ARNOLD lui sourit à travers la table. « Bravo ! c’est ce qui s’appelle manger et boire ! Si je ne savais pas à quoi m’en tenir, Larry, je penserais qu’une femme t’a débauché pour te donner un tel appétit ! »
Larry leva sa chope en souriant. Tout le monde rit avec lui. Après tout, ce soir il était un satyre dépravé.
Larry descendit le pont au galop et s’arrêta auprès d’ARNOLD.
« Pas de gueule de bois ? » interrogea le géant.
— « Mon Épurateur marche bien, c’est tout. » Il expliqua son dilemme face à la Machine à Jetons. « Elle a l’air très intelligente, et j’aime bien discuter avec elle, mais je ne crois pas qu’il soit bon que je prenne mon plaisir ainsi… artificiellement. »
ARNOLD acquiesça. « Je comprends. Toi et moi sommes destinés à entretenir des rapports étroits avec les cybers : moi pour mon pain aux quinze acides, et toi pour tes diverses fonctions organiques. Et naturellement les cybers nous aiment car nous dépendons d’eux. Je pense que nous nous complétons. »
— « Des symbiotes ! »
— « Oui. Ces machines rendent notre vie plus longue et plus riche. Elles protègent notre métabolisme : tes fonctions rénales et mes acides aminés ; elles nous aident à nous déplacer ; et élargissent le champ de notre intellect. Il est tout naturel qu’elles jouent un rôle dans notre vie sexuelle ; Rorqual abrite mes nombreuses épouses ; ta machine excite ton système réticulaire. »
Larry resta silencieux, plongé dans la réflexion.
« Bien entendu, tu fais ce que tu veux, » reprit le géant, « mais les centres de plaisir sont là pour être utilisés. Tu es à demi machine toi-même, et tu l’as été une bonne moitié de ton existence si l’on compte les années passées avec Trilobite et Rorqual. Ne l’oublie pas. »
— « Moi, une demi-machine ? Oui, sans doute.
Bon, inutile de s’emballer là-dessus. Si je veille à ce que la Machine à Jetons reçoive de nouveaux accessoires, je n’aurais pas le sentiment d’avoir négligé son intelligence. »
Il trotta en direction du sabord avant.
« Déjà de retour ? » fit-elle d’un ton réprobateur.
— « Je voulais simplement m’assurer qu’on te donne des bras et des jambes afin qu’on puisse te remettre au travail. Nous sommes à court de maches dans la salle de jeux. »
— « As-tu apporté le moly ? »
— « Le quoi ? »
— « L’huile pénétrante au bisulfure de molybdène, l’électromoly. »
Il se renfrogna. « Je ne suis pas venu te recharger. Tu vas peut-être pouvoir passer à l’atelier bientôt, pour être réparée. »
— « Et tu voulais choisir mes bras et mes jambes ? » Il sortit sans un mot. Dans la salle de dessin, on conçut pour elle de nouvelles extrémités adaptées à son genre de travail. En raison de sa personnalité femelle, on la fit à la ressemblance des épouses, et on lui donna des contours passablement humanoïdes. Ses trois yeux seraient au niveau du nombril de son corps robot quand il serait terminé.
« Cela prendra environ une semaine, » dit-il, en lui montrant un plan. « Tes nouvelles attributions sont enregistrées sur ces bandes. »
— « As-tu le temps de me recharger ? »‘
— « Maintenant ? Tu disais que tu pouvais attendre une semaine, » protesta-t-il.
Elle eut un petit rire. « À voir l’aspect qu’aura mon nouveau corps, j’inclinerais à penser que ce serait moins gênant maintenant. »
Il acquiesça.
