Выбрать главу

Le Batteur désigna la sonde, Zone V. L’enfant disait la vérité.

— « De quoi te souviens-tu ? Quel était le sujet qui causait des difficultés à Stewart ? »

ARNOLD se contenta de hausser les épaules. L’écran présenta une série de lettres : H L G A V I S… L T M G P T A T… Les lèvres d’ARNOLD remuaient silencieusement. Son front se creusa d’un pli de réflexion. « Oui… je m’en souviens à présent ! »

Le Batteur exhala un bruyant soupir.

ARNOLD récita : « Hétéro libidineux, gare aux vierges instantanément séduites. Le travailleur moyen graduellement polarisé trime avec ténacité. »

Sur l’écran, qui avait capté ses paroles, s’imprimèrent les premières lettres de chaque mot : HLGA-VIS… L T M G P T A T. Un « signal d’alarme » rouge se mit à clignoter après la dernière lettre, indiquant que cette formule était confidentielle.

— « Et que veut dire cela ? » demanda gravement le président.

ARNOLD haussa les épaules. « Il faudrait que je revoie la liste originale. Je n’avais regardé que les initiales. Pas besoin d’autre chose pour fabriquer un aide-mémoire. Ça m’amuse de trouver des mnémoniques. Si vous voulez savoir de quels mots il s’agissait, vous pourriez le demander à Stew. Il s’en souvient sûrement. Je crois bien que c’est un sujet que je n’ai pas étudié. »

« Zone V, » dit le Batteur, d’un ton encourageant. « Ne peut-on le laisser partir ? »

Le président acquiesça. « Inutile d’approfondir le sujet en sa présence. Faites-le sortir ! »

« Cette suite d’initiales est gravée dans sa tête. Ce n’est qu’une question de temps pour… »

Le Batteur le coupa : « Mais ce n’est qu’un bébé ! Il ne peut quand même pas installer un labo clandestin… »

— « C’est un ARNOLD, et il a presque cinq ans, » dit le capitaine de la Sûreté. « Regardez l’écran. Il connaît l’ordre de motilité des quinze acides aminés. Il ne lui manque que le secours d’un Biotech et un équipement de base pour l’électrophorèse et la chromatographie. »

Le Batteur resta silencieux tandis que l’écran comblait les espaces vides derrière chaque initiale :

HLGAVIS/LTMGPTAT : HISTIDINE, LYSINE, GLYCINE, ALANINE, VALINE, ISOLEUCINE, SERINE/LEUCINE, THRÉONINE, MÉTHIO-NINE, GLUTAMATE, PHÉNYLALANINE, TYRONSINE, ASPARTATE, TRYPTOPHANE.

« Avec son procédé, il lui serait facile de se rappeler cette liste, » insista l’homme de la Sûreté.

— « Mais il a dit la vérité, » protesta le Batteur. « Il ignore la signification de ces initiales. »

— « Pour le moment !… » ajouta l’autre sinistrement.

— « Nous allons procéder au vote, » intervint le président. « Ceux qui sont partisans de le jeter au vide-ordures ?… Ceux qui sont contre ? Il y a ballottage. Je vais devoir départager. » Il jeta un regard à la ronde. « En considération du prix de revient des ARNOLD, je ne peux le faire transformer en protéines, pas pour l’instant. Mais, pour garantir la sécurité de la fourmilière, il faudra l’enchaîner lorsqu’il sera dans une cité. Mettez-lui les chaînes ! Au cou, à la taille, aux chevilles, aux poignets. »

Le gros Har et Opale emmenèrent leur petite famille à la chasse aux moules. Utilisant les informations données par les Prêtres des Abysses, Palourde nageait en tête, en direction de l’île qui bornait l’horizon. Har scruta les profondeurs : il ne vit que l’obscurité de la pleine mer.

« L’océan pourrait aussi bien être sans fond. Je n’y vois rien. »

Opale vérifia la position du soleil. « Nous n’avons pas nagé assez longtemps encore. Nous devrions d’abord tomber sur une galerie de métro en ruine. »

Le petit Cabillaud et sa sœur Ventre Blanc folâtraient en arrière. Tous deux présentaient la pigmentation caractéristique de la nouvelle génération d’Océanides : des taches de rousseur marquaient leur dos davantage exposé au soleil pendant le jour. C’est ce qui avait valu son nom à Ventre Blanc.

