Elle poursuivit sa lecture. « Et il y a la question de la vision. Il s’est plaint de scotomes, de taches sombres dans son champ visuel gauche… »
— « Je sais. Il m’en a parlé aussi. Furlong pensait que c’était dû au plomb… que cela provenait de sa névrite périphérique, ou de son encéphalopathie. »
— « Eh bien, je n’aime pas ça du tout, » dit-elle. « En principe, dans ce traitement, on emploie des électrodes en or pour prévenir tous ces accidents. »
Le Batteur soupira. « Vous savez ce qu’il en est des problèmes budgétaires. La Clinique ne fait pas exception à la règle. »
Rorqual s’arrêta à quatre cents mètres de la péniche vide. Elle était restée ancrée sur le point de rencontre depuis six mois environ. Des animaux sessiles festonnaient le dessous de sa coque et épaississaient ses chaînes. Le pont était encroûté de sel. Trois Électro-techs partirent dans un outrigger d’extrusion afin de vérifier si elle était piégée. Les recherches s’avérant négatives, ils firent signe au Moissonneur d’avancer. Larry et ARNOLD inspectèrent le pont, qui s’effritait à cause des vers et des oxydes.
« Ça n’a pas l’air très sûr, » dit Larry, accrochant un de ses sabots arrière à une poutre en décomposition.
— « Nous ne pouvons pas les rencontrer ailleurs, » grogna ARNOLD. « Pas sur Rorqual, ni sur aucune île ! Aucun de ces salauds de la fourmilière ne posera jamais le pied sur un de nos territoires ! »
Larry hocha la tête. « Moins ils en sauront sur nous, mieux ce sera. Il ne faut pas qu’ils voient nos équipements d’ange, ni tous tes enfants. Que les optiques du bateau restent en dehors de nos conversations avec Wandee. »
Rorqual prit acte de cette nouvelle règle. Sa longue-vue décela un point noir dans le lointain. « Un canot approche. »
— « Montre-nous ça en gros plan. On dirait un vieillard. Regardez comme il tremble. Je ne puis voir son visage à travers son casque, mais c’est le Néchiffe le plus maigre que j’aie jamais vu, estropié et tout voûté. Je me demande ce que sont les cadeaux… »
— « Sans doute des bombes, » grommela ARNOLD.
— « Non… Ils sont toujours dans la zone V. Oh, oh ! Ce type a des ennuis ; il est plié en deux et il se tient le ventre. Il a retiré son casque ; il essaie de boire quelque chose, mais les nausées redoublent. Je suis sûr qu’il a le mal de mer. »
— « Peut-être est-il atteint d’une maladie infectieuse, » dit ARNOLD. « Il est possible qu’ils essaient de nous donner quelque chose en plus des cadeaux, cette fois-ci… la peste, par exemple. »
— « Tu as raison. En arrière, Rorqual. »
— « Alors, on joue à la guerre bactériologique ? L’homme que vous avez envoyé est malade, » dit ARNOLD, accusateur.
Wandee fixa l’écran vide. « Mais vous voyez bien sur les détecteurs de mensonge que nous disons la vérité. Le Grand Maître Ode souffre d’une surcharge d’ions métalliques résultant du traitement de ses fractures. C’est tout. Rien de contagieux. »
— « Eh bien, il est couché sur le pont, et on dirait qu’il vomit. »
— « À quelle distance êtes-vous ? »
Larry lança un regard à ARNOLD. Il fallait que le canot soit bien pauvrement équipé pour qu’elle soit obligée de demander cela.
