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« Il suffira d’une paire de tampons dans les narines pour tout remettre en ordre. »

Mais l’ordre ne se rétablit pas. ARNOLD resta un long moment immobile sur le pont avant de reprendre sa tâche de bûcheron.

« Cette hache… » objecta la Sûreté.

Le Batteur lui imposa silence. « Laissons-le défricher la coque. Ensuite, nous examinerons la question. »

Le Bélier avait parlé.

ARNOLD travaillait lentement, mais avec régularité. Tout en gardant un œil sur la mer, il dirigeait les grues. Les troncs abattus furent enlevés. Puis on retira les tôles tordues que les racines noueuses ornaient de têtes de méduse. Des morceaux de ferraille servirent à fondre et à laminer de nouvelles tôles. L’épiderme de Rorqual était remis à neuf. Le navire s’en montra reconnaissant.

Le Batteur répugnait à ennuyer ARNOLD avec ce problème de la hache. Le bateau lui retransmettait les courbes bio-électriques du géant, et il était évident que la rencontre de la femelle Océanide l’avait bouleversé.

« ARNOLD, je t’appelle au sujet de la hache… »

L’écran s’éteignit.

« Il a coupé. Rorqual n’émet plus, » dit le C.U. « Mais je connais la direction qu’il a prise ; il a mis le cap sur la zone qui est sous le contrôle des Océanides. »

Le Batteur se rasséréna. Il pouvait bien permettre au guerrier de prendre quelque repos. Les autres visages autour de la table étaient vides d’expression, sauf celui de l’homme de la Sûreté. Le Psychtech passa une nouvelle fois les enregistrements optiques effectués sur le pont et se leva pour donner son opinion aux membres du Conseil.

« Il a conçu un attachement d’ordre sexuel envers l’Océanide. À mon avis, ceci est dû aux expériences leptoanimistes avec les poules grivelées. Cette Océanide était toute couverte de taches de rousseur. Et les feuilles et les copeaux de bois ont contribué à amener ce comportement coq de combat-reproducteur. »

Le Batteur approuva, et leva la séance.

Wandee, ses calculs achevés, vint rejoindre le Batteur à l’antenne « longue oreille ». « Voici quels seront les symptômes présentés par ARNOLD sans le pain aux quinze acides. Comme tous les quinze sont indispensables à son alimentation, l’absence d’un seul d’entre eux entraînera une carence en protéines ; et une fin assez moche : faiblesse, douleur dans les muscles, léthargie, œdème, paralysie, et enfin la mort. Plus longtemps il sera privé de pain, et plus il épuisera les protéines de son propre corps pour les fonctions métaboliques ordinaires. » Cette perspective déprima le Batteur. Des ulcères apparaîtraient finalement sur la peau et les boyaux d’ARNOLD lorsqu’il ne serait plus en mesure de fabriquer de nouvelles cellules épithéliales.

— « De combien de temps disposons-nous ? » Wandee haussa les épaules. « Son activité a déjà dû se ralentir. Il pourra vivre quelque temps sur les réserves de son organisme ; mais d’ici trois semaines ses enzymes de Kreb auront besoin de se reconstituer. Sinon, il se trouvera dans un état de faiblesse extrême. »

— « Je doute que cela suffise à le contraindre à se rendre. Il est très entêté. »

— « Nous pourrions passer un marché avec lui, » suggéra Wandee. « La fourmilière a besoin de ces calories marines. Nous pouvons être magnanimes s’il observe les clauses de livraison. Il aurait le loisir de chasser les Océanides à son gré. »

Le Batteur acquiesça. « Essayons de le contacter. » La longue oreille transmit : « ARNOLD, mon fils, reprends ton travail, s’il te plaît. Ta cité est affamée.

Nous ne pouvons plus nous passer de ces calories supplémentaires. Ramène ton Moissonneur, avec le plancton. »

Silence. Aucune. onde porteuse en réponse. Un balayage du réseau ne leur apporta que des voix d’Agrimaches et des parasites.

