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« Il ne reste plus qu’à peu près quarante grammes de tissu rénal ici. »

— « Ici aussi. Il devra rester à l’abri des organismes à Gram négatifs. Il serait bon qu’il passe à l’Épurateur Sanguin deux ou trois jours par semaine. »

— « L’épine dorsale semble O.K. au-dessus de la Lombaire-deux. Il y laissera quelques fibres de son dermatome, les somites L-trois et L-quatre, mais ça devrait être réparable. »

La chambre de Larry était gaie et lumineuse. Par la large fenêtre, il voyait la cité limitant l’horizon, à travers une treille fleurie. L’un des murs était fait de pierre brute, inégale, et couvert de plantes grimpantes ; il y avait même une cascade bruyante. L’autre mur était un miroir, sans tain pensa-t-il, pour qu’on puisse l’observer à son insu. Le mur derrière la tête du lit était couvert de télémètres. Il arrangea son oreiller et fixa, entre ses pieds engourdis, la fenêtre illustrée. Il sourit. Moins de vingt heures après son accident, il était à nouveau entier. La peau, les os, les muscles, les reins, les intestins et les nerfs, tout était recousu et commençait à se souder.

« Je suis navré de vous informer que la Ceinture n’a pu être sauvée, » dit Mahvin, le Psychtech. « La pression subie était trop forte pour les éléments amorphes de ses circuits – les matières vitreuses – et surtout pour les semi-conducteurs, si fragiles, et les chalcogénides. Elle a disparu à jamais. »

Larry s’attendait à cela. « Je ne crois pas avoir les moyens de payer… »

— « Nous n’avons aucun souci à nous faire à ce sujet, » dit Mahvin en souriant et en entrecroisant ses longs doigts mous. « Vous êtes à présent considéré comme handicapé, temporairement, nous l’espérons, et vos dettes sont à la charge de la Société. L’emprunt que vous avez contracté pour la Ceinture a été amorti. On vous procurera un Niveau de Vie de Première Classe et des allocations Récré. Je m’occuperai de tout. »

Mahvin ponctuait chaque phrase d’une petite tape trop chargée de sollicitude sur le bras de Larry. Il roulait les mots sur sa langue comme s’ils avaient eu une saveur particulière.

— « Combien de temps serai-je… euh !… handicapé ? »

— « Très peu de temps. Très très peu, » sourit Mahvin.

— « Des jours ? Des mois ? » implora Larry.

— « Je ne suis pas du Bio, » dit suavement Mahvin. « Vos guérisseurs, eux, possèdent toutes les données. Pourquoi ne le leur demandez-vous pas ? Je viendrai chaque jour voir comment vous allez. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il vous suffira de remplir une de ces fiches de demande. »

« Mes pieds. Je ne sens toujours pas mes pieds ! » dit Larry. L’équipe Neuro avait passé à son chevet presque toute la matinée. Huit semaines s’étaient écoulées depuis la réparation chirurgicale et peu de chose avait changé depuis le premier jour. Un tech avait placé un réseau de senseurs sur ses jambes insensibles et son pelvis. Ses muscles tressaillaient sous les stimulations galvaniques et faradiques, mais il ne sentait rien. Un imprimé prolixe délivré par la mache confirma leurs soupçons : régénération de la moelle épinière : négative.

« Le signe de Tinel fait toujours défaut, » dit le tech.

Les membres de l’équipe rajoutèrent des notes sur les imprimés.

— « Mes pieds ? »

— « Je crains qu’on ne puisse espérer une plus grande amélioration. Normalement, les nerfs périphériques se régénèrent d’un millimètre ou deux chaque jour, mais, dans votre cas, le système nerveux central est touché ; et les tissus du S.N.C. ne paraissent pas guérir de façon satisfaisante. Les fibres régénératrices sont retenues par le tissu cicatriciel. Nos examens révèlent une boule de fibres hyperplastiques névrogliques au niveau de la L-deux. Rien ne passe au-delà. »

Larry considéra ses pieds flasques, blancs et déjà enflés par les fluides qui s’y accumulaient du fait de son inactivité.

