ARNOLD acquiesça à contrecœur. « Je reconnais que le canot d’un ambassadeur ne peut être considéré comme butin de guerre. Pour quoi faire, ces fleurs ? »
Larry disposa un rosier épineux sous le siège, près d’une des béquilles roussies d’Ode. « Simplement un petit cadeau pour le Batteur et Wandee. Nous n’avons pas de corps à leur rendre. » Il se mit soudain à se sucer le pouce. « Ouille ! »
« Ce canot avait une toute petite mémoire : essentiellement des données du Service des Égouts, et quelques conseils de navigation récents, » dit Larry. « Mais les données concernant la pluie de météorites ont soulevé la curiosité de Rorqual. »
— « Cela doit remonter à une vingtaine d’années. Quel rapport avec la navigation ? »
— « Le système nerveux de la fourmilière couvre les principaux continents. Il s’est produit une perturbation importante dans l’océan Arctique, un véritable holocauste. Les senseurs ont repéré les points d’impact de plusieurs météorites dans la région. »
— « Quel est son indice de curiosité ? » questionna ARNOLD.
— « Zéro virgule sept, et ça augmente. »
— « Cela vaudrait peut-être la peine de s’attacher à cette piste. Si nous avons l’occasion de reprendre contact avec la fourmilière, nous pourrions leur demander davantage de détails, et leur offrir par exemple du poisson en échange. Je répugne à l’admettre, mais certains des circuits conçus par les nouveaux labos du chantier naval étaient vraiment très pratiques. Nous pourrions en employer quelques-uns, si la fourmilière est désireuse d’acheter notre amitié. Nous serions en mesure d’accélérer les réparations des maches et des Moissonneurs. »
Larry approuva. « Je suis persuadé qu’ils nous rappelleront sitôt que sera oubliée cette explosion du radeau. Ils semblent déterminés à nous entraîner dans des négociations. »
Wandee borda le vieux Batteur dans son canapé et cueillit pour lui un cynorhodon. « Riche en bioflavonoïdes, » dit-elle en lui tendant le fruit de Rosa rugosa de la taille d’une prune. Il sourit faiblement et mastiqua les savorisées.
« Ces fleurs ont des pistils chargés, » remarqua-t-elle. « Furlong a dit qu’il verrait si vous pouvez les garder assez longtemps pour retrouver vos forces, comme supplément à votre régime. »
— « Quels sont les autres projets du président en ce qui me concerne ? »
— « Le traitement N.H., si vous le désirez. De nouvelles glandes endocrines vous rendraient sans doute votre tonus, » dit-elle en souriant.
Le Batteur s’irrita. « Serai-je le prochain ambassadeur auprès des Océanides ? Dans ce cas, vous pouvez lui dire que je suis trop vieux pour les supercheries. Mais cela ne me déplairait pas de revoir ARNOLD avant de mourir ; après tout, c’est moi qui l’ai élevé. »
Wandee approuva chaleureusement. « Naturellement. Je suis certaine qu’ARNOLD vous protégera. Vous pourriez en profiter pour le questionner au sujet des raids, mais ce n’est pas nécessaire. »
— « Je sais. Je sais. Les discours ne coûtent rien, et je serai le porte-parole. Eh bien, pour moi ce ne sera rien d’autre qu’une visite de courtoisie, si ARNOLD le veut bien. Pas de manigances. »
— « Parfait, » dit-elle.
Furlong attendait dehors dans le couloir. Il se leva et éteignit l’écran à son approche. « Merci, Wandee. Vous vous en êtes sortie à merveille. Je savais qu’il accepterait mieux cette proposition venant de vous. »
Wandee était grave. « Il ne court aucun danger, n’est-ce pas ? »
— « Nous serons plus prudents, cette fois, » dit-il. Le Batteur sursauta lorsque l’équipe de la Clinique apparut soudain.
