Larry hocha la tête. « Je comprends. Mais je ne resterai pas sain d’esprit longtemps si toutes les filles me regardent comme… vous savez… »
Le visage de Lew ne se départit pas de sa neutralité. « Ne vous laissez pas gouverner par vos émotions. La décision est une simple affaire de logique. Le temps ne garantit pas la découverte d’un traitement, et, même dans ce cas, il n’est pas sûr que la société future juge utile de vous l’appliquer. »
— « Mais cela est possible ? »
— « Disons probable. Voilà l’ennui. Et, quoi qu’il en soit, vous vous réveillerez dans une société différente, et vous aurez à vous adapter à une nouvelle culture, aux progrès scientifiques et à l’évolution du langage. Vous pourriez vous sentir encore plus déphasé que maintenant. »
Larry sourit. « Je ne m’inquiète pas pour ça. J’ai mon cyber compagnon, mon mannequin, pour participer et me mettre à jour. Je crois que je pourrai m’adapter à n’importe quoi si j’avais à nouveau un corps entier. S’il y a le moindre espoir, je dois prendre ce risque. »
Lew haussa les épaules et prit les formulaires remplis.
La salle des admissions était vide, propre et blanche. Des instruments de métal s’entrechoquaient dans des plateaux avec des bruits creux. Le bruit des lourdes portes doubles qui se refermaient retentit comme une explosion dans les oreilles de Larry, tandis que commençait la compression de l’oxygène. Il faillit se raviser.
« Ne crains rien, » dit le mannequin. « Durant ton sommeil, mes circuits veilleront, tout au long des années. Les ions ne se disperseront pas de manière excessive. »
Des hypertoniques déshydratèrent ses tissus et il glissa dans la torpeur de la cryothérapie.
Larry s’éveilla dans un vaste mausolée garni d’appareils brillants, de tubes en spirale et de toute une machinerie qui palpitait. À travers un hublot au verre épais, il vit une jeune femme aux yeux lumineux. Elle sourit et le salua par haut-parleur.
« Comment vous sentez-vous ? »
Il hocha la tête et faillit s’étrangler ; l’épithélium desséché formait une boule dans sa gorge. Une renaissance est aussi difficile qu’une naissance.
— « Je m’appelle Jen-W5-Dever. Descendance de votre premier cousin, cinquième génération. Nous vous ranimons afin de vous donner un corps neuf et un travail intéressant. »
Larry vomit. Sa tête lui faisait mal malgré les sédatifs qui lui engourdissaient pourtant le bout des doigts. Il y avait des endroits douloureux, sous ses coudes et sa colonne vertébrale. Il sentit passer un frisson glacé. Il resta allongé, immobile, cependant que le mannequin essayait de le réhydrater. Il examina le visage de la fille : elle avait les pommettes des Dever.
Le sas s’ouvrit. Elle entra, ses pieds s’enfonçant dans des débris muqueux, sous-produits des membranes de perfusion. Son lit se dressa en position verticale. Faiblement, il chercha un point d’appui.
— « La transplantation ? » interrogea-t-il d’une voix râpeuse, étouffée par un bouchon de cellules mortes dans sa trachée. « Est-ce qu’on va me réparer ? Un corps neuf ?… entier ? »
— « Oui, » dit-elle en souriant, avec un coup d’œil à sa plaque d’identité médicale. « Vous allez bénéficier de la découverte du Sage de Todd. Le travail est déjà en cours. La transplantation aura lieu dans six mois. »
Larry était extasié. Il avait gagné son pari. Il donna une claque à la cuisse de son mannequin et s’écria : « Formidable ! Levons-nous et allons nous promener. »
Les moteurs de la mache crachotèrent et vrombirent mollement. « Désolé, Larry, » bourdonna la membrane vocale, « mais mes noyaux de ferrite sont encrassés. Nous allons sortir et faire de l’exercice pour brûler les résidus de carbone. »
— « Pas si vite ! » fit Jen avec un sourire, en le retenant d’une main douce. « Quelqu’un vous attend. »
Sur la porte on lisait : IRA-M17-DEVER, CHEF DE CLAN, PROJET IMPLANT, SYSTÈME PROCYON.
