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Larry Dever hurlait dans les ténèbres, étouffé par des fluides amers et granulés. Cette seconde résurrection ne ressemblait en rien à la première. Des vagues de douleur et de torpeur parcouraient son système nerveux, cependant que d’autres vagues, tangibles celles-là, montaient à l’assaut et menaçaient de le noyer. Il se débattit, moitié nageant, moitié grimpant, et parvint à tenir son menton hors de l’eau suffisamment longtemps pour reprendre son souffle. Des lumières dansaient au loin. Six pinceaux lumineux qui annonçaient l’approche d’une grosse machine bruyante et d’une équipe d’hommes masqués. Des masques volumineux et grotesques.

Le hurlement de Larry s’étrangla dans sa gorge nouée. Il fit une nouvelle tentative, mais les cris d’angoisse et les clapotis qui montaient autour de lui couvrirent sa voix. Sa main glissa sur un visage froid, enfoncé dans l’eau, la bouche ouverte et couvert de vase. Il essaya de se maîtriser et d’aspirer profondément. Les lumières se rapprochèrent et il remarqua que les hommes ne portaient aucun secours aux corps qui se tordaient. Ils se contentaient de les trier, et d’en enfourner certains dans la gueule avide de l’énorme machine qui les accompagnait.

« Pas beaucoup de viande sur celui-là, » les entendit-il dire. « Enfin une calorie ; c’est une calorie. » Le corps qu’ils manipulaient semblait inanimé, mais Larry ne put en être sûr. Il se traîna pour se mettre hors de leur chemin, en maudissant sa faiblesse. Sa faiblesse ? Son mannequin n’était plus là. Un faisceau lumineux se braqua sur lui.

« Du calme, » dit le ramasseur de protéines derrière son masque. « Laissez-moi d’abord vous débrancher, sinon vous allez arracher vos tubes à perfusion. » Une main rude immobilisa son tronc douloureux tandis qu’une autre retirait les cathéters vasculaires d’une boutonnière pratiquée en bas et à gauche de sa cage thoracique.

« En voici un vivant, » fit un autre travailleur. « Est-il en état pour la Réadaptation ? »

— « Non, je ne crois pas, » dit le premier. « Pas de jambes, mais robuste. Les gaz toxiques ne l’ont pas encore endommagé. »

C’est alors que Larry prit conscience que ce goût amer ne provenait pas seulement des fluides. L’air aussi était acre. Il lui brûlait la gorge et les poumons, et avait une forte saveur métallisée. La main brutale le remorqua à travers les hauts fonds et l’abandonna, trempé, nu et grelottant dans un corridor. Des centaines de corps jonchaient le sol, aussi loin que portait son regard. La plupart paraissaient respirer, mais c’était tout ce qu’ils pouvaient faire. Parfois s’élevait un gémissement. Un assistant vêtu de blanc évoluait parmi eux, prenant des notes et vérifiant les plaques d’identité.

« Par ici, » appela Larry.

L’assistant s’avança, et la fixité de son regard vide glaça Larry plus que la froideur du sol. Pareil à un zombi amputé de son âme, il baissa les yeux sur Larry, semblant regarder à travers lui. Il griffonna une carte et lui tourna le dos, s’éloignant déjà. Les lèvres minces n’avaient pas bougé.

« Attendez… Je suis toujours vivant. »

— « Et alors ? » dit l’assistant par-dessus son épaule, « ça regarde le Comité du Corridor. »

Larry cessa de s’agiter et rampa dans un coin pour chercher un peu de chaleur. Le couloir parsemé de corps s’étirait sur environ quatre cents mètres, mais des échos lui révélèrent l’existence de passages latéraux. Il tremblait de froid. Le sommeil l’engourdit.

Un murmure de voix et de machines le tira de cet état pré-comateux. Il vit le Réanimateur orangé s’approchant sur ses larges roues souples, administrant sur son passage électrochocs et stimulants. Cinq vieillards en robe de satin étaient perchés sur le dos de la mache, assis autour d’un tableau garni de lecteurs et d’imprimantes. Ils se penchaient sur les visionneuses, les yeux plissés dans leur visage ridé, et posaient leurs questions routinières et dépourvues d’intérêt d’une voix monocorde, qui se perdait dans les cris perçants des patients réveillés par les sondes électriques et les piqûres de la mache. Il y eut une distribution d’effets et de fioles en plastique. La mache cueillit l’Identoplaque de Larry.

« Je ne comprends pas le codage de votre plaque, Larry… euh !… Dever, » dit l’homme du Comité. « Êtes-vous resté très longtemps en suspension ? »

Larry hocha la tête, redoutant que le son de sa voix n’attire d’autres vautours.

« Il a le regard vif et semble alerte, » émit le second membre du Comité. « Avons-nous des indications sur sa spécialité ? »

— « Sa plaque ne s’adapte pas même à notre déchiffreur. Que faites-vous ? »

Larry réfléchit à toute vitesse. Sa spécialité ? « Où est mon mannequin ? » demanda-t-il. « Si je pouvais participer et me mettre à jour, je saurais laquelle de mes compétences répondrait le mieux à vos besoins. »

— « Mannequin ? » De nouveau ces regards vides. Deux des Citoyens piquèrent du nez et s’endormirent, en bavant sur leurs combinaisons.

— « Mannequin était mon cyber-compagnon, mes jambes. Renseignez-vous auprès d’OLGA. Mes gènes ont une grande valeur. J’attends de nouveaux progrès scientifiques prolongeant la découverte du Sage de Todd. »

Un autre membre du Comité s’assoupit. Le premier se penchait à présent sur Larry, examinant le corps nu et tronqué. « Mais… vous n’avez plus de jambes. Vous êtes handicapé ! »

Les autres se mirent à s’agiter et à chuchoter entre eux.

« … Paraît assez intelligent, mais les directives sont nettes. La Société ne peut le laisser souffrir… Préférable de lui donner un flacon de Paix Rouge et le mettre dans un couloir latéral. »

Les effets qu’on lui remit consistaient en une robe de grossier papier avec une ceinture en corde. Le flacon lui parut alléchant jusqu’à ce qu’il ait déchiffré l’inscription minuscule : « Liqueur euthanasique. »

Les roues souples tournèrent d’un cran et le Comité examina le corps suivant. L’Identoplaque s’adaptait au déchiffreur.

« Nom ? Profession ? Infirmité ? Paix Rouge. »

Larry contempla les corps qui l’entouraient. Les drogues les avaient réveillés, mais peu firent l’effort de passer leur robe. La plupart la roulèrent en boule pour se faire un oreiller et commencèrent à boire à leur fiole plastique, à petites gorgées. Le liquide roug paraissait les revigorer. Si c’était mortel, et l’étiquette prouvait que ça l’était, ils mourraient heureux – et beaucoup plus tard. Larry enfila sa robe sur son tronc et se servit de la ceinture pour en nouer le bas en un gros pompon. Ayant ainsi protégé ses parties sensibles, il se mit à ramper doucement le long d’un couloir latéral, vers les bruits de la cité.

« Excusez-moi, » dit Larry. Quelqu’un avait surgi derrière lui et avait trébuché sur son corps. C’était une femme, du même âge que lui à peu près. Elle portait une blouse verte et propre. Ses traits étaient doux. Ses cheveux étaient relevés en un rouleau serré. Il essaya de capter son regard, mais il avait la même fixité que celui de l’assistant.

— « Vous devriez avoir honte, vieillard ! » cracha-t-elle.