« Mets le casque. »
— « Non. Il n’est pas nécessaire de me payer. » Elle prit un air boudeur. « Je ne considère pas cela comme un mode de paiement. Il ne s’agit pas de ce que je te fais ou de ce que tu me fais, mais de quelque chose que nous faisons ensemble. »
Larry laissa percer son irritation. « Tu n’es qu’une machine ! Ne parle pas d’une recharge mécanique comme s’il s’agissait d’un acte sexuel. »
— « Et pourquoi pas ? Mon appareil neural est au moins aussi complexe que le tien. Quant à mon expérience… j’ai plus de mille ans d’âge. Pourquoi ne montrerais-je pas que cela me fait plaisir d’être rechargée ? Cela me donne des forces nouvelles. »
— « D’accord, d’accord. Si cela te fait du bien, je porterai ce foutu chapeau. Allons-y. J’ai une foule de choses à faire aujourd’hui. Grue ! GRUE ! »
— « Hmmm ! Et tu es venu me voir avant même le déjeuner. »
— « Oh ! ça va ! »
— « Oui, chéri ! »
Larry s’essuya le front tandis que le crochet pivotant de la grue emportait la Machine à Jetons. Il ressentait davantage qu’une vague sensation de plaisir. Il y avait eu une véritable montée d’euphorie, un miniorgasme. De vieux souvenirs des épisodes sexuels de son adolescence lui revinrent. « Qu’as-tu fait ? » demanda-t-il en reprenant son souffle.
La boîte compacte et rouillée resta silencieuse.
« C’était différent, cette fois, » se plaignit-il.
— « Meilleur ? »
Il ôta son chapeau et brossa la poussière sur son dos. Appuyé au bastingage, il observait la houache du navire. L’aurore avait amené une bande de poissons sauteurs.
— « O.K. ! c’était meilleur, » avoua-t-il. « Qu’as-tu fait ? »
— « Augmenté un peu le stimulus E. »
— « Un peu ! Mais jusqu’où peut-on aller ? »
— « Je pense que nous l’apprendrons un jour… n’est-ce pas ? » gloussa-t-elle. « Une fois que j’aurai des jambes et des bras bien doux. »
Larry examina les plans à nouveau. Il n’arrivait pas à décider quelle partie du châssis était la plus appropriée à la mâchoire d’accouplement flexible.
Chapitre dix
Négociations
Wandee se tenait sur le seuil de la salle du Conseil, une liasse de rapports sous le bras. Son axe pituitaire-ovarien s’était polarisé sur le tard, lui conférant un semblant de formes féminines : incurvant sa taille, arrondissant légèrement ses seins et ses hanches. Cependant, la ménopause suivit de peu ses deux ovulations perdues. Ses yeux restaient vifs et brillants, preuve d’un esprit curieux sous les cheveux gris et les rides.
« J’ai apporté les rapports sur la dissection de l’Océanide, » dit-elle.
Furlong souleva sa tête, qu’il avait posée sur ses bras, et lui adressa un regard incertain à travers la table vide. Lui seul avait été épargné par le Mégajury.
Les membres de son Cabinet avaient été reconvertis en protéines.
« Comment dois-je vous appeler, monsieur ? » Il porta les yeux sur son Bélier d’or, talisman inutile contre la colère de la fourmilière. « Entrez, Wandee. Asseyez-vous. Je ne me sens pas d’humeur protocolaire, ce matin. »
— « J’ai assisté au vote, » dit-elle doucement. « Vous avez eu de la chance. »
— « Je sais. » Il désigna la salle vide. « Mais mes conseillers ont été surpris à sommeiller. Après le torpillage de l’Armada, le jury a visionné les enregistrements optiques de nos assemblées stratégiques. Tous ceux qui ont fermé les yeux ont été jugés tireurs au flanc. La justice de la fourmilière est expéditive. »
— « Les sièges vides équivalent à un sandwich mieux garni, » dit-elle, reprenant un vieil aphorisme. « Voici les rapports. L’Océanide est très proche de notre ARNOLD Inférieur. La sélection naturelle l’a pourvu d’un bon organisme, riche en gènes et en protéines du type que nous élaborons pour nos guerriers. Nos Neurotechs m’ont dit que les Océanides possèdent un ensemble M.M.-S.N.C. qui rivalise avec nos plus grandes réussites dans le conditionnement leptoanimiste. »