On amena Larry devant un administrateur grisonnant entouré de cartes stellaires, de maquettes de vaisseaux spatiaux et d’un tas d’ordinateurs terminaux. Des imprimés s’écoulaient lentement des lèvres silencieuses des maches.
« Voici donc notre Larry ! » Ira serra sa main. « Vous êtes notre plus vieux spécimen. OLGA est très fière de vous. »
Larry contempla la pièce de ses yeux clignotants, éberlué.
« Il n’est réveillé que depuis quelques minutes, » expliqua Jen. « Je ne l’ai pas encore conduit aux magasins de mémoire, pour la remise à jour. »
— « Ce ne sera pas nécessaire. Laissons-le se détendre et aidons-le à se souvenir. Là où nous allons, il pourra utiliser ses réminiscences d’une Terre primitive. »
— « Primitive ? » murmura Larry. « Mais, je… » Ira lui fit signe de se taire.
— « OLGA désire que vous retrouviez votre intégralité avant que nous partions nous implanter. Vous possédez des gènes très anciens. Nous avons tous été façonnés par une société protectrice pour la survie des inadaptés, en quelque sorte. Nous allons embarquer prochainement à destination d’une planète du Système Procyon, avec un assortiment de la faune et de la flore terrestres, toute une variété de gènes humains et des échantillons cellulaires de toutes les formes de vie des différents milieux : désertique, aquatique, forestier, marin, alpin et tropical : l’Arche de Dever ! »
Les idées de Larry étaient de plus en plus confuses. Les vêtements, les meubles et le langage n’avaient pas beaucoup changé. Ces gens lui paraissaient agréables, normaux.
— « Pourquoi quittons-nous la Terre ? Je me trouve bien, ici. »
— « OLGA nous a choisis pour l’Implant Procyon. C’est un grand honneur. Nous allons essayer de nous installer sur une planète très hostile. »
— « Nous installer ? »
— « La Société Terrestre envoie dans l’espace des vaisseaux d’Implantation depuis des époques fort lointaines. Elle essaime la race humaine parmi les étoiles pour empêcher d’autres de le faire. »
— « Mais pourquoi moi ? » questionna Larry en toussant.
— « Votre structure génétique a une grande importance ; c’est la plus ancienne qu’Olga ait pu trouver. Nous avons besoin d’individus primitifs pour conquérir des planètes primitives. Vous me précédez dans l’ordre de priorité. »
L’insigne d’or d’Ira dénotait un certain rang. Larry commençait à se plaire dans cette nouvelle époque. Son importance flattait son amour-propre, et il y avait cette promesse d’un corps neuf.
Le mannequin de Larry trotta jusqu’au port spatial, à la recherche d’un terrain de course où brûler ses résidus de carbone. Il descendit et remonta plusieurs fois la rampe entre deux terrasses de hangars, et ses noyaux de ferrite se réchauffèrent. L’antenne concave était froide. Il courut une centaine de mètres jusqu’en haut de la terrasse, escaladant une pente inclinée à quinze degrés. Puis il fit un sprint de cinq cents mètres autour de la terrasse et redescendit la rampe. La ferrite, en se réchauffant, augmentait son rendement. Larry se sentait tout ragaillardi. Il fit le tour de la base d’atterrissage en sept minutes quarante-cinq secondes. Les jambes fonctionnaient aisément alors que ses bras se fatiguaient.
« C’est formidable ! J’ai vraiment l’impression de courir. C’est ce lactate que tu mets dans mon Épurateur Sanguin. Maintenant, tu n’as plus qu’à me redonner une vie sexuelle… »
Mannequin entra en contact avec la programmothèque pour la participation et la mise à jour : « Cela aussi peut s’arranger ; un pénis mécanique pour moi, et des électrodes sur le cerveau moyen pour toi. Une mache peut prendre du plaisir, avec un système vasculaire électrique.