— « C’est ici ! » cria Palourde.

La galerie était rendue opaque par l’écume qui la recouvrait. Ils ne voyaient que des nuées de minuscules crevettes et de cyprins argentés. Rien ne montrait que la chaîne alimentaire sessile s’était reformée.

— « Les récifs commencent à environ cinq minutes d’ici, » dit Opale.

Cabillaud et Ventre Blanc s’élancèrent à la poursuite de Palourde. Ils barbotèrent pendant quatre cents mètres, puis plongèrent. Opale les rejoignit tandis que Har se débattait avec le chapelet de calebasses qui faisaient offices de flotteurs. La corde d’ancrage s’emmêla plusieurs fois, mais il en lâcha finalement une vingtaine de mètres. Elle toucha le fond. Il plongea à une dizaine de mètres en s’accrochant à la corde. Les membres de sa famille le croisèrent : ils remontaient vers la surface. Il remonta aussi et les aida à attacher aux flotteurs les sacs qu’ils portaient à la ceinture. La pêche avait été bonne et les bivalves menaçaient de faire sombrer les calebasses.

« Il serait préférable d’en manger quelques-uns, » dit Opale, en fourrageant dans son sac. Elle faisait la planche, ses petits seins écartés pointés vers le ciel. Elle posa un bivalve sur le muscle saillant au-dessus de son sternum et le frappa avec sa pierre à concasser. Trois coups vigoureux, qui firent voler des éclats.

Une chair blanche et parfumée suinta de la coquille brisée. Elle l’en extirpa avec ses dents et la partagea avec Har. Ventre Blanc tenta d’imiter sa mère, mais ne réussit qu’à se faire un bleu. Palourde se mit à ouvrir des moules et en donna à sa sœur et à son frère. Ils mangèrent, firent une nouvelle récolte, et remangèrent. Opale, rassasiée, s’endormit, flottant sur le dos. Ses rejetons continuèrent à grignoter et à explorer le récif prodigue. Un à un, ils cessèrent leurs plongées et sommeillèrent sur les vagues qui les berçaient doucement. Le gros Har faisait le tour du groupe pour éviter qu’ils ne se dispersent, mais cette précaution s’avéra inutile. Instinctivement, ils restaient à proximité les uns des autres, en battant doucement des mains tout en dormant. Au crépuscule, ils regagnèrent leur archipel.

Le jeune ARNOLD boucla son harnais tandis que les ouvriers chargeaient sa voiture à deux roues. Son surveillant lui tendit un épais croûton de pain aux quinze acides aminés. Il passa les courroies sur ses épaules. Les roues crissèrent. Il lui faudrait deux heures de course pour atteindre le sommet de la spirale.

Les Citoyens faisaient déjà la queue devant le Distributeur lorsqu’il arriva. La pression avait encore diminué, et ils auraient été contraints de descendre jusqu’à la base du puits pour prendre leur ration de calories sans ARNOLD, pour qui ces courses constituaient un entraînement.

« Tu as réalisé un bon temps, ARNOLD, » dit l’ouvrier qui avait voyagé dans la voiture. Il descendit et tendit à ARNOLD un fruit acide jaune-quatre pour rafraîchir sa gorge barrée par un épais mucus.

ARNOLD s’accroupit sans quitter son harnais, tout en mâchant cette friandise. Il n’avait que six ans, mais déjà la taille du Citoyen moyen. Les muscles puissants de ses mollets saillaient après cette séance d’entraînement. Bientôt, il serait soumis à un autre entraînement, en vue de travailler dans le chantier naval, lui avait-on dit. Il s’agissait d’un travail important : déblayer les détritus rouilles. Il était un ARNOLD d’une grande intelligence. Il comprenait tout très vite. Ses mentors n’avaient pratiquement plus besoin d’employer le fouet, à présent.

Cette nuit-là, il dormit sous son chariot, devant le dock de chargement. Il avait toute la place pour s’étendre. Les ouvriers de quart ne faisaient presque pas de bruit. Ses chaînes neuves étaient confortables, longues et légères, un nouvel alliage. Les surveillants lui donnaient du pain six fois par jour. La nourriture était riche. Il se développait rapidement.