— « Environ huit, kilomètres, vent en poupe. Nous laisserons ce radeau de côté sous le vent jusqu’au matin. Ensuite, nous irons peut-être parler à votre homme. Inutile de tenir une conférence avec quelqu’un qui risque de mourir au beau milieu des négociations. »
Wandee acquiesça et se tourna vers le Batteur. « Pouvez-vous contacter Ode afin qu’il reprenne du calcium ? »
Le spectacle des souffrances du vieillard attristait le Batteur. Lorsqu’il parla, sa voix était tendue : « Ils attendront jusqu’à l’aube. Puis ils viendront te parler. Essaie de reprendre du calcium. »
Ode grimaça. « Tout va bien. J’ai un peu le mal de mer, c’est tout. La mer est mauvaise, et je suis passablement secoué. Sans doute ai-je laissé mon pied marin à la Suspension. Ne t’en fais pas. »
Larry garda le scrutateur à infrarouges pointé vers le radeau, avec un grossissement de 50. Rorqual contrôlait les canaux d’émission du petit bateau. L’océan se calma et une lune éclatante se leva.
« Tout semble calme, » dit ARNOLD. « Allons manger un morceau et prendre un peu de repos. Le navire nous appellera si quelque chose se produit. »
L’onde de choc et le bruit des sirènes atteignirent la cabine au même moment. Larry dégringola de sa couchette, dans un enchevêtrement d’appendices-mache.
Houuuup ! Houuuup ! Houuuup !
Un nuage de fumée s’élevait de la péniche. Le canot avait chaviré.
« Passe-moi le film des minutes précédant l’explosion ! » cria Larry, essayant de trouver une explication. « Oh, oh ! je vois ! À ce qu’on dirait, les Océanides du plateau ont envoyé une délégation à la péniche de la fourmilière. »
ARNOLD fit irruption, furieux. « Encore une traîtrise de la fourmilière ! Partons d’ici ! »
— « Attends ! » dit Larry. « Il y avait des visiteurs sur la péniche au moment de l’explosion. Montre-nous des agrandissements et quelques plans fixes. Regarde, c’est Palourde et quelques-uns de ses congénères. Ils paraissent bavarder paisiblement avec le vieil ambassadeur. Je ne sais pas ce qui a causé l’explosion. Les autres avaient aussi apporté des présents. »
Le canot remonta dans les mâchoires d’un grappin. Une traînée de gouttes d’eau marqua le pont.
« Irons-nous faire un tour sur la péniche avant de partir ? Elle donne de la bande. Nous devons faire vite si nous voulons découvrir quelque chose. » Larry regarda à l’intérieur du canot, puis monta sur un grappin pour inspecter la péniche carbonisée. « Pas grand-chose, ici. Toute la viande doit se trouver dans ce coin où les poissons ont l’air très occupés. Quelle que soit la nature de l’explosion, elle a bel et bien nettoyé ce vieux bateau. »
Rorqual renifla les alentours à l’aide du senseur de la grue L-2 et découvrit des traces de nitroglycérine.
« Ça pouvait être une sacoche explosive. L’une comme l’autre des parties peut avoir fait le coup, » dit Larry.
— « C’est la fourmilière ! » cracha ARNOLD.
— « Mais les détecteurs de mensonge étaient O.K., et leur propre envoyé était sur les lieux. »
— « Les nôtres aussi, et ils étaient plus nombreux. » Larry haussa les épaules. « Wandee était plutôt bouleversée. Elle pense que nous sommes les responsables. Il vaudrait mieux que nos techs examinent ce canot pour y chercher des indices. Que Rorqual sonde également le cerveau du petit bateau. Nous apprendrons peut-être quelque chose. En attendant, je suis d’avis que nous nous éloignions du plateau continental. À la maison, Rorqual ! »
Le panneau du magasin à outils était ouvert. Le soleil faisait étinceler le canot pris dans les mâchoires du Démonteur. Larry se faufila entre les établis.
« Une bonne paire d’optiques, » dit le tech, la tête dans la boîte sensorielle du canot. « Fluorite ordinaire renforcée de verre à ultraviolets et de séléniure de plomb à infrarouges. »
• – « Rien dans le cerveau qui ressemble à une supercherie. Nous le ferons absorber à Rorqual afin qu’il l’analyse par la suite. »
Larry examina les premiers rapports. « Il semble que ce bateau ne savait rien de la bombe. Je croirais plutôt que c’est l’œuvre de Palourde. Il serait équitable de le renvoyer à la fourmilière. »