Les pieds étaient tout près. Un caillou roula contre sa cuisse. Sa main trouva une pierre, et il bondit. Le chasseur recula en chancelant et tomba. Son arc heurta le sol avec fracas. Palourde leva la pierre et frappa la tête casquée, encore et encore. Les grosses lunettes se bosselèrent. L’un des verres devint grisâtre.
Palourde entra dans le Relais et posa fièrement le casque cabossé aux pieds de l’Homme aux écouteurs.
« Je suis allé dans les jardins et je reviens avec de la nourriture. J’ai mis à mort notre ennemi. »
L’Homme aux écouteurs leva les yeux vers le plafond transparent et vit l’ombre étirée d’un radeau de fibres tressées et de melons rattaché au jeune garçon. « C’est bien, Palourde. Tu es un homme. » C’était la façon rituelle de reconnaître les exploits accomplis par un adolescent. « Mets des pierres dans le radeau jusqu’à ce qu’il coule. Amène-le à l’intérieur du dôme avant que les engins du diable ne le repèrent. »
Tandis que Palourde amenait le lest, le vieillard à la tignasse hirsute sortit ses outils et se mit en devoir d’examiner le casque. Il le mit sur sa tête. Des voix retentirent à ses oreilles. Des voix venant de la fourmilière. « Donnez votre emplacement, » disaient-elles. « Pressez le bouton commandant le retour. » Il ôta le casque et le plaça sur une étagère, d’un geste plein de vénération. Les hublots le dévisageaient fixement. « Il vit encore, » murmura-t-il.
Le gros Har rencontra Opale sous une ombrelle du deuxième niveau. Elle toussait et se tenait le côté.
« Je suis montée trop vite, » dit-elle, penaude. « Mon fils Palourde a quitté les Prêtres des Abysses depuis deux jours. Ils pensent qu’il se rendait dans les jardins. Je dois essayer de le retrouver. »
Har mit un bras protecteur autour de son épaule. « Tu mets en danger la vie de l’autre enfant, le nôtre, celui qui va naître. Tu dois rentrer au niveau quatre et y rester jusqu’à ce que la douleur soit passée. Est-ce que tu y arriveras ? »
Elle toussa. « Et Palourde ? S’il a besoin de moi ? »
— « Tu ne lui seras d’aucun secours dans cet état.
Je vais t’aider à plonger. Puis j’irai voir au Relais. Nous le retrouverons. »
Des filets de sang rosissaient ses crachats. La douleur dans son flanc la faisaient se plier en deux. « Tu as raison, mon compagnon. Je ferais comme tu me diras. »
Har passa la corde de halage par-dessus son épaule gauche et la posa sur le cal qui s’était formé sous les frottements répétés : une bourse séreuse couverte de peau épaissie. La poche emplie de fluide faisait une sorte de rembourrage à la fibre rugueuse. La douleur disparut quand ils atteignirent l’air comprimé. Elle sourit et lui fit un signe de la main tandis qu’il retournait au niveau deux.
Deux jeunes hommes, membres de la famille Crustacé, le croisèrent sur le chemin du Relais. Ils remorquaient une abondante cargaison de fruits.
« Quand Palourde mange, tout le monde mange ! » cria le jeune Océanide dans son euphorie. Le pont flottant de L’Homme aux écouteurs était encore surchargé et inondé par les produits des jardins. « Je pourrais remplir ce dôme jusqu’au plafond. »
Har exmina la flèche. Il avait déjà vu des enregistrements optiques de Chasses, au cours des émissions récréatives, mais il n’avait aucune idée de la taille et du poids réel de la flèche. Les larges barbelures le surprirent. « Et une balle d’herbe a arrêté ça ? »
Palourde sourit, heureux de raconter une nouvelle fois son histoire. « Oui. Les seules marques que j’en garde, ce sont ces égratignures sur ma poitrine. » Là, au milieu du sternum, il y avait une meurtrissure en forme d’étoile : une blessure mortelle si la flèche s’était enfoncée.
— « Quelle quantité d’herbe ? »
Palourde arrondit les bras. Har hocha la tête.
