NOUVELLE LEPTOÂME : COQ DE COMBAT.
Clic ! ARNOLD le coq de combat était toute vaillance testiculaire et tout éperons de fer. Les journées passées à s’entraîner en secret dans le réduit avaient durci ses muscles et renforcé son souffle. Cent fois par jour, il avait été projeté en l’air par la main. À chaque fois, il était retourné sur son appui de fenêtre, pour surveiller sa basse-cour. Son régime avait éliminé de son corps l’excès d’eau et de graisse : douze grains de maïs, de la viande hachée cuite, de la laitue hachée, du germe de blé, du miel et du beurre de cacahuète. Lorsqu’on fixa les éperons de fer sur ses ergots, il sut que quelqu’un allait mourir. Des odeurs de sang, de tabac et de whisky lui apprirent que d’autres mains étaient là, avec leurs coqs. Il s’installa confortablement dans les bras de son soigneur en attendant l’heure du combat. On le plaça dans la fosse avec un Bordeaux. Par deux fois, ils remontèrent et enfoncèrent le fer dans la chair. Chaque fois, on les sépara avec douceur et on les remit dans la fosse. De l’air frais rentrait par une longue fracture osseuse. Au troisième tour, le fer pénétra dans son crâne et sa vision s’obscurcit. Il ne voyait plus le Bordeaux, et se contenta d’attendre lorsque la main lâcha ses faucilles. Quand le Bordeaux attaqua, il sentit l’air déplacé par ses ailes. Il sut exactement où il se trouvait.
ARNOLD s’avança, piquant des éperons. Il sentit les aiguilles du Bordeaux s’enfoncer dans son ventre et son aile gauche. Tardivement, ses éperons broyèrent le cartilage et percèrent le cœur. On les sépara, et cette fois on le prit dans les bras et la main le caressa. Il entendit les dernières quintes de toux du Bordeaux.
Les poules étaient à lui. Quand ses blessures furent cicatrisées, il fut mis dans un enclos avec trois poules grivelées extrêmement féminines, comme reproducteur. La grosse poule essaya de l’empêcher de boire, mais il lui donna un coup de bec retentissant. Il était roi. Il veillerait à ce que toutes trois aient de belles couvées.
Un matin, le vent apporta une réponse étouffée à son cocorico. Il y avait un autre coq à l’autre bout du tertre. Il ne pouvait pas attendre qu’on ait ouvert l’enclos.
« Ce grillage est la seule chose qui te garde en vie, » marmonna ARNOLD.
Mullah sourit avec assurance. « Merveilleux ! Voyez comme ces expériences sont devenues réelles pour lui. Il est ARNOLD le coq de combat en ce moment. Pour son subconscient, ces rêves enregistrés ont plus de signification que la morne routine de l’existence dans la fourmilière. »
— « Sans doute, » fit le Batteur. « Ils ont plus de force psychique, plus d’énergie sensorielle, plus d’impact. »
Le Batteur étudia les réactions d’ARNOLD afin de savoir s’il donnait la réponse maximale. Cela pouvait encore s’améliorer. « Augmentons l’intensité la prochaine fois. Nous passerons ces bandes en amplifiant l’énergie ; nous accroîtrons la douleur causée par la hache, à la fin de la séquence Chapon, nous renforcerons l’euphorie et la gratification sexuelle après la victoire du coq de combat. »
— « … et les figurines au crayon, » ajouta Mullah. Le Batteur fronça les sourcils. « Les figurines ? Ce n’est qu’un fantasme enfantin. Pourquoi les utiliser maintenant ? »
Pour toute réponse, Mullah rangea les bandes dans le classeur et sourit d’un air entendu. « Elles sont plus que cela. En fait, la flaque violette où il s’abreuve est un facteur déterminant dans la suggestion post-hypnotique. Dans notre programmation, c’est grâce à cela que les ARNOLD se disposeront au combat : une combinaison de simples souvenirs d’enfance et de stimulation sexuelle de l’adulte. Très efficace. »
Le Batteur avait l’air déconcerté.
