à nouveau. Pas de réponse. Le cyber se risqua à descendre. En le voyant, le vieil homme se dressa d’un bond, agitant son javelot d’une façon menaçante.

« Continue, » dit Rorqual. « Ta forme lui suggère sans doute l’idée d’un danger. Il devrait changer d’attitude en entendant ta voix. »

Dans un remous d’eau clapotante, Trilobite émergea à l’intérieur de la poche d’air, auprès du pont flottant. Sa voix vibrante résonna par sa membrane sonique abdominale : « Bonjour. Je m’appelle… »

Le javelot passa avec un bruit sec à côté de son optique droit, qui se renfonça dans son orbite. Il battit en retraite.

« Es-tu abîmé ? »

— « Légèrement. Une lentille enfoncée. Je peux la réparer. »

La voix de Rorqual tremblait de faiblesse, et d’excitation aussi à la pensée de retrouver l’homme : « D’après mes observations, ces bipèdes semblent humains. Visite le plateau. Trouve leur chef et parle-leur de moi. S’ils ont besoin de moi, il faut que je sois prêt. »

— « Oui, mon dieu. » Il ne fit pas allusion au fading. Leur quête avait pris fin. Il avait réussi. Il remit en place sa lentille endommagée et s’avança vers le dôme le plus proche. Deux humains s’enfuirent à la nage à son arrivée. À l’intérieur, il découvrit deux petits et une femelle aux yeux écarquillés. Une pluie d’ustensiles ménagers s’abattit sur ses plaques dorsales. « Je viens en paix ! » La mère cria, puis ses cris devinrent des hurlements. Un des petits était tombé du pont et coulait dans l’eau profonde. Il manœuvra de façon à se glisser sous l’enfant, puis remonta doucement et le déposa sur le pont, sain et sauf. Le petit détala avec un cri aigu, plongea et s’enfuit en nageant. « Mais je suis ton ami ! » L’autre petit, manifestement affaibli par la malnutrition, était incapable de nager. La mère lui faisait un rempart de son corps. Tous les deux étaient terrifiés. Trilobite se retira et alla inspecter d’autres dômes. Il y avait en tout une douzaine d’aquatiques, formant une troupe disséminée et affamée. « Ils refusent de me parler, ô dieu ! Les plus forts m’attaquent. Les faibles s’enfuient. »

— « Tu es une machine. Peut-être ont-ils des raisons de te craindre. Va prendre de la nourriture dans les jardins et offre la leur. De toute évidence, ils en ont besoin. »

Le disque de Trilobite se dilata de manière à pouvoir contenir environ un boisseau de légumes. Il se déplaça avec précaution, se rappelant la peur dans les yeux de l’homme lorsqu’il s’était enfui ; mais les jardins ne semblaient receler nul danger. Une Moissonneuse le fixa un moment, mais ne lui adressa pas la parole.

« Ils se sont sauvés. »,

— « Quoi ? »

— « Pendant que j’étais dans les jardins, les aquatiques se sont enfuis. J’ai fouillé chaque dôme, mais tous sont vides à présent. Les bulles d’air se ratatinent et les réchauffeurs ralentissent. J’ai laissé en offrande des aliments sur chaque pont flottant. Dois-je essayer de les poursuivre ? »

— « Oui. Et emporte de la nourriture. Tâche de gagner leur amitié et leur confiance. »

Trilobite flaira la piste afin de retrouver les traces de l’homme. Il tomba sur deux mâles à la carrure impressionnante, qui gardaient un dôme, armés de javelots. « Ils forment sans doute l’arrière-garde. Cela semble indiquer l’existence d’une structure sociale. Voyons s’ils acceptent mon offrande. »

En se maintenant prudemment à bonne distance, il lâcha quelques fruits charnus, rouges et jaunes, qui montèrent jusqu’au bord du pont où se tenaient les deux hommes. Il s’éloigna précipitamment pour éviter un javelot. Il contourna le pont flottant et offrit un melon. À nouveau, l’hostilité.

« Peut-être devrions-nous leur donner des graines, » suggéra Rorqual. « Ils redoutent les jardins du continent, et ont cependant besoin de se nourrir. Propose-leur de les aider à ensemencer ces îlots arides, ils pourront ainsi subvenir eux-mêmes à leur alimentation. »

Trilobite analysa les produits qu’il détenait, mais ne trouva aucune graine. Le pain-tubercule au goût de navet (Peucedanum ambiguum) était surmonté de verdure et de fleurs stériles. De même pour les carottes et les cardons. Les grains insipides du Vitis opaca, qui ressemblait au raisin, étaient aspermes, tout comme les autres variétés d’agrumes : kumquat, citron, cédrat et pomelos.

« Les Agrimaches ont fait plus que rendre les aquatiques dépendants de leur travail. Les plantes aussi dépendent d’elles pour la reproduction ; ces végétaux sont des prisonniers, privés de leurs organes sexuels. Pas étonnant que les îlots soient nus ! »

Rorqual était triste. « Mais ces deux mâles sur le radeau… ils ont des organes sexuels, eux. Ils sont libres de se reproduire. Ils n’ont besoin que de nourriture. Parle-leur de moi. Offre-leur notre aide. »

— « Je vais faire une nouvelle tentative, » dit Trilobite. Il approcha lentement avec de la musique, des chants et des présents.

« Oui ? »

— « Je ne parviens pas à leur faire comprendre. »

— « Contourne-les. Ne leur fais pas de mal. »

Il remonta comme une flèche, renifla la piste, et replongea, ayant repéré les traces subtiles d’humains. Il tomba sur la cellule familiale amoindrie, la mère et ses deux petits. Elle nageait avec force, ses enfants accrochés à son cou et à sa taille ; mais ses brasses ne l’amenèrent pas à la prochaine ombrelle à air. Elle faiblit. Un jeune, apeuré, d’un poids de trente-cinq kilogrammes, sortit de l’ombrelle et vint la chercher. Il la prit par le poignet pour la remorquer. Un des petits, saisi de convulsions, glissa de sa taille. Il partit à la dérive, en se débattant. Trilobite s’élança et le recueillit. Il était à dix brasses de fond. Il commença à remonter.