« Quand le Président dit " sautez ", nous sautons, » dirent-ils. « Accrochez-vous bien. » Une brigade de la Sûreté les précédait, pour dégager la spirale. Les brancardiers arrivèrent à la Clinique en moins d’une heure. Le Batteur vit qu’ils se préparaient à l’endormir.
« Je pensais que l’on pouvait régénérer l’axe neurohumoral avec un simple sédatif, » dit-il.
— « Vous êtes ici pour un N.H., plus un œil, plus une hanche. Ce n’est pas une petite affaire. À présent, détendez-vous ; la Médimache va placer les tubes et les fils. »
Dix-huit heures plus tard, le Batteur s’éveilla à la douleur. Ses yeux étaient pansés. Sa hanche le faisait souffrir. Quand il gémit, une main lui toucha le bras.
« Du calme, » dit une femme.
— « Wandee ? »
— « Ils m’ont avertie de l’opération quand tout a été terminé. Je peux rester ici et veiller sur vous jusqu’à ce que l’on retire les pansements. Avez-vous besoin d’autre chose pour calmer la douleur ? »
Il réfléchit un moment. Quelque chose avait émoussé la souffrance. « Non. Pas maintenant. »
— « Bien. J’ai vérifié votre feuille O.U. Ils ont dû vous donner un traitement royal. Toutes les équipes étaient présentes. On a pris une douzaine de copies embryoniques de votre clone, à trente millimètres. L’infusion N.H. contenait des cellules primordiales provenant de leurs glandes endocrines : pituitaire, thyroïde, surrénale, testicules, glomus carotidien, pinéale, organe de Zuckerkandl. À présent, ces cellules se sont répandues dans votre moelle épinière et vos capillaires pulmonaires. Elles devraient produire les hormones requises d’ici quelques semaines. »
Le Batteur geignit doucement. Elle continua à parler, pour tenter de le réconforter.
« Ils ont fait du bon travail sur la hanche. J’ai vu les radios. Et la photo de votre rétine à travers le nouveau cristallin est très bonne. Vous serez comme neuf dans quelques mois. »
Le Batteur connaissait ce refrain. On avait tenu le même discours à Ode avant qu’il meure entre les mains des Océanides. Il gémit. « Donnez-moi plutôt quelque chose pour m’aider à dormir. Je ne me sens pas très bien. » Un opiacé de synthèse calma les terminaisons nerveuses à vif.
Wandee appela ARNOLD pour obtenir l’autorisation de visite. La rencontre aurait lieu de nuit afin que les radiations solaires ne le blessent pas. Il devrait être nu ; pas de colis.
Le Batteur sursauta en montant dans l’outrigger. Sa peau nue se couvrit de chair de poule ; elle était blanche et ridée sous la lueur des étoiles. « Il y a une pile de couvertures sur le siège avant ! » cria Trilobite. Le Batteur scruta les eaux sombres et clapotantes où disparaissait une remorque. Il laissa le canot attaché à une bouée, se ramassa en boule et attendit, tandis que la petite mache en forme de pelle lui faisait traverser les trois kilomètres d’océan.
« Il n’a absolument rien sur lui, pas même ce sachet de pilules. Fais descendre le télésiège, tandis que je lui prépare un bol de ragoût chaud, épais et bien assaisonné, » dit ARNOLD.
— « Entendu ! »
Sur le pont, le Néchiffe nu fut accueilli par Trilobite et un centaure.
« ARNOLD t’a préparé quelque chose de chaud dans la cabine. Viens. »
Ils passèrent devant les énormes optiques du bateau, en direction de la cabine, d’où parvenait l’arôme de la viande et des légumes.
« Je suis venu vous mettre en garde, » dit le Batteur. « N’ayez aucune relation avec la fourmilière. On ne peut pas lui faire confiance. Elle ne désire que gagner du temps pour pouvoir étudier vos points faibles afin de mieux vous écraser ensuite. »
Larry se contenta de sourire. « C’est drôle, mais nous sommes dans les mêmes dispositions. Connaître tous les points faibles de la fourmilière, pour l’écraser une nouvelle fois ! »