« Je ne suis pas sûr que votre message ait été reçu, » dit le C.U. « Enregistrez-en un autre et nous le passerons plusieurs fois de suite. »

Le Batteur se sentait à bout de forces. « Il faudra simuler les inflexions. Je suis trop vieux, trop las. » Il griffonna quelques notes tandis qu’on établissait l’impression visuelle combinée. « ARNOLD, mon fils, tu vas à ta mort, » commença-t-il. « Je sais que tu veux être libre, et je te comprends, mais c’est impossible. Nous avons fabriqué tes gènes ; nous t’avons donné un corps puissant et un esprit agile, les meilleurs de la fourmilière. Mais il y a un défaut. Ton métabolisme est dépendant d’une alimentation spéciale : tu ne peux pas te passer du pain aux quinze acides aminés. Sinon, tu tomberas malade, et tu mourras. Tu dois me croire, mon fils… et revenir. »

Le C.U. agrémenta le message des intonations et des silences adéquats. Le Batteur et Wandee assistèrent à la première transmission. C’est à peine s’ils purent se reconnaître : sympathiques, jeunes, aimants, l’image qu’ARNOLD avait eu d’eux dans son enfance. Les yeux clairs, les joues roses et les cheveux noirs étaient autant d’artifices destinés à engendrer la nostalgie.

L’onde porteuse se manifesta. Ils virent l’intérieur de la cabine de contrôle de Rorqual. ARNOLD n’était pas là. Le bateau chuchota, sur un ton confidentiel : « Mon capitaine ne croit pas ce que tu dis, Batteur. J’aimerais lui retransmettre le message en termes qu’il puisse comprendre. Pourquoi a-t-il besoin du pain spécial ? »

— « Il contient la ration d’acides aminés qui lui est nécessaire. »

— « Tous les humains ont besoin des acides aminés essentiels. »

Wandee opina : « C’est juste. Neuf d’entre eux nous sont nécessaires. Ils sont présents dans les Calories de Base de la fourmilière. Mais ARNOLD, lui, a été conditionné de telle manière que les quinze acides lui soient indispensables. Les rations prévues pour l’équipage ne pourront en aucun cas assurer sa survie. Il tombera malade et mourra si un seul de ces acides aminés fait défaut. »

— « Citez-moi ces acides, » dit le navire.

— « Information confidentielle. Il m’est interdit d’en parler. »

— « Je comprends. Je vais parler à mon capitaine. Je vais essayer de lui faire comprendre le danger qu’il court. » Rorqual mit fin à l’émission. L’écran s’obscurcit, brouillé par les parasites.

Wandee et le Batteur demeurèrent à leur poste douze heures d’affilée. Aucune réponse d’ARNOLD. Le Batteur haussa les épaules. Il s’attendait à cela. Rien n’effraie un guerrier doté de la leptoâme d’un coq de combat : pas même un péril mortel, encore moins une molécule inconnue.

L’équipage néchiffe voyait son capitaine s’affaiblir de jour en jour. Depuis des semaines, ils poursuivaient les recherches, en élargissant toujours davantage le cercle, mais les Océanides étaient insaisissables.

ARNOLD s’appuya contre la grue et regarda le vaste filet qui remontait vide. « Tu ne l’as pas eue ? »

— « Non, » dit Rorqual. « J’ai détecté un organisme à sang chaud à soixante mètres de fond, mais je n’ai pas été assez rapide à manœuvrer mes filets. Il s’est réfugié dans l’un de ces dômes. »

— « Pouvons-nous poser un grappin sur ce dôme ? »

— « Oui, mais il s’enfuierait simplement vers un autre dôme. »

ARNOLD étudia l’écran d’observation. « Soixante mètres. Ce n’est pas beaucoup. Pourquoi ne descendrai-je pas en m’accrochant à la corde du grappin, pour jeter un coup d’œil à l’intérieur du dôme. C’est peut-être la femelle au ventre blanc. »

— « Ce ne serait pas prudent, » le mit en garde le navire.

— « Pourquoi ? »

— « La pression est trop forte à ce niveau. »