« Ce sont des dômes d’épousailles, » dit Opale. « Nous pouvons attendre ici pendant que Trilobite explorera le banc rocheux. L’air est très riche et va peut-être vous étourdir un peu, mais cette ivresse sera légère si nous ne restons pas trop longtemps. »
Les humains se dirigèrent vers les dômes d’épousailles tandis que la mache en forme de pelle entreprenait la traversée du gouffre. Au bout de deux cents mètres, un fort courant la fit dévier. Elle évalua sa dérive et essaya de calculer ce qu’elle serait pour les humains. Elle était uniquement horizontale. On ne pouvait donc pas changer de niveau. Sur le banc rocheux, elle découvrit de nombreux dômes vivants. Tous étaient convenablement emplis d’air. Les coupelles murales étaient pleines d’eau douce. Elle nota l’emplacement de plusieurs dômes sur sa carte mentale et rebroussa chemin.
« Pourquoi appelle-t-on ces dômes « dômes d’épousailles » ? demanda Larry.
— « C’est ici que nous nous accouplons, » répondit Opale, négligemment. « Celui-ci est réservé aux hommes. Là-bas, c’est le dôme des femmes. »
Sa vie d’Entre-les-Murs avait laissé à Har sa neutralité psychologique. Ses connaissances en ce qui concernait la reproduction humaine se limitaient aux cinq catégories de permis de naissance, dans le système propre à la fourmilière. Son hétérosexualité ne s’était pas encore affirmée. « Les hommes ici et les femmes là-bas ? » répéta-t-il.
Larry était manifestement déconcerté, lui aussi. Et la qualité excessive de nitrogène dans l’air commençait à lui tourner la tête. « Les dômes doivent être à une trentaine de mètres l’un de l’autre. Comment le sperme pourrait-il franchir cette distance… à moins que le courant ?… » Il gloussa.
Har avait un air somnolent. Il agita gauchement un bras. « Un jet de trente mètres. »
— « Comme faisaient les palourdes de mon temps, » dit Larry en s’esclaffant.
— « Vous deux, vous avez trop respiré cet air dense. Nous ferions mieux de retourner au niveau six pour que vous vous dégrisiez, » dit Opale d’un ton sentencieux.
Trilobite revint et leur fit un rapport détaillé. « Le trajet dure au moins dix minutes. Opale et moi, nous prendrons la corde, et vous, Larry et Har, vous n’aurez qu’à vous laisser remorquer tranquillement. Nous nous arrêterons deux minutes au niveau sept pour nettoyer vos capillaires sursaturés d’oxygène. »
Le convoi pénétra à nouveau dans le dôme d’épousailles. « Appuie ton petit doigt contre mon optique afin que je puisse contrôler la saturation en oxygène, » dit la mache. Larry inspira profondément et rapidement, jusqu’à ce que le vertige le prenne. « Ça suffit pour toi, Larry. Encore une inspiration et nous partirons. »
Trilobite les entraîna hors du dôme ; Opale se mit à nager à sa façon lente et régulière. Le gros Har empoigna la corde et ferma les yeux avec force. Quand ils rencontrèrent le contre-courant, Larry se sentit déporté par l’eau froide. Il essaya de ne pas penser aux dangers que représentait la pression au-dessus et au-dessous de lui – le bleu givré et le noir boueux. Devant eux, le paysage rocailleux se précisait lentement. Encore cinq minutes. Il fut soulagé en s’apercevant qu’il n’avait même pas encore pensé à respirer. Il regarda Har derrière lui. Le géant avait ouvert les yeux et souriait.
« Nous avons réussi, et sans difficulté ! » s’écria Larry.