« Et le chasseur, était-ce un Citoyen de taille normale ? »
Palourde ne savait pas quelle était la taille moyenne des Citoyens. Il se leva et baissa sa paume horizontalement, à mi-hauteur de sa poitrine, environ un mètre vingt.
Har hocha la tête. C’était la taille normale. « De quoi avait-il l’air, sans son casque ? »
— « Petit, mou et blanc. Pas de menton. Pratiquement pas d’os. Il s’est cassé quand je lui ai sauté dessus. »
Har enjamba un tas de cosses de haricots et s’assit à côté de l’Homme aux écouteurs. L’arc, la ceinture et la trousse du chasseur étaient étalés devant eux. Sur son étagère, le casque aux yeux vides les contemplait. Har s’empara de l’arc et regarda dans le viseur. Les fils du réticule luisaient. Il tendit la corde, et la profondeur du foyer changea, lui indiquant la portée de l’arme. « Ingénieux, » dit-il, en montrant le mécanisme au vieillard. Ils passèrent en revue les différentes pièces de l’équipement, sans y comprendre grand-chose.
« Je crois que nous devrions détruire ces choses, puisque nous ne sommes pas sûrs de leur fonctionnement, » dit Har. « Les instruments de la fourmilière sont souvent très petits et extrêmement ingénieux. L’un de ces objets pourrait guider les chasseurs droit vers nous. »
L’Homme aux écouteurs acquiesça. « Pour le moment, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Écoute le casque. Ils ne savent même pas que leur guerrier est mort. »
Har se coiffa de l’appareil. La voix était monotone et répétitive ; la voix d’une mache. « C’est son vaisseau qui l’appelle. »
Le silence se fit dans le dôme cependant que tous les yeux se dirigeaient vers le plafond. Au-dessus, le soleil étincelait à travers deux brasses d’eau limpide. Le ciel semblait vide.
L’Homme aux écouteurs prit le casque. « Peut-être me sera-t-il possible de dire à quelle distance il se trouve. »
D’autres Océanides arrivèrent et reçurent leur part du butin de Palourde. Har ramassa une plaque de circuits de la ceinture. Palourde entreprit de remplir un filet de denrées de choix spécialement mises de côté pour Opale.
L’Homme aux écouteurs se rembrunit et tendit le casque à Har. « Je reçois quelque chose sur toutes les fréquences. Quelque chose de bizarre. Je n’ai jamais rien entendu de pareil. »
Har écouta pensivement. « Cela ressemble plus à de la musique qu’à une interférence. » Il passa d’un canal à l’autre. C’était partout la même chose. « Je crois que c’est simplement le transmetteur qui marche mal… »
— « Dans ce cas-là, le réseau aussi. J’obtiens la même chose ici, » dit l’autre, qui avait coiffé ses énormes vieux écouteurs. « Et cela devient plus fort. »
Le murmure des conversations s’éteignit ; les Océanides qui triaient les fruits s’arrêtèrent et levèrent la tête.
« Ils l’entendent également… »
Har bondit sur ses pieds. « Je n’aime pas ça du tout ! Vite ! que tout le monde sorte du dôme ! Allez au niveau cinq. Allez ! Plongez ! »
Une seconde plus tard, le dôme était vide. Quelques melons se détachèrent et montèrent à la surface.
C’était enfin la réponse à la prière de Trilobite, depuis longtemps oubliée, qui arrivait dans une pluie d’étoiles qui emplissait le spectre électromagnétique de musique et les mers de plancton.
Le panache rutilant du météore alluma le ciel nocturne. Rorqual éprouva un élancement dans son système auditif à longue distance. Des champignons de feu explosaient sur l’océan obscur, grêlant sa surface. Korqual perdit conscience lorsqu’il eut dépassé le seuil de capacité de ses senseurs. Il téta des isotopes d’hydrogène H majuscule – à même la mer pour alimenter ses feux ventraux, dont l’intensité augmentait. Ses forces lui revinrent. Il se plia et se tortilla comme un ver pour libérer ses flancs de la vase qui l’emprisonnait. Sa coque s’emplit de chaleur. Ses disques oculaires s’élevèrent au-dessus de l’olivine qui l’avait aveuglé et contemplètent le lagon. Les eaux s’étaient modifiées. Les spectres qui se formaient étaient voilés par le nano-plancton.