— « Mais regardez mes dermatogrammes, » plaida-t-il. « Mon épiderme redevient sensible peu à peu. J’ai déjà dix ou douze centimètres de peau… »

— « Je suis désolé, mais il s’agit des nerfs périphériques au-dessus de la ligne de suture. Ils se raccommodent toujours très bien dans des cas comme le vôtre. C’est la moelle épinière qui nous pose un problème. »

— « Mais l’opération a très bien réussi. Je suis parfaitement guéri. Mais j’ai besoin de mes nerfs pour marcher et pour contrôler ma vessie et mes intestins. Je ne peux pas rester allongé comme ça dans une mare d’urine et d’excréments, et encombré par toute cette viande morte. J’ai déjà des escarres. »

— « La réponse serait une hémicorporectomie. »

— « Je deviendrai un presse-papiers ? »

— « Oui. On peut retirer la « viande morte », comme vous dites. »

Larry, abattu, resta silencieux.

« Ce ne serait pas si terrible, » poursuivit le Neurotech. « On vous donnerait un mannequin, un corps artificiel doté d’une personnalité de compagnon-mache et de puissants muscles d’androïde. Des convertisseurs en ferrite, je crois. Vous ne seriez plus cloué sur ce lit. Il y aurait des organes pour l’épuration du sang ; les fonctions intestinales et celles de la miction seront également automatiques. À mon avis, ce serait une réelle amélioration. »

Larry hocha la tête. N’importe quoi serait une amélioration par rapport à son état présent.

Les équipes s’affairaient autour de la table d’opération.

« Que faisons-nous de la partie qui… qui est en trop ? »

— « Pourquoi ? »

— « Est-ce qu’il dort ? »

— « Oui. »

— « Eh bien, il y a ici un ramasseur du service Embryo. Ils ont besoin d’organes vivants pour des cultures tissulaires et des greffes expérimentales. »

— « Laissez-leur le bas du torse ; mais assurez-vous qu’il est bien étiqueté, au cas où quelqu’un voudrait faire de nouveaux tests. »

Trente kilos de chair et d’os quittèrent la salle d’opération, assortis de la mention Larry Dever.

La révision du tronçon restant se poursuivit.

« Coupez le cordon médullaire en dessous de l’amas de tissu cicatriciel. Greffez ce segment d’os iliaque transversalement à la base de l’épine dorsale. »

On procéda à la mise en place d’un anus et d’un urètre artificiels ; on pratiqua les incisions dans les muscles droits à angle vif afin que le muscle abdominal puisse faire office de sphincter. On déplaça la ligne de suture pour l’éloigner des points d’appuis en dessous de la colonne vertébrale et de la cage thoracique.

Larry se réveilla, assis dans un fauteuil près de la fenêtre illustrée, les genoux couverts d’un châle douillet. Mais les genoux n’étaient pas les siens, non plus que les cuisses robustes. Sa tête et ses épaules surmontaient un androïde d’une taille légèrement au-dessus de la moyenne : son mannequin. Larry grogna et essaya de gratter la ligne de suture. Elle était enfouie dans le torse de la mache, derrière les épaisses plaques constituant la poitrine.

« Cela te gêne ? » dit le mannequin. « Je crois que je peux arranger ça. » Des calmants s’ajoutèrent aux fluides de l’Épurateur de Sang. Presque instantanément, Larry se sentit mieux.

— « Merci. »

Le mannequin se leva lentement, avec précaution. « C’est l’heure de nous coucher, tu ne crois pas ? » Les jambes vigoureuses le portèrent à quelque distance de la fenêtre. Il fut tenté par un assortiment de liquides clairs, des herbes distillées aux arômes de fleurs, de grain ou de fruits. Il en sirota juste assez pour s’humecter la bouche, et fit un somme.