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Trilobite se mit à envoyer des pulsations silencieuses.

L’Homme aux écouteurs arracha son appareil, fronça les sourcils et se frotta les oreilles.

« Qu’y a-t-il ? » demanda Opale, les yeux rivés au dôme transparent. Des vagues scintillaient sous le soleil à moins de deux mètres au-dessus du toit.

— « On dirait que leur émetteur a explosé. »

Elle prit un écouteur et le tint à plusieurs centimètres de sa joue. Les pulsations se poursuivaient, et elle entendit les cliquetis qui lui donnèrent des picotements dans la main. « Non. Il fonctionne toujours. Ça ressemble à un signal. Leur dieu a-t-il répondu ? »

— « Non. Se pourrait-il qu’ils appellent les patrouilles de la fourmilière ? »

— « Je ne crois pas. Ils m’ont l’air de fugitifs tout à fait ordinaires, affaiblis et couverts d’abcès. Les chasseurs n’ont jamais utilisé de méthodes de camouflage, à ma connaissance. »

L’Homme aux écouteurs acquiesça. « Alors, tu leur fais confiance ? »

Opale hésita. « Nous n’avons encore jamais fait confiance à une machine. »

— « Nos dômes sont des machines, » lui rappela le vieillard.

— « C’est différent. Nous avons grandi avec eux. Les Prêtres des Abysses nous ont mis en garde contre les machines qui se déplacent. La fourmilière s’en sert pour nous faire la chasse. Toute machine peut être l’œil de la fourmilière. »

Ils reprirent l’écoute.

La moitié de la journée s’était écoulée avant que la réponse n’arrive. La voix n’était pas familière. Elle provenait de l’écliptique. « Oui ? »

— « Dieu, nous te prions de nous envoyer un signe. »

— « Que veux-tu ? »

— « Deux évadés de la fourmilière sont avec moi. Les habitants des eaux refusent de leur donner asile tant que nous ne leur aurons pas fourni une preuve que nous sommes à ton service. »

— « Ils ont contacté leur dieu ! » s’exclama l’Homme aux écouteurs. Opale prit un des récepteurs.

— « Quel genre de preuve ? » demanda la voix.

— « De la nourriture. Ils veulent que tu rendes aux mers leur fertilité. Que tu ramènes les poissons, et tout ce dont se nourrissent les poissons : le plancton, les algues, les coquillages… »

Larry donna une tape affectueuse au cyber. « Bon travail ! » murmura-t-il. « Continue. »

Trilobite poursuivit avec gravité : « Leur peuple meurt de faim. Ce sont de braves gens, dignes de ta générosité. Viens vivre avec nous dans la mer. »

— « J’arrive. »

Trilobite et le gros Har tremblaient d’excitation.

— « Mon dieu va reprendre la mer. Il devrait être là dans cinq ou six jours si tous ses systèmes fonctionnent. Vous l’aimerez, j’en suis sûr. Il est grand, fort et d’une sagesse qui dépasse l’imagination. Il nous emmènera autour de la Terre… »

— « Chut ! Voici l’Océanide, » dit Larry.

Le gros Har se leva respectueusement à l’approche de la femme au cou robuste. Son corps ruisselant était lisse et musclé, avec de petits seins très écartés. « Bienvenue, » dit-elle en souriant. « Nous avons entendu votre dieu. C’est merveilleux ! J’espère que vous resterez avec nous et nous laisserez soigner vos blessures. »

— « Nous n’avons besoin que d’un peu d’eau et de nourriture, » dit Larry, parlant doucement pour ne pas effrayer la naïve sauvage. « Nous partirons dès que nous aurons retrouvé nos forces. Nous ne voulons pas vous être à charge. »

Opale contempla le gros Har. « Ce n’est pas un problème. Je suis sûre que les Prêtres des Abysses voudront vous rencontrer. Cela prendra du temps. Comment vous appelez-vous ? »

— « Har. »

— « Eh bien, Har, ramassez votre petit ami et je vais vous montrer comment descendre jusqu’à notre demeure sous la mer. »

Har hésita. La mer paraissait houleuse, froide et salée. Leurs abcès leur faisaient mal.