Opale acquiesça et inspecta le dôme. « Mais c’aurait été plus pénible s’il n’y avait pas eu cette poche d’air. Il aurait fallu que je stimule le dôme et retourne au dôme d’épousailles d’une traite. Et j’aurais peut-être eu à le faire plusieurs fois avant que le dôme se remplisse d’air. Ces aller et retour de vingt minutes peuvent être épuisants, et dangereux aussi. »
Larry fit sur les mains le tour du pont flottant. « Ça me paraît plutôt propre. Aucune trace de précédents habitants. Qui l’a rempli d’air ? »
— « Sans doute un des Prêtres des Abysses, après qu’ils nous eurent donné la carte. Ils ont dû envoyer quelqu’un pour activer le dôme et nous rendre la traversée plus aisée. »
Har s’assit et étudia la carte. « Il doit y avoir plus d’une douzaine de… »
— « Une vingtaine de nouveaux dômes, » dit Opale. « Nous allons pouvoir établir un nouveau Relais au niveau deux et ranimer quelques-uns des dômes les mieux situés pour notre propre usage. »
Larry remarqua que l’expression d’Opale se faisait pensive et douce lorsqu’elle s’adressait à Har. Il alla jusqu’au bord du radeau, en se dandinant sur les mains, et sauta dans l’eau.
— « Trilobite et moi, nous allons visiter quelques-uns des dômes du niveau quatre. »
Har était stupéfait. « Ne devrions-nous pas plutôt nous rendre directement au Relais ? Nous aurons besoin de nourriture… »
Opale lui toucha l’épaule. « Nous pourrons nous occuper de cela plus tard. Nous avons à parler. »
Elle expliqua que Har était tenu de choisir une compagne, sur-le-champ, ou presque. Les Océanides étaient pressés par le temps, pour les calories autant que pour la reproduction. On manquait d’hommes, et, dès que ses abcès seraient guéris, toutes les femmes seules seraient à ses trousses.
— « Je comprends, » dit-il. « J’ai vu ces enfants rachitiques. Mais ne t’en fais pas. Je viens de la fourmilière, et je ne la crains pas. Ses Citoyens sont faibles et craintifs. Ils ne pourront pas défendre leurs jardins contre moi. Rien qu’en m’entendant crier, ils mourront de peur. »
Opale sourit. « Es-tu déjà allé dans les jardins ? »
— « Non. »
— « Tu as beaucoup à apprendre. Ces machines diaboliques peuvent te tuer. Elles m’ont pris mon premier compagnon. Mon père et mon frère sont aussi morts là-bas. »
Le visage de Har exprimait le doute et la réflexion. « Mais ils n’étaient pas aussi grands que moi, n’est-ce pas ? »
— « Mon frère était plus grand. Il était parti depuis trois jours. Il est revenu avec une flèche dans le ventre, et il est mort au Relais. Maintenant, je dois aller moi-même dans les jardins, pour nourrir mon fils. C’est très dangereux. »
— « Ton fils ? »
— « Palourde. Il est élevé et éduqué par les Prêtres des Abysses. Tu le rencontreras. »
— « Je serai ton nouveau compagnon, et je vous nourrirai, toi et ton fils, » dit Har avec assurance. Opale sourit. « Tu le pourras quand tu seras prêt. »
— « Har est prêt, maintenant. » D’un geste maladroit mais doux, il caressa le muscle pectoral qui saillait entre ses seins, petits et écartés.
— « Il y a quelque chose que je dois t’expliquer… » Il continua à caresser son corps, en utilisant autant que sa mémoire le lui permettait ce qu’il avait retenu du permis classe un de la fourmilière (parents humains, incubatrice humaine, libre choix du partenaire).
« Nous ne pouvons pas nous accoupler ici, » dit-elle.
— « Pourquoi ? »
— « Il n’y a pas de dôme d’épousailles. » Har fronça les sourcils. « La coutume ? »
— « Le rite, » corrigea-t-elle. « Les Océanides s’accouplent sous l’eau pour prouver la tonicité de leur système sympathique et l’intégrité de leur myoglobine. »
— « Mais nous sommes sous l’eau… »
— « Sous l’eau ! » dit-elle. « Sous et dans l’eau. Le… euh !… l’acte doit s’accomplir entièrement dans l’eau. »
— « Mais pourquoi ? On est bien ici, il fait chaud et sec… »