— « Nous avons besoin du sens de la coordination du faucheux pour manœuvrer les commandes manuelles de Rorqual durant la bataille. On peut à volonté déclencher le retour d’ARNOLD à l’ancienne leptoâme. Et le déclencheur, c’est cette flaque violette. »
— « Voulez-vous dire qu’il est programmé pour devenir le cerveau de Rorqual ? » interrogea le Batteur. « Il reviendra à l’une de ses leptoâmes antérieures et combattra en prenant le navire pour arme ? »
— « Si nécessaire… »
Le Batteur s’assit en hochant lentement la tête. « D’abord, nous programmons ses gènes. À présent, nous programmons son âme. » Il prit son emblème d’or et soupira. Cette tâche l’avait épuisé. Les prothèses fournies par la fourmilière lui avaient donné une deuxième vie, mais, au bout de dix ans, cette prolongation touchait à sa fin. Ses dents fonctionnaient bien, et la mastication vigoureuse de tous les aliments fibreux de son nouveau régime avait renforcé sa mâchoire. La marche avait musclé ses jambes, et la hanche de métal était solidement ajustée aux os. Son corps était plus solide, presque plus jeune qu’avant ; mais, sur le plan émotionnel, il continuait à vieillir. « Quand ARNOLD prendra-t-il la mer ? »
— « Bientôt. Peut-être pour son onzième anniversaire. Son taux de testostérone est assez élevé. Ses os sont arrivés en fin de croissance. Il sera prêt. »
— « Oui. Je suis persuadé qu’il s’en tirera très bien. »
L’air sombre, Palourde filait vers le Récif Sud ; la chaleur de son corps stimulait les senseurs. Sa présence activa d’antiques circuits et des champs d’ombrelles ondulantes de la taille d’un homme l’accueillirent. Il nageait en direction de la nouvelle route de chalutage du Léviathan. Il s’arrêta à deux brasses de fond pour se remplir les poumons à une ombrelle. Devant lui, le récif ressurgit à la vie. Des pompes-maches alimentaient les poches d’air des ombrelles. Une électrolyse instantanée emplit l’air d’oxygène. Des nuages de zooplancton et de bulles débordantes s’élevèrent des formes contorsionnées de cyber-ber-nacles qui avaient survécu durant vingt-sept siècles pour servir les rares Océanides rescapés.
Palourde attendit au bord du récif. Derrière lui, les ombrelles s’apaisèrent. Il observait la surface des eaux. Le ciel sombre crachait de grosses gouttes dans la mer clapotante. Le Léviathan à la silhouette de baleine s’approcha, traînant derrière lui ses filets. Palourde sortit de la poche d’air et s’agrippa aux fines mailles ; en un instant, il fut sur le pont éclaboussé de pluie. Son apparition ne provoqua aucun désordre, cette fois. Un équipage bien entraîné obéit à l’appel de la sirène, et les bottes crissèrent en cadence. Les Néchiffes s’alignèrent, portant des filets qui leur arrivaient à l’épaule en guise de bouclier. Palourde s’aperçut du danger et sauta d’un bond sur le toit de la cabine.
Un roulement de tonnerre. Les palmes des arbres plantés sur la coque bruissèrent dans le vent. ARNOLD émergea du feuillage et contempla l’Océanide, à une centaine de mètres devant lui, par-delà les rangées de filets. Palourde avait la peau foncée ; il était nu ; c’était un géant d’un mètre quatre-vingts, comme lui. ARNOLD portait la combinaison réglementaire et une large ceinture cloutée. Ses grands pieds nus claquaient sèchement sur le pont, comme ceux de Palourde.
« Ohé ! » cria Palourde en agitant la main.
ARNOLD, sans ouvrir la bouche, fit signe d’abaisser les filets. Il avança lentement à travers les mailles mouillées. Palourde regarda autour de lui, en prévision d’une éventuelle attaque par-derrière. Il n’y avait aucune écoutille visible sur le nez du bateau. Derrière le bouquet d’arbres, une grue indifférente enlevait les filets lourds de plancton. Seuls les hommes de pont et ARNOLD semblaient avoir remarqué sa présence.