« Elle a raison, » dit Trilobite. « Mon signal de détresse a dû alerter la moitié des maches côtières. Nous devons nous mettre à l’abri rapidement avant que les patrouilles n’arrivent. »

Larry fixa le cyber-pelle, interloqué. « Tu viens avec nous ? »

— « J’attends mon dieu. » Ses lampes-témoins reflétaient une ardeur nouvelle. « La mer est mon domaine. »

Larry, le visage crispé, agrippa la queue de Trilobite et ils plongèrent vers le dôme. La pression lui comprimait les sinus. Il se hissa sur le pont flottant en toussant et en reniflant. La première chose qu’il vit fut la tignasse hirsute de l’Homme aux écouteurs.

« Je m’appelle Larry. »

L’Homme aux écouteurs se contenta de fixer en silence l’homme-tronc. Il n’avait encore jamais vu d’homme incomplet vivant. Dans l’hostile environnement marin, les amputations même sans gravité entraînaient la mort, par manque de nourriture. La rareté des denrées ne permettait pas la charité. Le gros Har et Trilobite les rejoignirent. Opale chercha des ustensiles dans le réchauffeur et se mit à examiner le dos de Har. Les lésions anciennes étaient profondes, mais propres – des ulcères en forme de fiole. Elle découvrit plusieurs abcès récents et pas encore crevés contenant des larves n’ayant pas atteint la maturité. Elle les perça, fit couler les fluides troubles et extirpa les parasites tenaces. Har se soumit à ses soins ; Larry se déroba.

« De nouveaux abcès se formeront encore dans les jours à venir à mesure que de nouvelles larves arriveront à maturité. Nous les ouvrirons dès que nous les verrons. Comme ça, ils ne se développeront pas suffisamment pour faire des dégâts importants. » Elle se tourna vers Larry, mais il la repoussa. Elle lui donna son assortiment d’instruments acérés en pierre, en bois et en coquillage. « Essayez de faire sortir tous les corps étrangers, » dit-elle.

Larry grogna et écarta les outils. Il marcha sur les mains jusqu’à Trilobite et se percha sur le disque de la mache. Tandis qu’il ruminait sombrement, il remarqua son reflet sur la paroi brillante du dôme : celui d’un homme pâle, couvert de protubérances, mangé par les mouches. Il fit une grimace. Il avait vu des pelletées de fumier ayant meilleur aspect. Quel gâchis répugnant ! Et il souffrait d’anémie. Son plasma avait une teneur en protéines d’environ la moitié de la normale.

« Pourquoi fais-tu tant de difficultés ? » lui demanda Har.

Larry n’en savait rien.

« Laisse Opale jeter un coup d’œil à ton dos ; il est dans un pire état que le mien. »

Larry eut un geste penaud et laissa Opale l’approcher. Elle versa de l’eau salée sur son dos et frotta pour nettoyer les plaies à vif. Le sérum suinta. Elle tailla et fouilla les chairs ; il le supporta tant qu’elle ne s’en prit qu’à son dos. Mais lorsqu’elle ouvrit une fistule profonde dans son cou, elle lui fit mal. Son visage trahit la douleur. Elle s’activa, pour essayer d’en finir avant qu’il n’ait atteint les limites de sa résistance. Une larve était enfouie profondément sous le cuir chevelu, contre l’os. Elle sonda la plaie avec douceur, inquiète de la trouver si étendue.

« Je crois que celle-ci a creusé l’os, » dit-elle. « Mais je l’ai eue. À présent, essayez de vous reposer. Je vais vous chercher de l’eau potable. Votre bouche semble affreusement desséchée, et votre langue doit être comme du carton. »

Larry remit sa robe et la remercia.

Il se traîna jusqu’au bord du pont flottant et attendit. Cela faisait longtemps qu’une femme ne s’était pas intéressée à sa personne, et cela le mettait mal à l’aise. Elle ne pouvait vraisemblablement pas comprendre les opérations qu’il avait subies. Elle alla jusqu’à la paroi latérale creusée de rainures qui convergeaient vers une coupe. Dans celle-ci s’écoulait de l’eau douce, produite par condensation. Elle offrit la coupe à Larry. Il but à longs traits. Après l’eau de vidange et la saumure, cela lui paraissait délicieux.